Fil d'Ariane
L'archipel du Vanuatu est, au nord, la porte d'entrée du Pacifique. Sa position est stratégique et aucune puissance ne veut y perdre du terrain. Ainsi, la réfection de routes a été effectuée avec des fonds chinois, tout comme celle de la jetée sur l'île de Santo, héritée des Américains pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour contrer l'influence chinoise, l'Australie a cédé une enveloppe d'aide record aux Nations du Pacifique, à 1,3 milliard de dollars australiens.
La France, via l'Agence de développement française et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, vient d'offrir entre autres projets de financer le premier bâtiment de la future université nationale bilingue du Vanuatu. Sur le plan politique, le pays est aussi membre du groupe politique « Fer de lance mélanésien » favorable à l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie.
Sur place, à Port-Vila, la capitale du Vanuatu, le nombre d'abris en tôle et de maisons en dur est inversement proportionnel à ce qui existe à Nouméa. Idem pour les voitures de luxe et les véhicules hors d'âge. Les jeunes de la capitale se prêtent avec envie au jeu du capitalisme, en cumulant travail et chauffeur de « navette », des minivans pour touristes. Ils possèdent souvent des 'smartphones', et bénéficient d'un système de bourse étatique qui pallie parfois les injustices d'un système d'éducation privé à partir du secondaire.
L'archipel a aussi développé sa propre identité nationale. Dans les 83 îles sont pratiquées les 108 langues tribales, mais la langue véhiculaire officielle est le bichelamar, un pidjin à base lexicale anglaise, quelques fois française et portugaise. Les échanges internationaux s'effectuent en anglais pour 65% de la population et en français pour les 35% restants.
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La comparaison entre le Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie tient aussi au fait que sur les deux territoires coexistent la culture occidentale et la culture mélanésienne. Dans les deux archipels, la « coutume » - l'ensemble des pratiques traditionnelles des populations autochtones - continue de régir les rapports sociaux et économiques. Surtout à l'extérieur des capitales hypertrophiées, qui concentrent 40% de la population (chaque archipel compte 280 000 âmes).
Hors de la cité, les habitants vivent dans des ensembles tribaux peu compatibles avec l'économie de marché à outrance. L'écrivain d'origine mauricienne et prix Nobel de Littérature 2008 Jean-Marie Gustave Le Clézio a consacré son livre Raga (Éditions du Seuil, 2006) au Vanuatu. Il écrit : « à un certain point (avant l'indépendance sans doute, à l'époque de la grande rivalité entre Anglais et Français, protestants et catholiques), les habitants de ces lieux se sont détournés du progrès et de la vie moderne, ils se sont retournés vers ce qui les avait toujours soutenus, la connaissance des plantes, les traditions, les contes, les rêves, l'imaginaire – ce que les anthropologues ont schématisé sous le nom de kastom, la tradition. »
Pourtant, nombreux sont ceux à percevoir des différences fondamentales entre Calédonie et Vanuatu. « La mentalité n'est pas la même en Nouvelle-Calédonie, estime Hélène, une étudiante vanuataise à l'Université de Nouvelle-Calédonie. Chez nous, il n'y a pas de clochard : si tu n'as plus de travail, tu peux rentrer chez toi et faire ton champ. Tu peux compter sur ta famille et sur tes amis. » « Chez toi » désigne toutes les autres îles alentour.
Le micro-Etat fut décolonisé en 1980, avant l'accélération de la mondialisation. De même, du fait du condominium, ce dernier n'a jamais porté le statut de Dom Tom. Même si la France a partagé la domination effective de l'archipel, la colonisation a été calquée sur le modèle britannique : un retrait rapide après un plan de réforme. Tout l'inverse de la Nouvelle-Calédonie, inscrite sur la liste des pays à décoloniser par l'ONU depuis 1986. Le territoire procède par référendum : 62% de la population pourra voter, dont une minorité de Mélanésiens. Le corps électoral inclut en effet les autres « victimes de l'histoire », les Caldoches, ainsi que les arrivants installés depuis plus de 20 ans. Indépendance ou non, il faut compter avec cette nouvelle population, arrivée il y a 165 ans sur l'archipel.
Retour sur l'histoire : Colonisation franco-britannique, décolonisation « à l'anglaise »
Historiquement, les petits territoires insulaires du Pacifique comme la Nouvelle-Calédonie et le Vanuatu ont fait l'objet d'un intérêt tardif et plutôt tiède. C'est la dernière vague de colonisation au monde. Que ce soit en Polynésie à l'est, en Mélanésie au sud, ou en Micronésie à l'ouest, ce n'est qu'une fois l'Australie explorée que les conquêtes impériales atteignent les petits territoires insulaires.
Dans les années 1770, la Mélanésie (littéralement « les îles noires ») est explorée par les puissances impériales française et britanniques. Les Britanniques soupçonnent un fort potentiel minier en Nouvelle-Calédonie mais ne la colonisent pas. Ils laissent ce petit territoire aux Français après l'avoir évangélisé et pillé le bois de santal.
Aux Nouvelles-Hébrides, les Britanniques protestants dominent l'évangélisation et les Français catholiques accaparent la terre avec une main-d'oeuvre indochinoise. Ils décident de partager la tutelle en 1906 en créant un condominium.
Comme les autres populations mélanésiennes (Kiwis de Nouvelle-Zélande, Aborigènes d'Australie, Kanak de Nouvelle-Calédonie et les autres), les autochtones sont décimés, passant d'environ un million de personnes en 1800 à 45 000 en 1935. Aux maladies et à la répression meurtrière des révoltes s'ajoute le fléau du Blackbirding de 1860 à 1903, un travail forcé s'approchant de l'esclavage, une véritable traite des Mélanésiens, alors que l'esclavage est interdit en France en 1848.
En 1930, explique l'Atlas du Vanuatu (Editions Géo-Consulte 2009) les bénéfices s'amenuisent. Les velléités d'indépendance aussi se font plus fortes. Elles coïncident avec la volonté de puissance de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, qui créent en 1971 le Forum des Îles du Pacifique, une instance de consultation intergouvernementale qui scelle une communauté d'intérêts. Pour cela, « il fallait que les deux puissances coloniales, la Grande-Bretagne et la France, soient exclues de cette région du globe », écrit Alain Bigard dans sa « Chronique d'une décolonisation » (Nouméa, 1984).