Reiser : il y a 30 ans mourrait un crayon de soleil...

Il y a 30 ans, l’insolence perdait l’un de ses plus fidèles garnements. Reiser, l’enfant terrible de la BD, cassait sa pipe. A 42 ans.
Aujourd’hui, jour anniversaire de sa disparition, aucun journal francophone ne daigne rendre hommage à cet immense pourfendeur de la connerie humaine. Signe évident qu’il continue de déranger. Tant mieux. 
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Reiser : il y a 30 ans mourrait un crayon de soleil...
Jean-Marc Reiser et “Jeanine“ (photo de Arnaud Baumann)
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Reiser : il y a 30 ans mourrait un crayon de soleil...
Dynamiter les hypocrisies

Dans une époque, la nôtre, où l’on traque les fumeurs, où l’on guette les dérapages de nos humoristes au nom du bon goût, de la bienséance, des idées lisses et de l'artistiquement correct, Reiser nous manque. Cruellement. Il est celui qui a permis, avec Topor, Cavanna, Fred, Cabu, Choron, Wolinski, de tailler la route et d’ouvrir la voie aux Guignols sur Canal +, à Karl Zero, à Benoit Dellepine, à Albert Dupontel. Ses crayons ont dessiné de nouvelles perspectives de liberté. Son courage éditorial a élargi l’horizon de la presse gangrénée par la  censure.
Pour dénoncer l’insupportable et dynamiter les hypocrisies de son temps, le bonhomme utilisait ce qui fait et fera toujours scandale : le sexe et la religion ou, variante, le sexe dans la religion ou encore la religion du sexe. Ivrognes, femmes frondeuses, chômeurs, tarés, pervers, jouisseurs, Reiser habillait toutes ses cibles avec une grossièreté jamais vulgaire et une outrance toujours rafraichissante.
De l’alcool fort, ce Reiser ! Il la connaissait bien, lui, la musique du grincement ! En vérité, ce féroce était un cœur tendre et aussi, qui le sait ? -  un formidable avocat de la cause écologique. 

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La rencontre décisive

De son enfance pauvre, très pauvre, il gardera un œil vif, toujours en alerte, pour comprendre et croquer d’un trait la mécanique humaine de ses contemporains.
Il était né en Lorraine, le 13 avril 1941, fils de Charlotte, femme de ménage et d’un père inconnu, vraisemblablement un soldat allemand. Il quitte le lycée à 15 ans et vient tenter sa chance à Paris. On le retrouve coursier chez le caviste Nicolas, où il place (déjà) quelques dessins sous le pseudonyme de Jean-Marc Roussillon. La rencontre décisive a lieu quelques années plus tard. A 16 ans, il fait la connaissance de Cavanna, un des fondateurs de Zéro, de Hara-Kiri et de Charlie-Hebdo. Il est rapidement adopté par toute l’équipe libertaire et, encouragé par elle, il laisse éclore son talent. Comment Reiser n’a-t-il pas pu être séduit par la profession de foi de ce Cavanna, grand frère imprévisible qui ose écrire dans un éditorial-manifeste : « Assez d'être traités en enfants arriérés ou en petits vieux vicieux! (...) Du jeune, crénom! Du vrai jeune! (...) Nous sommes les petits gars qui veulent leur place au soleil. Nous avons la dent longue et le coude pointu. NOUS NE SOMMES A PERSONNE ET PERSONNE NE NOUS A. »

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La légende des bulles 

"Je dessine le pire parce que j'aime le beau", disait-il. Et son trait, reconnaissable entre tous, entre rapidement dans la légende des bulles. Il collaborera aussi à Pilote, au Nouvel Observateur.
Une ligne tremblée, quelques coups de crayons pour planter le décor, un texte au vitriol, l’efficacité du style Reiser est immédiate et jubilatoire.  Son style de dessin ?  « Une écriture pour transmettre des idées. » Parcourons son « intégrale »:  On vit une époque formidable, Mon Papa, Les Copines, Jeanine, Vive les femmes, La Vie des bêtes, Ils sont moches!, rien n’a vieillit. Et le rire qui nous prend, d’abord un peu gêné, finit par éclater franchement. Comme une grenade. Et qu’il est bon ce rire-défouloir ! Comme il fait du bien !

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Aimable et timide

Rien de gratuit, pourtant, dans ce jeu de massacre.
Reiser se remet en question tout les jours. Il déplore que la politique occupe une si grande place dans nos vies. De toutes les façons, « un artiste doit être libre et  ne doit être qu’antigouvernemental… quelque soit le gouvernement ! ». Il se félicite que la bande dessinée touche toutes les couches de la société,  « contrairement à la littérature ». D’ailleurs, il ne fait pas de distinction entre la BD pour enfant et celle pour adulte. Le dessinateur, aimable et timide, affirme qu'il n'a pas de sujet tabou. L'important,  toujours, c'est de faire rire.

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Le slip douteux

Et tous les moyens sont bons. Absolument tous. Un « gros dégueulasse » au slip douteux,  lubrique, au mégot moribond, un flic taré, une « Jeanine » folle de son corps, femelle,  sexuelle et provocante, Reiser ne s’embarrasse de rien. Il zigouille à tout va. On le taxe de phallocrate ? De misogyne ? Les féministes s’étranglent de colère ? Il hausse les épaules. C’est bien mal le connaître. Reiser est un grand amoureux des femmes. Le copain de Coluche et de Georges Perec ne répète-t-il pas :  « Les femmes qui veulent être les égales des hommes manquent sérieusement d’ambition !  » Au fond, il s’en fout. Il poursuit son œuvre. Qui l’aime le lise. Quant aux autres, n’est-ce pas….

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Jamais encarté

Sur les plateaux télé, on l’invite pour parler écologie, son autre grande passion. A cause du nucléaire et du pétrole, dit-il,  « on va tous crever ! » Il  parle de sa maison solaire à Font-Romeu et du coût des capteurs solaires qu'il juge, certes élevé, mais pas exorbitant. On le découvre spécialiste sur la question …mais jamais encarté. Il puise son savoir dans l’expérience et le bon sens.  Ce grand fossoyeur des illusions  est intarissable quand il s’agit de fustiger le lobby nucléaire, l'hypocrisie des « belles maisons anciennes » qui fonctionnent avec des énergies polluantes comme « la cuve à mazout, que l’on cache dans le sous-sol ».  Que n’aurait-il pas dit au moment du drame de Fukushima !
Il étonne. Il séduit. Il agace. Mais la maladie va bientôt le faire taire. 

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Un opéra sur le cancer

Un médecin lui découvre un cancer du fémur. Aussitôt, il envisage un opéra sur le sujet ! Il contacte son ami Georges Perec. Mais, triste présage, l’écrivain est emporté avant lui. Quelques jours après sa mort, Charlie Hebdo détourne une des plus célèbres couvertures de Reiser sur Franco et titre : « Reiser va mieux, il est allé au cimetière à pied » et sur sa tombe, au cimetière Montparnasse, l’équipe dépose une gerbe portant ces mots : « De la part de l’équipe d’Hara-Kiri (en vente partout) » Cavanna dira : « Je viens de perdre un petit frère » et Wolinski, très ému : « C’était un homme ».
Et il nous manque terriblement.