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Reportage : G. Borgia, V. Razafimanantsoa
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Reportage : Mayotte, l'île de la tension

Le président français est arrivé à Mayotte, ce mardi 22 octobre, pour "apporter des réponses extrêmement concrètes" aux difficultés liées à l'immigration clandestine et au développement économique de l'une des quatre îles de l'archipel des Comores. En avril 2018, nos journalistes avaient rencontré des Mahorais en colère pour comprendre la crise structurelle dans laquelle Mayotte s'enfonce depuis des années.
 

Mayotte est le département le plus violent et le plus jeune de France. Des milliers de mineurs livrés à eux même terrorisent la population. Des habitants sous tension, qui se sentent délaissés par la police, contrôlent eux-même des jeunes au faciès. Excédés par la criminalité, des villageois organisent des expulsions illégales dans leur quartier. Comment le 101e département français en est arrivé là ? 

La crise à Mayotte ne date pas d’hier.

L’île est en difficulté depuis des années et la départementalisation n’a rien arrangé. 
- Crise sécuritaire : Mayotte est le département le moins sûr de France 
- crise démographique et migratoire : afflux massif de clandestins 
- crise économique : département le plus pauvre de France, un secteur privé au point mort et un cruel manque d'infrastructures. 
Située entre Madagascar et le continent africain, Mayotte est  une des quatre îles de l'archipel des Comores, colonisé par la France. Lors du référendum de 1974, elle demande à rester française, contrairement au reste de l'archipel qui accède à l'indépendance. La République des Comores s'estime spoliée de son territoire. Les Nations Unies demandent à la France de rendre l'île. En vain.  
Résultat: Mayotte devient le petit eldorado français de la région et  attire des milliers de clandestins. Afflux migratoire, insécurité... L' eldorado s'est transformé en cauchemar pour ses habitants.  C'est aujourd'hui un des départements les plus dangereux de France.  

Dès qu'elle sort de chez elle, Mariama Mdjassiri angoisse : "Tu te lèves le matin pour aller au travail, explique cette agente à Pôle emploi, et dans la route tu peux trouver un petit arbre, un petit truc sur le chemin et puis tu descends pour le dégager et tu vois les gens là qui sont cagoulés et tout et ils te sortent un couteau et tout et ils te disent 'voilà donne nous tout ce que t'as' donc c'est pas rassurant". "Il y a un an, ajoute-t-elle, j'ai été cambriolée. On a mis toutes ces barres là, mais ils les ont écartées et puis ils sont rentrés. Je ne sais pas comment ils ont pu faire pour écarter ces deux barres de fer".

Cambriolages et infractions violentes

Mayotte devient département français par referendum en 2011 et malgré les fonds publics investis, l'insécurité progresse. L'ile fait partie des départements les plus cambriolés de France. On y compte également le plus grand nombre d'infractions violentes. Une violence qui gagne même les établissements scolaires. Samira, la fille de Mariama passe le Bac ES cette année.  Elle ne va quasiment plus à l'école depuis 3 mois. Son lycée est régulièrement le théâtre d'affrontements. Elle raconte : "Il y a un mois de ça, des garçons sont rentrés dans l'établissement avec des coupes, des machettes, des couteaux et ils ont commencé à tabasser tout le monde. Nous, on courait pour s'enfuir mais après y a d'autres gars qui sont arrivés par derrière donc ont était encerclés, on savait plus quoi faireLes surveillants peuvent pas nous aider parce que eux-mêmes ils doivent s'aider". Samira craint surtout les coups perdus. Car ce sont des dizaines de jeunes qui attaquent sans discernement.

Pour dire la vérité on joue notre vie quand on va au lycée. C'est comme si c'était des attentats, on peut dire ça. C'est des terroristes. C'est vraiment ils veulent tuer... ils prennent des vies.

Samira SAID MLARAHA, lycéenne

Des images amateurs montrent les violences racontées par Samira : Au lycée de Kahani, des jeunes incontrôlables envahissent l'établissement. Ces violences ont poussé des professeurs à arrêter de travailler. C'est la goutte d'eau. Les Mahorais exaspérés descendent dans la rue. Manifestations, barrages : le mouvement se transforme en grève générale. Chaque jour depuis près de 2 mois, Mariama garde un des 10 barrages de l'île, avec une cinquantaine de grévistes. Derrière l'ambiance de fête de quartier, la colère et le sentiment d'être délaissé par les autorités. 

C'est la guerre, à Mayotte c'est la guerre, c'est la guerre civile ici à Mayotte. Il faut que le Premier ministre, il vienne ici à Mayotte pour constater ce qu'il se passe, ou bien Macron lui-même !

Mariama Mdjassiri, agente gréviste à Pôle emploi

Les grévistes réclament plus de policiers. Un plan contre l'insécurité mis en place il y a 2 ans a permis une augmentation des effectifs mais l'explosion de la criminalité est telle que cela ne suffit pas. Ce sentiment d'abandon attise les tensions dans la rue. Les scènes de justice populaires sont de plus en plus fréquentes.

Mayotte coupe coupe
Quatre jeunes qui marchaient dans la rue interpellés par des habitants.
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A quelques pas de chez Mariama, dans le quartier de Combani, ces 4 jeunes qui marchaient dans la rue viennent d'être interpellés par des habitants. Un habitant témoigne : "on les a arrêtés, on les a fouillés, on a trouvé tout ça dans leurs sacs, explique-t-il en brandissant des coupe-coupe et un couteau suisse. Ils nous ont dit que c'est des outils de travail et ils n'ont pas de champs à Mayotte !" Contrôle au faciès, interrogatoire brutal mais impossible de savoir si ces jeunes ont commis un délit. Les menaces fusent, et sous l'effet de groupe, les habitants extériorisent leur colère. "C'est des criminels, il faut les tabasser", crie une femme. Les gendarmes appelés par les habitants embarquent les 4 jeunes. Mais cela ne suffit pas à calmer la foule.  

A chaque fois, quand on arrive à les attraper on appelle la gendarmerie, la gendarmerie elle arrive mais c'est des mineurs donc on peut pas les prendre, on les relâche. Des mineurs qui se trimballent comme ça avec des coupe-coupe dans leur sac? Faut arrêter !

Une habitante de Combani

Lassés, ces mêmes habitants se sont organisés pour chasser les délinquants de leur village, une pratique illégale.

Livrés à eux-mêmes

La délinquance, surtout juvénile, est un fléau en constante augmentation depuis plusieurs années. Ces jeunes, souvent montrés du doigts, nous les avons rencontrés.  
Parmi eux, Mourchid : "J'ai 18 ans. Je ne suis pas français. Ma mère elle est comorienne et mon père c'est un malgache. Je suis arrivé à Mayotte à l'âge de 4 ans, 3 ans je sais pas trop. J'ai jamais connu mon père, j'ai ma mère qui est décédée en 2007. J'ai appris à me démerder tout seul, c'est comme ça". 
Déscolarisé, placé dans plusieurs familles d'accueil après la mort de sa mère, Mourchid a sombré dans la délinquance. "J'ai vendu de la drogue, j'ai dealé, raconte-t-il. J'ai fait des vols, j'ai fait des trucs, j'ai menacé des gens, je me suis battu contre un prof mais c'était lié, parce que je faisais pas des trucs comme ça au hasard ou parce que je voulais le faire".

J'ai fait des trucs parce que j'étais en galère, j'avais besoin d'argent, j'avais besoin de moyens, j'avais besoin d'habits, j'avais besoin de bouffer.

Mourchid, 18 ans

A Mayotte des milliers de mineurs sont livrés à eux même, abandonnés par des parents démissionnaires ou des parents sans-papiers expulsés.  
Parmi eux : Said. Sa mère est morte quand il avait 3 ans et, à 17 ans, il ne vit plus avec son père : "A chaque fois que je faisais quelque-chose, la gendarmerie venait chez lui. Toc toc toc, et mon père était en rogne".

De temps en temps je passe chez moi. Mon père me voit, ça le soulage de voir que je suis encore en vie. Mais en vrai, je vis dehors, dans la rue. Ensuite, on reste là, galère, galère, arracher un téléphone, un sac ou dégrader des voitures ou les caillasser pour avoir de l'argent. À part ça, on ne fait rien. 

Said, 17 ans

Passé de l'école à la prison, Said est aujourd'hui un des caïds de son quartier : "Les enfants se lèvent, ils n'ont rien à faire, ils errent. Si on les prend pas à l'école et que l'enfant vient vers mois, je le prends avec moi. Et le soir je lui dis 'eh petit, vole ça pour avoir de l'argent', et je me suis retrouvé avec plein d'enfants autour de moi. Leur père leur mère les ont laissés, ils n'ont personne à Mayotte. Faut qu'ils trouvent quelqu'un pour s'occuper d'eux et s'ils trouvent pas, tant pis, ils crèvent dehors".  

Un cruel besoin d'être encadré  

"Notre message à nous, raconte Mourchid, c'est de faire passer aux grandes personnes et à l'Etat aussi et aux ministres et à Macron qui parle mais qui fout rien : qu'il commence déjà a nous encadrer, à faire un maximum d'associations, et là, vous verrez que niveau pourcentage de violence et délinquance, ça va baisser.

C'est comme ça qu'on fait tous les jours, ça sort, écouter des musiques émotionnelles, des musiques de voyous, fumer des clopes, fumer des pétards, si on n'en n'a pas on est obligés d'aller voler, parce que ça nous apaise les sons comme ça. Demain tout ira mieux.

Mourchid, 18 ans

Demain tout ira mieux. Peut être pour Mourchid qui a trouvé sa voie dans la restauration. Mais pour les autres, ce sera une journée oisive de plus, sans perspective d'avenir.

Le plus grand bidonville de France

Infrastructures dégradées ou insuffisantes et, pour les moins chanceux, une case en tôle sans eau ni électricité : nous sommes à Kawéni, ou se trouve le plus grand bidonville de France. La majorité des habitants sont des clandestins qui espèrent trouver l'eldorado.  A Mayotte, un habitant sur quatre est étranger. Des dizaines de migrants arrivent chaque jour, les infrastructures ne peuvent pas suivre. Saindou et Frahati vivent ici avec leurs 6 enfants.  

Bidonville Mayotte Kaweni
Kawéni, où se trouve le plus grand bidonville de France.
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Ma vie est difficile, mais je n'ai pas le choix. L'eau rentre dans la maison quand il pleut. Je suis obligé de rester éveillé pour être sûr que la maison ne s'effondre pas. Si ça arrive, c'est la vie.

Saindou MOHAMED, migrant comorien

Saindou Mohamed a quitté les Comores il y a bientôt 15 ans dans l'espoir d'une vie meilleure pour lui et ses enfants nés à Mayotte. Mais l'eldorado est encore loin. Sans-papier, il est obligé de travailler au noir : "Je prends ce que je trouve, tout ce que Dieu me donne, je prends. Si je sors et qu'on me dit 'porte ça et dépose ça là' et on me donne 2 euros, je le fais". Malgré leurs désillusions, Saindou et Frahati ne veulent plus revenir en arrière. Comme pour de nombreux Comoriens, Mayotte est leur pays, avec ou sans papiers.  

Nous retrouvons Mourchid qui commence sa journée de travail.  A sa demande, un juge lui a permis de suivre un stage dans la restauration. Mourchid a rapidement fait ses preuves. Loin de la galère de la rue, Mourchid peut enfin s'épanouir.  Mourchid se prend même à imaginer un avenir : "Disons, d'ici là si j'arrive à progresser plus, créer mon propre restaurant pour pouvoir engager d'autres jeunes comme moi. Et pour qu'ils puissent arrêter de foutre le bordel tout le temps tout le temps."

Sortir cette jeunesse de la violence, lui offrir des perspectives d'avenir : un des enjeux majeurs de la crise à Mayotte qui reste à ce jour sans réponse.