Une France sans profs, l'image étonne dans un pays où la salle de classe a été sacralisée par la littérature, et érigée en priorité des principes républicains. La France de Victor Hugo et de Jules Ferry est pourtant devenue un cancre mondial, avec le plus bas taux d'encadrement des 34 pays de l'OCDE pour ce qui est de l'école primaire. Autre originalité française : on envoie les tout jeunes enseignants, ceux qui par définition ont le moins d'expérience, dans les écoles les plus difficiles contrairement à ce qui est fait en Chine, par exemple, où les professeurs les plus expérimentés sont affectés aux quartiers les moins favorisés. De quoi décourager les vocations professorales françaises, dont beaucoup constatent qu'elles sont en crise.
Il n'y a "pas de crise des vocations dans ce pays", défendait le ministre de l'Education mercredi 29 août devant un parterre de journalistes venus entendre le détail de la "refondation" de l'école française. Pour Vincent Peillon, parler de crise des vocations, c'est imposer une "responsabilisation des jeunes", les rendre coupables des conditions dont ils ont été les premières victimes. L'ancien professeur de philosophie revient même sur l'étymologie du terme "vocation", issu du latin vocare : appeler. Si les jeunes générations n'ont pas entendu "l'appel" à devenir professeur, c'est donc que les conditions qui leur ont été faites n'étaient pas des plus engageantes. Comme le reste du gouvernement, Vincent Peillon dénonce ainsi le bilan de ses prédécesseurs, en première ligne la réforme de la masterisation de Xavier Darcos
Une explication mécanique que partage Christian Chevalier, secrétaire général du syndicat des enseignants de l'Unsa (Union nationale des syndicats autonomes) : "avec la masterisation Darcos, le recrutement n'est plus au niveau de la licence (3 ans - ndlr), mais au niveau de la maîtrise (5 ans - ndlr), c'est à dire que là ou vous aviez au niveau de la licence un vivier de 150 000 personnes en moyenne, vous n'avez plus qu'un vivier de masterisés de 80 000 personnes". Christian Chevalier confirme donc bien qu'"il y a une crise de vocation, les chiffres sont têtus : 700 postes vacants au CAPES cette année, dans des disciplines d'ailleurs importantes comme les mathématiques, l'anglais ou les lettres modernes pour les principales disciplines déficitaires." Même si le syndicaliste propose aussi une réserve étymologique : "vocation relève d'un vocabulaire religieux, ce qui m'énerve toujours un peu, c'est mon côté laïcard, je préfère dire que c'est un métier d'envie, je crois qu'on a envie de s'occuper des autres, donc c'est aussi un métier solidaire."
En dehors de ce problème de vivier, il y a un problème d'image : "cette image est dévalorisée, depuis maintenant au moins 10-15 ans" explique Christian Chevalier. Pourquoi cette image s'est elle dégradée? "Parce que les conditions de travail se sont dégradées. Ca s'est empiré sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy et le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Et l'image renvoyée par les médias, qui sont des faiseurs d'opinion, ce sont plutôt des images de difficultés à l'écoles, de violences et sans doute les jeunes étudiants ont une vision du métier qui est plutôt anxiogène, qui n'est pas une vision positive." Dans cette question d'image, la réforme de la masterisation a aussi eu un rôle destructeur: selon la cour des comptes, 70% des nouveaux enseignants se retrouvaient à plein temps devant leurs classes sans véritable formation pédagogique et sans jamais avoir été en situation pratique devant des élèves. "L'image transmise par la formation professionnelle est terrible entre les étudiants, ils savent qu'on les envoie au casse-pipe, donc ça n'a pas aidé!" confirme Christian Chevalier.