Religion : le renouveau des croyances païennes

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Religion : le renouveau des croyances païennes
Cérémonie païenne en Ecosse en 2012 - ©AFP
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Ils seront plusieurs milliers en costume, prêts à sauter au-dessus du feu et à offrir des guirlandes à des déités de la nature et aux Aïeux. Des femmes flotteront dans une rivière dans l’espoir de trouver un mari... Plusieurs milliers d’adeptes du feu sacré et de la célébration de la foi indigène se réunissent ce week-end à Lodz (Pologne). Retour en force du paganisme ? Le phénomène n’est pas propre au pays de Jean-Paul II. Il progresse partout en Europe et aux Etats-Unis. Tour d'horizon.
En 2004, la communauté des druides du Québec est reconnue comme communauté religieuse par le gouvernement du Québec. Ces mêmes druides sont également reconnus en 2010 comme mouvement religieux au Royaume-Uni par la très respectable Charity Commission, émanation du Gouvernement britannique.
Ces néopaïens, adeptes de déguisements et des rituels dans la nature, essaient progressivement de sortir de leurs images décalées et se font de plus en plus visibles dans le paysage religieux de nombreux pays depuis la fin des années 1990 selon Kaarina Aitamurto, spécialiste du néopaganisme à l’université d’Helsinki. "Les études se multiplient. Nous commençons seulement à récolter des chiffres. En 2011, une première statistique officielle britannique recensait près de 60 000 païens dans le pays. Cette mouvance reste encore très minoritaire. Elle n’est cependant pas insignifiante," estime la chercheuse finlandaise.
Aux Etats-Unis, l’université du Connecticut comptabilisait, dans un portait des pratiques religieuses réalisé dans les années 1990, un peu plus de 8000 Wicans, disciples d’un culte néopaïen célébrant la nature. En 2001, ils étaient plus de 135 000 fidèles. Le nombre de néopaïens aux Etats Unis serait aujourd’hui compris entre 250 000 et 300 000 selon différentes estimations universitaires...
Religion : le renouveau des croyances païennes
Plus de 20000 personnes rassemblées sur le site archéologique de Stonehenge le 21 juin 2013 pour marquer le solstice d'été - ©AFP
Nuances
Mais qu’est ce qu’un néopaïen ? Stéphane François, chercheur au sein du laboratoire Groupe, Sociétés Religions Laicité du CNRS fait une distinction claire entre le néopaganisme contemporain et d’autres formes traditionnelles religieuses comme l’animisme en Afrique ou le chamanisme en Sibérie orientale et en Asie centrale, ou encore l’hindouisme. "Ce sont des religions que l’on pourrait considérer comme païennes, mais ces spiritualités n’ont pas cessé d’exister", indique Stéphane François. Les néopaïens ont, eux, une histoire relativement jeune et constituent surtout un phénomène occidental. "Le néopaganisme serait né au XVIIIème et XIXème siècle en Europe. Il est issu de l’occultisme ou du romantisme", indique le chercheur.
Les chapelles néopaïennes sont nombreuses, mais possèdent quelques pratiques en commun. Le paganisme contemporain se fonde d’abord sur le refus des dogmes monothéistes. Il se caractérise par une conception panthéiste et polythéiste de la religion. "Le néopaïen postule l’existence de lieux sacrés prédestinés, propices à la célébration des cultes et à l’existence de cycles cosmiques qui forceraient ainsi les hommes à se mettre en harmonie avec la terre, le monde", décrit Stéphane François.
Le site le plus connu reste celui de Stonehenge, grand monument mégalithique situé dans le sud de l’Angleterre. Plus de 20 000 personnes y viennent chaque année assister aux cérémonies du solstice d’été dirigées par des néopaïens. Les néopaïens privilégient, eux, le contact et le dialogue direct avec la nature. "La Terre et l’univers sont perçus comme un grand tout harmonieux auquel l’homme est seulement associé", précise le chercheur français. Ces spiritualités ne sont pas centrées sur l’homme.
Le néopaganisme se manifeste également par la réapparition de cultes consacrés aux divinités préchrétiennes. "Il y a une fascination et une idéalisation des paganismes antiques et des sociétés traditionnelles". Les communautés religieuses indigènes polonaises entendent relancer de vieilles croyances slaves préchrétiennes, où les dieux étaient associés à des forces de la nature. Les régions celtes veulent faire revivre les cultes de leurs ancêtres. "Il s’agit la plupart du temps d’une reconstitution d’une religion fondée sur des recherches pseudo historiques", ajoute Stéphane François. "Un gallois du nom de Iolo Morgwang, au XVIIIe siècle, aurait ainsi redécouvert des textes anciens sur le druidisme. En fait, on ne sait pas grand-chose sur les pratiques religieuses des Celtes", indique pour sa part Philippe Le Stum, historien, conservateur du musée départemental breton de Quimper.
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Cérémonie funéraire animiste en Casamance (Sénégal) - Capture Youtube
Retour aux racines
En quelques années les néopaïens sont donc ainsi sortis de l’ombre. Les raisons de cette première petite percée sur le marché des croyances religieuses semblent nombreuses et diverses. La recherche identitaire reste très forte. "Paradoxalement, dans un monde de plus en plus globalisé et connecté, l’individu entend retrouver ses racines historiques, qu’elles soient réelles ou imaginaires", explique Kaarina Aitamurto, spécialiste du néopaganisme. 
Marc Beaulieu organise dans la petite ville de Rawdon, au Québec, des cérémonies druidiques. Huit fois dans l’année, quelques 70 fidèles y célèbrent le rythme des saisons. L’homme voit une filiation personnelle dans ses pratiques druidiques : "Mon nom Beaulieu vient de France. Nous sommes des Celtes du Québec. Dans le village de Beaulieu, il y a un grand Dolmen. Mes ancêtres étaient peut-être druides", plaide sérieusement le fidèle. "Le renouveau du néodruidisme en Bretagne dans les années 1990 reste intimement lié aux mouvements régionalistes et à la redécouverte de la langue bretonne. Les cérémonies druidiques n’ont rien d’historique, mais le culte est toujours fait en Breton", indique Philippe Le Stum, historien. Ainsi, la quête identitaire chez de nombreux fidèles constitue un facteur d’adhésion à ces mouvements. "Le druidisme a un lien avec la Bretagne et la France, et ce lien est fort pour moi en tant que Québécois", explique ainsi Marc Beaulieu.
Dans l’est de l’Europe, la croissance des mouvements néopaïens est intervenue au moment de la chute du communisme. L’instabilité politique et sociale, alliée à l’apparition d’un capitalisme sauvage, ont fragilisé de nombreuses communautés. Le besoin de se recentrer sur la nature et sur la célébration de son sol ou de sa patrie explique en partie l’émergence de ces nouvelles spiritualités dans les anciens pays du bloc de l’Est. "Elle est liée aux réveils nationalistes dans cette partie de l’Europe", analyse Kaarina Aitamurto
La croissance des ces nouveaux cultes trouve désormais un relais dans le désamour d’une partie des populations occidentales pour les grandes institutions religieuses. "Les scandales de pédophilie m’ont détourné de l’église catholique", reconnaît ainsi Marc Beaulieu. "Parmi la gent féminine, beaucoup considèrent que les différentes formes du christianisme laissent peu de place aux femmes et que le corps de la femme, dans les religions monothéistes, reste souvent perçu comme impur et source de péchés. Le divin est ici féminisé. Gaia, la Terre, est représentée sous la forme d'une déesse", indique Kaarina Aitamurto.
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Mariage druidique en Bretagne - Capture Youtube
Ecologie
L’accomplissement personnel joue également un rôle important. Le déroulement des rituels n’est jamais sacralisé, chacun peut exprimer une certaine créativité. On crée ses costumes ou sa musique. "Il y a une dimension très participative et artistique. La parole est assez libre et chacun peut exprimer ses vues théologiques", précise la sociologue finlandaise.  
La croissance de ces nouveaux cultes à partir des années 1990 correspond également à une prise de conscience de la dégradation de la planète dans une grande partie de l’opinion publique. "Les néopaïens sont tout d’abord des écologistes. La Terre, Gaia, est célébrée comme une déesse mère. Il faut la protéger des agressions des hommes", précise Kaarina Aitamurto.
Selon Stéphane François, le néopaganisme a retrouvé une certaine vigueur au moment du développement de l’écologie politique en Europe. Les cultes néopaïens peuvent-ils davantage s’imposer dans le paysage religieux des pays occidentaux ? "Le néopaganisme ne deviendra pas d’ici quelques années un mouvement religieux capable de concurrencer les grandes religions, mais il peut s’affirmer comme une minorité religieuse qui compte, estime Kaarina Aitamurto. La recherche de ces racines dans un monde jugé instable et globalisé devrait continuer à favoriser son développement".

Paganisme et groupes identitaires

Par P. Desorgues
Paganisme et groupes identitaires
Un néopaïen d’extrême droite parcourait les forêts de Corrèze. Kristian Varg Quisling Vikernes, militant norvégien, arrêté le 16 juillet dernier, puis libéré faute de preuves, était soupçonné de préparer un acte terroriste d’envergure. Varg, le loup en norvégien, bloguait sur les cultes nordiques et scandinaves pré chrétiens.
Une non-surprise pour Stéphane François, spécialiste des mouvements néopaïens. "Les néopaïens postulent l’existence de lieux prédestinés à des pratiques religieuses. Ceci se combine avec l’idée d’un enracinement des populations que pourrait mettre en danger l’immigration. Une mouvance du néopaganisme peut ainsi défendre des particularismes ethniques", estime le chercheur. Ce néopaganisme trouve un écho chez certains groupes identitaires. L’association Terre et Peuple, fondée en 1994 par deux anciens du front national, regrouperait 700 néopaïens. Elle revendique une identité enracinée par l’héritage des Gaulois. En Europe de l’Est, les dirigeants de la religion indigène d’Ukraine, défenseurs de l’identité indo-européenne, ont multiplié les stéréotypes antisémites. "Les mouvements néopaïens en Europe centrale et orientale sont effectivement nationalistes, mais l’ensemble des néopaïens ne peuvent pas être réduits à cette dimension. Les tendances idéologiques sont trop nombreuses et éclatées. Le féminisme, la contre-culture hippie et le ‘New Age’, approche individuelle et éclectique de la spiritualité, ont fortement influencé le renouveau du néopaganisme", estime Kaarina Aitamuto, sociologue finlandaise.