Réforme des retraites en France : des centaines de milliers de personnes dans la rue

Des centaines de milliers de manifestants, des grèves et des perturbations à l'école ou dans les transports : les syndicats ont donné jeudi le coup d'envoi de la contestation pour faire reculer le gouvernement sur sa réforme phare des retraites, saluant d'ores et déjà une mobilisation "réussie".

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Des manifestants place de la République, jeudi 19 janvier 2023 à Paris. Les travailleurs de nombreuses villes françaises sont descendus dans la rue jeudi pour rejeter les modifications proposées aux retraites qui repousseraient l'âge de la retraite. Cette journée de grèves et de manifestations est considérée comme un test majeur pour Emmanuel Macron et sa présidence.
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De Calais à Nice, les manifestants ont battu le pavé dans la matinée, avant que le cortège parisien ne s'ébranle vers 14H15 pour dire "non" au recul de l'âge légal de départ de 62 à 64 ans, sur fond de large mécontentement social dans un contexte d'inflation.

"Je trouve qu'on se fout de notre gueule. Ils ne savent pas ce que c'est que de travailler jusqu'à 64 ans dans ces conditions-là", exprimait avec véhémence Manon Marc, animatrice scolaire croisée dans la capitale.

(Re)lire : France : vers une importante mobilisation contre la réforme des retraites
 

Les villes les plus mobilisées en France

 

Les premiers chiffres remontés par les autorités attestent d'une mobilisation très importante: 36.000 personnes ont ainsi défilé à Toulouse, 26.000 à Marseille, 25.000 à Nantes, 19.000 à Clermont-Ferrand, 15.000 à Montpellier, 14.000 à Tours, 12.000 à Perpignan et Orléans, 6.500 à Mulhouse et Périgueux...

Les pointages de la police ou des préfectures sont particulièrement significatifs dans des villes moyennes, à l'image de Pau (13.600 manifestants), Angoulême (9.000) ou Châteauroux (8.000).

Globalement, les niveaux sont comparables voire supérieurs à ceux du 5 décembre 2019: au démarrage de la contestation contre le précédent projet de réforme des retraites, la police avait compté 806.000 manifestants en France, la CGT 1,5 million.

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AP Photo/Jean-Francois Badias

"C'est énorme"

Dans la foule, beaucoup de primo-manifestants, comme à Marseille, Jérôme Thevenin, cuisinier de 52 ans à la carrière "hachée", qui a longtemps travaillé comme saisonnier. 

"Je n'ose même pas faire le calcul pour savoir quand je pourrai partir. Mais je vois la retraite approcher et je me sens davantage concerné", dit-il, en espérant que la mobilisation "fera réfléchir le gouvernement". 

"Je pense que le million va être dépassé", a déclaré le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, dans le carré de tête de la manifestation à Paris, évoquant une mobilisation "réussie".

"On est clairement sur une forte mobilisation, au-delà ce qu'on pensait", a abondé le numéro un de la CFDT, Laurent Berger, également avant le départ du défilé parisien. "C'est énorme", s'est enthousiasmé Simon Duteil, de l'union Solidaires.

A Marseille, le chef de file de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a estimé que "le gouvernement a perdu sa première bataille, celle d'avoir convaincu les gens de la nécessité de sa réforme".

Les Français n'ayant pas recours au télétravail, qui s'est fortement développé depuis le Covid, doivent composer avec des transports en commun au compte-goutte.

A la SNCF qui affiche un taux de grévistes de 46,3%, la circulation était "très fortement perturbée": un TGV sur trois circule, voire un sur cinq selon les lignes, et à peine un TER sur dix en moyenne. Le métro parisien est également "très perturbé".

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Un voyageur dans une gare vide à Strasbourg, France, le 19 janvier 2023. 
AP Photo/Jean-Francois Badias

"Un conflit dur" : le nombre de grévistes par profession 

 
  •  Enseignement, santé 
De nombreux services publics font également l'objet d'appels à la grève, dont l'éducation, où le principal syndicat, la FSU, dénombre 70% d'enseignants grévistes dans les écoles et 65% dans les collèges et lycées.
 

Le ministère chiffre pour sa part la mobilisation à 42% dans le primaire et 34% dans le secondaire. Quelques dizaines d'établissements ont été l'objet de blocus à Paris, Rennes, Tours et Toulouse notamment.

Près de trois fonctionnaires sur dix (28%) étaient en grève jeudi en milieu de journée dans la fonction publique d'Etat, qui compte 2,5 millions d'agents, selon des chiffres communiqués par le ministère de la Fonction publique, en baisse de cinq points par rapport à 2019.

Dans la fonction publique territoriale (près de deux millions d'agents), le taux de grévistes s'élève à 11,3% et dans la fonction publique hospitalière (1,2 million d'agents), il atteint 9,9%, deux pourcentages supérieurs à ceux du 5 décembre 2019, premier jour de grève contre le premier projet de réforme des retraites.

  • Transports

La grève est très suivie dans les transports avec quasiment aucun train régional, peu de TGV, un métro tournant au ralenti à Paris et une grande banlieue très peu desservie.

Le trafic régional était quasiment arrêté avec 1 TER sur 10 en moyenne et une fréquence à peu près identique pour les lignes Transilien - les trains de banlieue parisienne - et certains RER.

Le taux de gréviste à la SNCF était de 46,3%, dont 77,4% des conducteurs de trains de voyageurs, selon des sources syndicales.

Malgré ces perturbations, le trafic routier francilien restait fluide, selon le site Sytadin, exploité par la Direction des routes d'Ile-de-France.

Il n'y avait aucun trafic au port de Calais, premier de France pour les voyageurs, en raison d'une grève des officiers de port.

  • Energie 

Raffineries et dépôts pétroliers étaient aussi appelés à cesser leurs activités. Dans la raffinerie TotalEnergies de Feyzin (Rhône), où les expéditions ont été suspendues, le taux de grévistes a atteint 86%, selon la CGT.

La direction d'EDF faisait part de 44,5% de grévistes sur ses effectifs totaux à la mi-journée.

Quelque 40% des effectifs du groupe Engie (ex-GDF Suez) au statut des électriciens et gaziers sont en grève, a indiqué l'énergéticien français jeudi après-midi.

Pour les autres salariés français du groupe, de droit privé, le taux de grévistes était de 7%, selon Engie.

24.000 collaborateurs du groupe Engie, soit 55% des effectifs totaux pour la France, sont au statut des industries électriques et gazières et bénéficient d'un régime spécial de retraites. Le projet de réforme des retraites changerait en leur défaveur le mode de calcul des pensions, à ce jour beaucoup plus avantageux que le régime général.

Pour le leader de Force ouvrière, Frédéric Souillot "on est partis pour un conflit dur" et "il faut bloquer l'économie".

(Re)voir : France : quels sont les enjeux de la réforme des retraites ?
 

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"Impôt sur la vie" 

 

Une réponse à Emmanuel Macron, qui a jugé mercredi qu'il fallait "faire le distinguo entre les syndicats qui appellent à manifester dans un cadre traditionnel et ceux qui sont dans une démarche délibérée de bloquer le pays".

Les huit principaux syndicats présentent un front uni inédit depuis 12 ans. Les partis de gauche sont aussi vent debout contre une réforme vue comme "un impôt sur la vie", ont accusé les parlementaires socialistes.

Cette première journée a valeur de test pour l'exécutif comme pour les syndicats, qui se retrouveront à partir de 18 heures pour décider d'une nouvelle date - le 26 janvier est sur la table.

(Re)lire : Réforme des retraites en France : la question des femmes suffisamment prise en compte ?

La CGT du pétrole veut se remettre en grève ce jour-là pour 48 heures, et le 6 février pour 72 heures.

La CGT Mines-Energie a elle aussi annoncé une grève reconductible. Les baisses de production d'électricité se sont déjà fortement intensifiées jeudi, atteignant au moins l'équivalent de deux fois la consommation de Paris.

Avant la présentation du texte en Conseil des ministres le 23 janvier, le gouvernement continue de faire oeuvre de "pédagogie", Elisabeth Borne défendant un "projet porteur de progrès social pour le pays".  

Emmanuel Macron réagit 

 

Emmanuel Macron a dit jeudi espérer que les manifestations contre la réforme des retraites se feront "sans trop de désagrément" pour les Français, et "évidemment sans débordements, ni violences, ni dégradations".

La réforme des retraites a été "démocratiquement présentée, validée" et elle est "surtout juste et responsable", a également déclaré le président français depuis Barcelone à l'occasion d'un sommet franco-espagnol. L'exécutif poursuivra sa réforme "avec respect, esprit de dialogue, mais détermination et esprit de responsabilité", a-t-il ajouté.