Fil d'Ariane
La France a déployé "temporairement" deux chasseurs Rafale en Crète, arrivés de Chypre où ils étaient depuis lundi, et deux navires de guerre (le porte-hélicoptères Tonnerre, qui est arrivé à Beyrouth ce vendredi pour apporter de l'aide après l'explosion meurtrière du 4 août, et la frégate La Fayette) en Méditerranée orientale, pour marquer "sa volonté de faire respecter le droit international", a annoncé Paris. Recep Tayyip Erdogan avait d'ailleurs repproché à son homologue Emmanuel Macron de visées "coloniales" au Liban.
Paris a également condamné une frappe aérienne turque en Irak. Ce vendredi 14 août, la Turquie accuse la France de se comporter en "caïd" en Méditerranée orientale et adressé une sévère mise en garde à la Grèce, au moment où les pays européens se réunissent pour soutenir Athènes.
La France et la Turquie sont "toutes deux des alliés extrêmement importants (au sein) de l'Otan et nous voudrions voir les tensions diminuer" et Paris et Ankara "continuer de coopérer", a affirmé un porte-parole du ministère américain de la Défense, Jonathan Hoffman.
Le Pentagone s'est dit "bien évidemment préoccupé par les incidents qui se produisent en Méditerranée orientale".
Les tensions se sont renforcées ces derniers jours dans cette zone riche en hydrocarbures, Athènes accusant Ankara d'y effectuer des recherches énergétiques illégales dans ses eaux.
Emmanuel Macron a déploré mercredi "les tensions provoquées par les décisions unilatérales de la Turquie en matière d'exploration pétrolière". Il a aussi appelé à une "plus grande concertation" entre Ankara et Athènes sous médiation allemande.
La découverte ces dernières années de vastes gisements gaziers en Méditerranée orientale a aiguisé l'appétit des pays riverains et renforcé les tensions entre la Turquie et la Grèce, toutes deux membres de l'Otan mais en désaccord sur la délimitation de leurs frontières maritimes.
La situation s'est détériorée lundi après l'envoi par Ankara d'un navire de recherche sismique, escorté par des bâtiments de guerre, dans le sud-est de la mer Égée. La marine grecque est également présente dans la zone.
Recep Tayyip Erdogan a prévenu jeudi soir qu'une attaque contre un navire d'exploration turc se payerait au "prix fort", laissant entendre qu'un incident s'était déjà produit.
"Nous leur avons dit +Ne pensez même pas à attaquer l'Oruç Reis, vous payerez le prix fort si vous attaquez notre Oruç Reis+. Et ils ont eu la première réponse aujourd'hui", a déclaré le président turc dans un discours devant son parti, sans donner aucun détail.
Interrogé par l'AFP, le ministère grec de la Défense a nié tout incident.
Plus tôt dans la journée, M. Erdogan avait annoncé s'être entretenu avec la chancelière Angela Merkel. "Il a plaidé pour un règlement des problèmes dans le cadre du droit international et des principes de dialogue et d'équité", a déclaré Ankara. La chancellerie allemande a confirmé l'entretien, sans plus de précisions.
Le président turc a par ailleurs lancé une nouvelle charge contre Emmanuel Macron après le déplacement très médiatisé de son homologue à Beyrouth, deux jours après l'explosion monumentale qui a ravagé le port et plusieurs quartiers de la capitale libanaise.
"Ce que Macron et compagnie veulent, c'est rétablir l'ordre colonial" au Liban, a-t-il affirmé, reprochant au président français de "faire le spectacle devant les caméras".
Emmanuel Macron n'a de cesse de son côté de dénoncer les ambitions régionales de la Turquie, l'accusant de "violer" la souveraineté de la Grèce et Chypre et d'avoir "une responsabilité criminelle" dans le conflit libyen.
En juin, la France avait reproché à la marine turque d'avoir menacé un de ses bâtiments de guerre au cours d'une mission pour faire respecter l'embargo sur les armes à destination de la Libye et pris l'Otan à témoin de cet incident. Le président Macron avait au passage de nouveau jugé l'alliance en état de "mort cérébrale", faute de pouvoir empêcher de tels incidents entre ses membres.
La France a par ailleurs demandé jeudi que "toute la lumière" soit faite sur un tir de drone turc dans lequel deux gradés de haut rang irakiens ont été tués mardi.
L'armée turque, qui procède depuis des semaines à des frappes aériennes contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, opposition kurde en Turquie) au Kurdistan d'Irak, estime être dans son droit face à une organisation "terroriste".
L'Irak dénonce pour sa part une "violation" de sa souveraineté et réclame le retrait des soldats turcs de son territoire.
Ce vendredi 14 août, le gouvernement allemand dit avoir "pris acte" des manoeuvres françaises en Grèce et a appelé Paris, Athènes et Ankara à éviter "l'escalade" dans le conflit en Méditerannée orientale autour de l'exploration d'hydrocarbures.
La question de la délimitation du plateau continental est le principal différend entre les deux pays, membres de l'Otan.
"Il s'agit d'un vieux sujet qui doit être négocié entre les deux pays ou être résolu par la cour internationale de La Haye", explique à l'AFP Konstantinos Filis, directeur de l'Institut grec des relations internationales.
La mer Egée où se trouvent des centaines d'îles grecques souvent très proches des côtes occidentales turques, est considérée comme une mer "fermée", selon de nombreux experts.
Par conséquent la délimitation du plateau continental et des zones d’exploitation économique (ZEE) doit être définie par un accord des pays riverains, en l’occurrence la Grèce et la Turquie, ou tranchée par la Cour internationale de La Haye, selon le droit international de mer.
Des discussions préliminaires bilatérales pour tenter de résoudre les problèmes en Egée ont commencé au début des années 2000, quatre ans après que les deux pays avaient frôlé la guerre près de l'îlot inhabité d'Imia (Kardak en Turquie) dans l'Est de l'Egée.
Mais elles ont été interrompues à plusieurs reprises sur fond de tensions récurrentes entre les deux voisins en Egée et de politiques différentes suivies par les gouvernements des deux pays.
Ces dernières années, la question migratoire a empoisonné les relations gréco-turques, la Turquie utilisant souvent la Grèce, pays membre de l'Union européenne, comme un levier de pression dans sa quête d'un soutien en Syrie ou d'aide financière européenne pour les plus de 3,5 millions de réfugiés accueillis sur son territoire.