Le sort des citoyens Chinois de la province du Xinjiang à majorité ouïghour est désormais connu et dénoncé dans le monde entier. Le gouvernement chinois conteste les accusations portées à son encontre sur la répression qu'il exerce sur cette population, tout comme la politique de contrôle des naissances récemment dévoilée et assimilée par le droit international à un génocide. Entretien avec Sophie Richardson, directrice de recherches sur la Chine auprès de la division Asie de l'ONG Human Rights Watch.
TV5MONDE : Que sait votre organisation sur ce qu'il se passe pour la population Ouïghour au Xinjiang ?
Sophie Richardson : Durant les deux dernières années, Human Rights Watch a enquêté sur un procédé de détention arbitraire massif qui s'est effectué dans cette région de Chine. Nous avons estimé qu'approximativement un million de Ouïghours de confession musulmane et turcophones étaient détenus sans aucun processus judiciaire, de façon purement arbitraire. Le seul critère de leur détention est celui de leur origine ethnique et de leur confession religieuse. Dans les camps "d'éducation politique", nous avons découvert et documenté des pratiques de torture, de refus d'accès aux soins élémentaires, de refus aux personnes de pratiquer leur religion, et d'enseignement politique forcé. En dehors de ces camps, nous avons découvert une utilisation permanente de la part du gouvernement chinois d'accusations de terrorisme et de sédition pour empêcher les personnes de bénéficier de leurs droits élémentaires à un procès équitable, lorsqu'elles étaient accusées. Nous avons aussi observé que les enfants étaient séparés de leurs parents dans de nombreux cas, ainsi que l'utilisation de la surveillance électronique généralisée des comportements quotidiens ordinaires, pour placer des personnes en détention sans aucune accusation légale.
TV5MONDE : Des observateurs estiment qu'il y a des similitudes avec ce qu'a organisé le régime nazi durant les années 30, qu'en pensez-vous ? S.R : C'est un parallèle historique que beaucoup de gens font. De notre côté, notre travail c'est de regarder comment les gouvernements se comportent avec leurs obligations de respect des droits de l'homme et du droit international. Donc, nous ne comparons pas un pays avec un autre, nous ne comparons pas la Chine d'aujourd'hui avec l'Allemagne à une autre époque. Mais il est par contre totalement juste de dire que le gouvernement chinois commet des violations des droits de l'homme sérieuses, massives et systémiques à l'encontre d'une minorité ethnique, les Ouïghours.
TV5MONDE : Il est discuté d'un possible génocide du gouvernement chinois envers la communauté Ouïghour aujourd'hui, puisque la stérilisation ou la contraception forcée est assimilable à ce crime, en droit international. Que pensez-vous de cette accusation de génocide ? S.R : C'est une question importante, mais aujourd'hui nous sommes avant tout concentrés sur la manière d'arriver à faire reconnaître la responsabilité des officiels chinois sur ces politiques d'internement et ces pratiques abusives. Il est possible de faire bouger les lignes et d'arriver à des résultats grâce à la communauté internationale, comme ça a été le cas avec les Rohingyas du Myanmar en Birmanie. Dans le cas de la Chine, la difficulté réside dans le fait que c'est un pays très puissant et qu'il est difficile pour les Nations unies de lui imposer quoi que ce soit.
Envoyer la Chine à la Cour pénale internationale n'est par exemple pas possible, parce que la Chine a refusé de signer les statuts de la CPI. Il y a la Cour internationale de justice qui pourrait fonctionner, mais c'est un processus d'État à État. Il faudrait alors qu'un gouvernement soit volontaire pour attaquer la Chine en justice. J'aimerais qu'il y ait dans le monde des États suffisamment engagés dans la défense des droits de l'homme pour agir en ce sens. Dans le cas des Rohingyas,
c'est la Gambie qui a porté plainte à la Cour internationale de justice contre la Birmanie pour génocide ! C'était une démarche très atypique et surprenante, mais en réalité cela a permis à la Gambie de gagner en respect sur la scène internationale. Je pense qu'aujourd'hui de nombreux gouvernements devraient considérer toutes les options possibles pour enquêter sur ce qu'il se passe avec le gouvernement chinois,
il y a des documents officiels qui ont été publiés, nous savons tout de la responsabilité des officiels chinois dans les violations des droits humains au Xinjiang.
TV5MONDE : Que peuvent faire les Nations unies concrètement si aucun Etat n'ose attaquer la Chine en justice ?S.R : Il y a des précédents où les Nations unies ont enquêté sur des abus
commis par des gouvernements, comme en Corée du Nord. Aucun de ces gouvernements n'a accepté ces enquêtes mais au final elles ont eu lieu quand même. C'est à mon avis la meilleure solution actuellement. Il y a quelques semaines, au Conseil de l'ONU, plusieurs pays africains ont demandé qu'une enquête soit ouverte sur le racisme et les violences policières aux États-Unis. Human Rights Watch est à 100% d'accord avec cette procédure. Cette enquête, sur l'un des pays les plus puissants au monde, les États-Unis, pourrait aussi faire accepter qu'un autre pays très puissant, la Chine, en accepte une à son tour.
A l'issue d'une enquête, des sanctions indivuelles peuvent être prises à l'encontre de responsables officiels et dans tous les cas, la pression internationale peut permettre à la Chine de se reprendre en termes de droit et de respect de ses propres règles. À Human Rights Watch, ce que nous demandons est avant tout que les responsablités soient établies et des mesures prises : vous ne pouvez pas détenir arbitrairement un million de personnes en raison de leur origine. Il faut arrêter ça.
• En complément : notre dossier sur la répression des Ouïghour en Chine