Régionales françaises : une vraie claque politique

La classe politique française traditionnelle, engoncée dans ses polémiques est impuissante à enrayer la montée constante du Front national. Et maintenant, place aux déchirures qui vont s’exprimer sur la nécessité, ou non, d’un front républicain contre le front «bleu marine». Revue de presse.
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Marion marechal Le Pen
Selon les résultats du ministère de l’intérieur, le Front national recueille 27,96 % des suffrages exprimés, devant l’union de la droite formée par Les Républicains, le MoDem et l’UDI (26,89 %). A gauche, le PS plafonne à 23,33 %.
 
(AP Photo/Claude Paris)
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«Ça se rapproche»: le titre de Libération est éloquent qui, sur sa «une» de ce lundi, met du bleu-blanc-rouge très brouillé, pour signifier le «résultat inédit qui ouvre le casse-tête de l’entre-deux-tours. Quoique le lexique coloré vire dans une autre tonalité après ces élections régionales sur lesquelles «flotte désormais un drapeau brun». Le quotidien crie: «Au feu!»

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Du coup, le message de Libé est clair, même si ses lignes ont dû avoir quelque peine à s’écrire: un tiers des Français a voté pour le Front national (FN), «mais les deux tiers ne veulent pas de sa politique. Dans ces conditions, la logique classique de l’ennemi principal doit s’imposer. Entre droite et extrême droite, il faut choisir le moindre mal. Tout républicain doit comprendre que le pire est devant lui. Et tout faire pour l’éviter.»

La France se réveille donc encore sous le choc de cette percée historique au premier tour des élections régionales. Le FN arrive en tête dans six régions et le PS se retire de la course dans les deux les plus sensibles, Nord-Pas-de-Calais-Picardie et Provence-Alpes-Côte d’Azur. D’ailleurs, le Financial Times a jugé ces nouvelles suffisamment importantes pour y consacrer à la «une» 25 lignes… et c’est tout. Cette victoire, juge-t-il, installe un «momentum» avant la présidentielle de 2017.

Courrier international a fait un rapide tour de quelques titres de la presse européenne ce dimanche déjà. Pour constater que Le Soir de Bruxelles parlait de «percée historique». Son éditorialiste écrit ce matin que «le raz-de-marée était annoncé, rien ne l’a arrêté. Et le sourire carnassier de Marine Le Pen en direct de Hénin-Baumont, ce dimanche soir […], était bien glaçant.»

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«Le FN à l’assaut du pouvoir pour la première fois en France», titre pour sa part ce matin El País, à Madrid: «Marine Le Pen confirme que l’extrême droite est le premier parti de France», alors que ce premier tour «consacre aussi l’écroulement du Parti socialiste de François Hollande» et que «le centre droit vit une défaite relative, à la fois incapable de capitaliser sur la défaite socialiste et de gagner du terrain sur l’extrême droite».

Mais le plus cocasse, dans tout cela, c’est que les deux quotidiens les plus opposées qui soient sur le spectre politique en France, Le Figaro et L’Humanité, titrent à l’unisson: «Le choc». Pour le premier, ce séisme est le fruit d’une colère: «Une colère qui vient de loin. Une colère froide, brutale, sans nuance ni merci. Elle a mijoté trente ans au feu de l’impuissance publique et des échecs gouvernementaux. […] Dimanche, sur son passage, elle a tout emporté.»

«Que ceux qui ont des oreilles entendent»…

Et ce quotidien d’entonner le cri du rassemblement: la droite «doit, sans fausse pudeur, revenir à ses fondements: l’autorité dans les fonctions régaliennes, la liberté dans le domaine économique, la protection dans le domaine social et culturel. Faire non pas de Marine Le Pen mais de la France son unique obsession. La considérer dans son âme, sa culture, son identité. Elle doit remonter aux sources de la démocratie, c’est-à-dire entendre la voix du peuple plutôt que celle des experts. Au moment où l’Histoire revient dans sa force tragique, la droite doit, en somme, se hisser à la hauteur de ce que fut notre récit national. […] Que ceux qui ont des oreilles entendent. Demain, il sera peut-être trop tard…»

Selon le site Boulevard Voltaire, «pour le Front national, quoi qu’on pense du parti et de sa dédiabolisation, on ne peut que constater l’efficacité redoutable de la stratégie imposée par Mme Le Pen, à savoir la synthèse réussie entre peurs sociales abandonnées par la gauche et inquiétudes identitaires délaissées par la droite. Une telle approche lui permet de mordre sur tous les électorats.»

«Il y a le feu à la maison. Prenez les seaux»

Quant à L’Huma, elle ne fait pas dans la dentelle: «L’ombre brune portée sur le premier tour des régionales», écrit-elle. Et la chronique latine de Jean Ortiz? «Françaises, Français, le fascisme ne passera pas par nous! […] L’heure est grave. Le fascisme est à nos portes. Nul ne l’a vu arriver. […] Qu’importent nos reculades, nos reniements, qu’importent nos antagonismes de classe, […] oublions tout, chers compatriotes! Faisons table rase du passé. Soyons amnésiques. Il y a le feu à la maison. […] Prenez les seaux. Ne soyons pas sots.»

Le choc est aussi «brutal» pour La Croix, et «les questions de conscience […] ne se posent pas que pour les états-majors des partis politiques. Chaque citoyen doit lui aussi s’interroger. […] Hier, seulement la moitié des électeurs se sont rendus aux urnes. Dimanche prochain, dans plusieurs régions, un parti extrémiste sera en mesure de conquérir le pouvoir. On ne peut pas se résigner à l’idée qu’un choix symboliquement aussi lourd repose sur une base de votants étroite. […] In fine, c’est à l’électeur qu’il appartiendra de déterminer pour qui il vote et choisir en conscience pour ou contre une victoire de l’extrémisme. […] C’est ensuite que tous, nous devrons nous interroger sur la réponse à apporter à la colère et au désespoir qui se sont exprimés […]. Chantier gigantesque.»

«De la protestation à l’adhésion»

La Voix du Nord, qui avait pris très clairement position contre le parti de Marine Le Pen avant le premier tour, ne peut que constater que «la vague FN ne faiblit pas» et que le vote des électeurs est passé «de la protestation à l’adhésion», écrit-elle. Le quotidien le craignait depuis le 23 octobre: «De même que les chars russes n’ont pas envahi Paris après le 10 mai 1981 contrairement à certaines prédictions, Marine Le Pen ne fera pas du Nord- Pas-de-Calais-Picardie ce que Pinochet fit du Chili en septembre 1973.»

»Quel programme Marine Le Pen mettra-t-elle en œuvre, elle qui fait campagne sur l’immigration sans avoir aucun moyen de peser sur elle? Comment une si farouche opposante à l’Europe gouvernera-t-elle une région frontalière qui lui doit tant? Comment aidera-t-elle au redressement d’une région avec la vision économique autarcique et passéiste qui est la sienne? Avec qui gérera-t-elle la région, quand on connaît la pauvreté du parti en cadres de haut niveau? S’intéressera-t-elle à la région une fois l’élection acquise, alors que se profilera l’élection reine de 2017?»

Le marchepied vers l’Elysée

Questions abyssales, que Le Monde aligne aussi les unes derrière les autres à propos de ces résultats: «Faut-il y voir le résultat de la volatilité de l’électorat? De la crainte née des attentats du 13 novembre à Paris? D’un ras-le-bol généralisé? De la stratégie de Marine Le Pen?» Dans son esprit, l'«ancrage local n’a pas d’autre but que de servir de marchepied dans la conquête de l’Elysée. «Les gens ne savent pas vraiment à quoi servent les régions; c’est l’occasion pour eux de faire passer le FN sans risque, pour voir», estimait ces derniers jours un candidat frontiste. Peut-être verront-ils, dès dimanche prochain.»

Mais «comme attendu, la question du retrait ou du maintien des listes arrivées en 3e position à l’issue du 1er tour, dans les régions où le FN peut l’emporter en triangulaires, a […] dominé les débats dimanche soir, indique France-Soir. Des décisions difficiles à prendre, le retrait d’une liste signifiant pour un parti de n’avoir aucun élu au conseil régional pendant près de six ans.»

Mais attention: ces élections sont les dernières prévues en France avant la présidentielle de 2017, pour laquelle Marine Le Pen est aussi donnée en tête des intentions de vote au premier tour.