Les négociations pour la réforme de l'assurance chômage vont bientôt débuter en France. Le but affiché par le gouvernement est de faire faire plus d'un milliard d'euros d'économie, chaque année pendant trois ans à l'Unedic, l'organisme gestionnaire. Etrangement les prévisions budgétaires de l'Unedic de 2019 à 2021 sont excellentes. L'assurance chômage n'est pas mal en point, alors pourquoi vouloir la réformer ?
Le directeur de cabinet de la ministre du Travail Muriel Pénicaud a dévoilé ce vendredi 21 septembre 2018 les objectifs de la réforme de l'assurance chômage aux partenaires sociaux (syndicats de salariés et patronaux) : faire économiser entre 3 et 4 milliards d'euros sur 3 ans à l'Unedic, l'association paritaire (dirigée par les syndicats de salariés et patronaux) qui gère le dispositif de l'assurance chômage.
Tout comme avec les ordonnances de la "Loi Travail", le but de l'exécutif est de lancer, encore une fois, "
un nouvel acte de la rénovation du modèle social", après l'acte II annoncé en juin concernant la réforme de la formation professionnelle.
En ce qui concerne l'assurance-chômage, cette ambition est déjà critiquée pour son aspect purement comptable par les syndicats de salariés, et même par une partie des syndicats d'employeurs. Sa logique serait bancale : les comptes de l'Unedic seront quasiment à l'équilibre en 2019 et bénéficiaires en 2020.
D'où viennent les trous dans la caisse ?
Le déficit de l'Unedic en 2018 devrait être de 1,4 milliards d'euros, quasiment à l'équilibre en 2019 et bénéficiaire de… 1,6 milliards en 2020 et 3,6 en 2021 !
> Le rapport : "Perspectives de l'assurance chômage 2018-2021"
Les raisons de cette embellie sont simples : la croissance économique s'améliore et les retours sur le marché de l'emploi suffisent à créer suffisamment de recettes pour que l'association paritaire ne perde plus d'argent, jusqu'à en gagner dans moins de 2 ans. Les raisons des déficits actuels — qui durent depuis 2009 — ne sont donc pas si évidentes : une partie d'entre elles ne sont d'ailleurs pas abordées par le cabinet de Muriel Pénicaud, comme celle du financement de Pôle Emploi, la structure qui s'occupe d'aider les demandeurs d'emplois dans leur recherche et de permettre leur indemnisation.
La fusion des Assedics et de "l'Agence nationale pour l'emploi" en une seule entité, Pôle emploi — voulue par Nicolas Sarkozy en 2008 —, coûte excessivement cher à l'Unedic : 10% des cotisations qu'elle perçoit, soit 64% de son budget !
Parallèlement, la balance des recettes et des dépenses pour les salariés en CDI (Contrats à durée indéterminés) indemnisée est fortement bénéficiaire : plus de 10 milliards d'euros par an en 2015 par exemple. Les CDI représentent 85% des contrats, contre 94% il y a 25 ans.
Ce sont en réalité les contrats précaires de type CDD (Contrat à durée déterminée) ou intérim, qui accentuent le déficit de l'Unedic. 2,6 milliards de cotisations perçues contre 8,8 milliards d'euros versés en 2017, soit 6,2 milliards d'euros de déficit pour les seuls CDD…
Ces contrats précaires ont explosé ces dernières années, alors qu'ils représentaient une part bien plus congrue auparavant. 9 embauches sur 10 ont ont été faites en CDD en 2017 ! Le taux d'entrée en CDD a été multiplié par plus de quatre en 25 ans dans les entreprises de plus de 50 salariés.
Malgré cet aspect comptable négatif — bien qu'indépendant de la volonté des salariés ou de l'Unedic — les comptes de l'assurance chômage ne vont pas mal, comme les prévisions de 2018 à 2021 l'indiquent, avec pourtant des taux de croissance économique futurs plus pessimistes que ceux du gouvernement…
Logique comptable à plusieurs vitesses
Alors pourquoi Muriel Pénicaud veut-elle faire faire des économies à l'Unedic si celle-ci doit être quasiment à l'équilibre l'année prochaine et de plus en plus bénéficiaire les années suivantes ? La ministre a indiqué vouloir
"profiter du retour de la croissance pour accélérer le désendettement". Mais visiblement en écartant toute stratégie comptable d'augmentation des recettes.
La "taxe sur les CDD" proposée sous la présidence de François Hollande devait permettre d'inciter les employeurs à moins utiliser les contrats courts et mieux financer les caisses de l'Unedic avec ces contrats. Les négociations avaient échoué à cause du refus du Medef, le syndicat représentant les "patrons". Il semble qu'aujourd'hui, la ministre du Travail ne s'intéresse plus à cette piste, désormais nommée bonus-malus et toujours honnie par les syndicats patronaux. Quant au financement de Pôle-emploi, deuxième coût très onéreux du budget de l'Unedic, là non plus, rien n'est envisagé. Ne reste donc qu'à économiser sur les indemnités versées ou en modifiant les droits de certaines catégories d'allocataires.
Muriel Pénicaud a déjà indiqué où elle pensait qu'il fallait intervenir et faire cesser (ou modifier) certaines situations, trop coûteuses à son goût. D'abord sur le phénomène de la "permittence"
, soit l'enchaînement de petits contrats et de périodes d’inactivité, et les cumuls
de plus de deux ans d'une
allocation-chômage et d'un salaire.
Ensuite, le système des indemnisations dégressives a été aussi mis sur la table par la ministre, et là encore, l'effort repose seulement sur les allocataires. Une voie que dénoncent autant les représentants des employeurs que ceux des salariés : "C'est
une réforme à l’envers (…) parce qu’on part d’un objectif budgétaire pour fixer [un cadre dans lequel] on va reparamétrer l’assurance-chômage », a déploré Jean-Michel Pottier, de la "Confédération des petites et moyennes entreprises", cité par le quotidien
Le Monde. Michel Beaugas du syndicat Force Ouvrière a enfoncé le clou en déclarant :
"L’état d’esprit de l’exécutif, ce sont des économies, des économies, des économies, sur le dos des demandeurs d’emploi" et soulignant que "
Le bonus-malus n’apparaît pas". Pour le syndicat CFDT
, Marylise Léon dénonce un "
ministère du Travail [qui] veut remettre en cause les droits rechargeables qui seraient responsables de la précarité, ce que nous avons fortement dénoncé, car c’est totalement faux". Ce que l'UNEDIC confirme dans son rapport : les droits rechargeables ont permis d'aider à la baisse du déficit :
Explication par l'UNEDIC d'une partie de la réduction du déficit (page 43 du rapport) :
(…) Les mesures de la convention 2014 (introduction des droits rechargeables, suppressions des seuils de cumul allocation-salaire, allongement du différé d’indemnisation) et de la convention 2017 (harmonisation de modalités de calcul de l’allocation, durée maximale de droit des séniors) se traduisent par une réduction du déficit de l’Assurance chômage. Leurs impacts respectifs sont estimés à 450 et 930 M€ d’économie par an, soit 1,5 Md€ au total.
Muriel Pénicaud veut une réforme de l'Unedic basée sur des économies budgétaires — qui n'ont plus lieu d'être —, mais impose que ce soit le seul cadre des indémnisations qui soit modifié. En défaveur des allocataires. Il n'est pas certain que les partenaires sociaux ou les chômeurs indemnisés acceptent facilement cette réforme qui tente de cacher ses véritables objectifs : l'abaissement des droits et des catégories de chômeurs pouvant bénéficier d'allocations. Un abaissement des droits qui peut laisser penser que c'est la disparition du système paritaire d'allocation chômage — avec la main-mise de l'Etat sur ce dernier — qui se profile. Ce qu'Emmanuel Macron avait laissé entendre vouloir faire il y a un an, pour entre autres permettre d'indemniser les démissionaires et les indépendants.