En 2015, la liberté de la presse s'est dégradée dans toutes les régions du monde d'après le classement annuel de Reporters sans frontières. Pour la première fois, le continent américain passe derrière l'Afrique. Le Canada perd dix places, et la France d'après Charlie en perd sept.
La liberté de la presse a régressé en 2015. Le constat de Reporters sans frontières (RSF) est alarmant. Son
classement annuel sur la liberté de la presse dans 180 pays, publié ce mercredi 20 avril, s'appuie sur une série d'indicateurs : pluralisme, indépendance des médias, environnement et autocensure, cadre légal, transparence, infrastructures et exactions. "
Tous les indicateurs du classement témoignent d'une dégradation. De nombreuses autorités publiques essaient de reprendre le contrôle de leurs pays, craignant de trop grandes ouvertures du débat public", a commenté Christophe Deloire, secrétaire général de RSF.
Si la situation s'est dégradée dans toutes les zones géographiques, la liberté de la presse sur le continent américain a particulièrement reculé à cause notamment d'assassinats de journalistes en Amérique centrale, relève l'ONG. En Amérique latine, "
la violence institutionnelle (au Venezuela, 139e ou en Equateur, 109e)
, celle du crime organisé (comme au Honduras, 137e)
, l'impunité (comme en Colombie, 134e)
, la corruption (comme au Brésil, 104e)
, la concentration des médias (comme en Argentine, 54e)
constituent les principaux obstacles à la liberté de la presse", souligne RSF.
En Amérique du Nord, les Etats-Unis (41e) pâtissent de la cyber-surveillance et le Canada, qui perd 10 places (18e), a vu sa situation se dégrader "
pendant la fin du mandat de l'ancien Premier ministre Stephen Harper", selon RSF. Le continent américain passe ainsi derrière l'Afrique, même si la zone Afrique du Nord/Moyen Orient reste la région du monde où les journalistes sont "
les plus soumis à des contraintes de toutes sortes".
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Aujourd'hui, il est de plus en plus facile pour tous les pouvoirs de s'adresser directement au public grâce aux nouvelles technologies, et donc il y a une violence plus grande contre tous ceux qui représentent l'information indépendante", analyse Christophe Deloire. Il estime que nous entrons "
dans une nouvelle ère de la propagande où les nouvelles technologies permettent à bas coûts de diffuser sa propre communication, son information, sous la dictée. Face à eux, les journalistes sont des empêcheurs de tourner en rond".
La Tunisie en tête du monde arabe
Une bonne nouvelle vient toutefois rehausser ce classement. RSF salue l'amélioration de la situation en Tunisie (96e), qui gagne 30 places. Preuve selon Christophe Deloire qu'il y a "
une consolidation des effets positifs de la révolution". Cependant, dans certains pays en crise, comme l'Irak (158e), la Libye (164e) et le Yémen (170e), "
exercer le journalisme relève de la bravoure", souligne l'ONG.
En Afrique, le
Burundi perd 11 places (156e) car "
ce pays a été le théâtre de violences envers les journalistes après la candidature contestée puis la réélection du président Pierre Nkurunziza".
En Asie, le Japon perd 11 places (72e) à cause de nombreux médias, y compris publics, qui "
succombent à l'autocensure vis-à-vis du Premier ministre notamment et sont pris en défaut d'indépendance".
En bas du classement, comme en 2014, la Syrie stagne à la 177e place sur 180 - juste derrière la Chine (176e) -, et devant le Turkménistan (178e), la Corée du Nord (179e) et l'Érythrée (180e).
Le modèle européen fragilisé
La Finlande conserve, quant à elle, sa première place pour la sixième année consécutive, suivie des Pays-Bas et de la Norvège. Si l'Europe demeure la zone où les médias sont le plus libres, RSF constate un affaiblissement de son modèle. "
Détournement du contre-espionnage et de la lutte contre le terrorisme, adoption de lois permettant une surveillance à grande échelle, augmentation des conflits d'intérêts, mainmise de plus en plus grande des autorités sur les médias publics et parfois privés, le continent ne s'illustre pas par une trajectoire positive" rappelle RSF.
La France perd 7 places et se retrouve 45
e dans le classement, derrière le Burkina-Faso, le Botswana et Trinité-et-Tobago. RSF déplore qu'une "
poignée d'hommes d'affaires ayant des intérêts extérieurs au champ des médias finissent par posséder la grande majorité des médias privés à vocation nationale".