Religion : être athée sans danger ?

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Religion : être athée sans danger ?
Une manifestation d'athées à Washington en 2012 ©AFP
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En Syrie, en Irak, en Centrafrique, … la religion a été placée au cœur des récents conflits. Mais dans ces pays comme ailleurs, peut-on vivre comme un(e) athée sans danger ? Quelle place tient aujourd’hui cette partie de la population dans nos sociétés ? Réponses.
Sunnites, chiites, chrétiens, musulmans, … autant d’appartenances religieuses qui cristallisent l’attention médiatique de ces derniers mois. Autant de religions et de minorités au cœur de certains conflits toujours en cours.  Selon le groupe de réflexion américain Pew research, 47% des pays connaissent des violences contre des minorités religieuses, au lieu de 24% en 2007.

Dans ce contexte, qu’en est-il des athées ? Groupe, certes, non religieux de la population, mais une minorité souvent oubliée, victime de pressions et d’oppressions, mais qui donne aujourd’hui de la voix.

Toujours selon Pew research, 31,5% de la population mondiale est chrétienne, plus de 23% musulmane et 16% de personnes seraient « non affiliées » à une religion, c’est-à-dire athées, agnostiques, humanistes,… (voir le lexique en dessous de cet article). Une étude menée en 2012 par l’institut de sondage suisse WIN-Gallup International est même plus précis. Sur les 50 000 personnes interrogées dans 57 pays : 59% se considèrent croyantes, 23% déclarent ne pas l’être et 13% se disent clairement « athées convaincues ». (voir la carte réalisée par le Washington Post)
 

Sortir de l’ombre

Les athées seraient-ils plus nombreux qu’avant ? « C’est vrai qu’il y a 10 ou 20 ans, c’était (le mouvement athée, ndlr) beaucoup plus rare et même impalpable », explique Patrice Dartevelle, co-fondateur et secrétaire de l’Association Belge des Athées. « Les combats contre l’Eglise se sont faits sous le drapeau d‘un autre concept : la laïcité. C’est ce qui a été mis en avant dans les pays francophones et latins. Du côté anglo-saxon, c’est plutôt l’humanisme. A partir du moment où la laïcité mise sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le combat est rarement explicitement athée. Il nous a semblé que cela pouvait conduire à des incompréhensions et à une forme perpétuée de dissimulation ou d’athéisme honteux. » D’où la création de cette association belge comme il en existe en France ou aux États-Unis. Selon Patrice Dartevelle, les temps auraient donc changé. Les athées se rassemblent et se font connaître au travers des réseaux sociaux.
 
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Les deux fondateurs des Sunday assemblies à Londres lors dun regroupement athée ©AFP

Messe laïque


En Angleterre, en Allemagne, en Belgique, au Canada, aux États-Unis, en France,  en Hongrie, en Nouvelle Zélande, aux Pays-Bas,... on peut désormais assister à des « Sunday Assemblies » athées. En tout, 36 villes à travers le monde organisent ces « assemblées du dimanche », une idée lancée en janvier 2013 par deux comédiens britanniques : Sanderson Jones et Pippa Evans.

Le concept de ces réunions ?  Ni dieux, ni rituels religieux au programme mais des chants, des discours… et des recueillements. Leur devise ? « Vivre mieux, aider souvent, questionner davantage. »

Si ces rassemblements athées regroupent en général moins d’une centaine de personnes, Londres bat des records avec jusqu’à 400 personnes qui se réunissent. Certains participants ont expliqué à un journaliste de la BBC qu’ils y voient une « congrégation de personnes non religieuses » dans un pays où plus de 14 millions de personnes se disent sans religion, selon un recensement de 2011.

Même si les fondateurs des assemblées du dimanche rejettent l’établissement d’une nouvelle religion, des participants ne partagent pas cet avis : « C’est inévitable, un système de croyance va se mettre en place », confie à la BBC un architecte présent lors d’une réunion londonienne.

« Cela ressemble à une nostalgie du rite catholique et révèle le sentiment d’un manque par rapport à des rites que l’on essaye de modifier », considère Patrice Dartevelle, de l’Association Belge des Athées. Ces réunions connaissent pourtant un succès croissant en Europe et aux États-Unis, où pourtant selon WIN-Gallup International, seules 5% des personnes interrogées se déclarent athées.
 

Ex-musulmans


Dans le monde arabe, ceux qui ne croient pas en Dieu décident aussi de sortir de l’ombre. Ils profitent du développement des réseaux sociaux depuis les révolutions de 2011 pour partager leurs idées sur la toile. Ils créent des groupes sur Facebook qui font régulièrement l’objet de dénonciation. En Tunisie ou en Égypte, par exemple, leurs auteurs sont accusés de subvertir les mœurs de la société arabe. 

En Europe, certains apostats se regroupent en associations. C’est le cas en France avec le Conseil des ex-musulmans de France (CEMF). Français, Indiens, Égyptiens, Algériens, Tunisiens, Syriens se détournent de leur religion et l’affichent ouvertement. En Belgique, l’association des ex-musulmans créée en 2012 a un double objectif : défendre les intérêts des apostats et exprimer une critique raisonnée de l’Islam. 
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Des musulmans devant une mosquée ©AFP
 

Un danger ?


Mais se déclarer athée aussi ouvertement ne se fait pas sans heurt au sein des communautés religieuses et dans certains pays. Si selon le sondage WIN-Gallup International, 47% des personnes interrogées en Chine sont athées, d’autres chiffres sont bien plus surprenants comme en Irak, au Ghana, en Tunisie ou au Vietnam, où aucune personne interrogée ne s’est dite athée. Et pourtant… « Du côté des pays musulmans où règnent une forte dictature religieuse et idéologique, les choses sont très très dissimulées, souligne Patrice Dartevelle. Mais il y a tout de même des signes. On se doute bien qu’il y a quand même quelques athées. »
 
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Une médine en Arabie saoudite ©AFP

Acte de rébellion


Dans les pays où la religion est omniprésente, exprimer son athéisme représente un acte de rébellion. Le risque de se faire rejeter par ses proches, par la société et même de se voir jeter en prison pour blasphème est bien réel. C’est le cas notamment en Tunisie et en Égypte où pourtant « la liberté de croyance est garantie dans la Constitution mais le gouvernement égyptien considère que l'athéisme est aussi dangereux pour la société que l'extrémisme religieux », rapporte une journaliste de France 24. Elle détaille aussi dans son reportage les mesures prises (campagne, site internet) par le gouvernement pour convaincre les athées de retrouver leur foi.

Difficile d’affirmer que l’on peut et veut vivre sans religion sans être stigmatisé dans certains pays où l’athéisme reste encore très tabou. En Irak, où plus de 95% de la population est musulmane, les athées risquent de s’attirer les foudres des milices religieuses. Pourtant, les jeunes semblent plus enclins à se détourner de la religion. « La nouvelle génération en a marre des extrémistes religieux qui sont responsables de l’éclatement du pays, confie un étudiant de Bassorah à un journaliste de Your Middle East. Les jeunes voyagent, lisent, regardent la télévision et sont connectés à Internet…, ils ont devenus sceptiques vis-à-vis de leur religion. »

En Arabie saoudite aussi les langues se délient. Selon le sondage WIN-Gallup International, seulement 5% de la population se dit « athée ». Pourtant se dévoiler ainsi n’est pas sans risque dans ce pays. En janvier dernier, le royaume a promulgué une nouvelle loi anti-terroriste qui interdit tout pensée dissidente. Parmi les dispositions de ce nouveau texte, il est stipulé que l’appel à l’athéisme ou la remise en cause des principes fondamentaux de l’islam sur lesquels est fondé le pays, sont désormais considérés comme un crime.

 
Définitions

ATHEE : Personne qui ne croit pas en Dieu, nie l'existence de toute divinité.
AGNOSTIQUE : Personne qui professe l'agnosticisme, doctrine d'après laquelle tout ce qui est au-delà du donné expérimental est inconnaissable.
HUMANISTE : Partisan de l'humanisme philosophique (théorie ou doctrine qui prend pour fin la personne humaine et son épanouissement).
LAÏC : Qui est indépendant de toute confession chrétienne.