Fil d'Ariane
"Accueillir tous les élèves, de manière obligatoire, et selon les règles de présence normales, dès le 22 juin". C’est ce qu’Emmanuel Macron annonçait, dimanche 14 juin, dans une allocution télévisée : un retour à l’école, obligatoire, pour tous. Pourtant, en cette veille de rentrée, beaucoup d'acteurs restent dubitatifs face à ce retour obligatoire. Reportage dans le département du Nord.
À Caudry, comme partout en France, ce lundi 22 juin rimera avec rentrée scolaire pour la plupart des 14 000 habitants. Une rentrée pas comme les autres, à seulement deux semaines des grandes vacances d’été, rendue obligatoire par le président de la République, lors de son allocution du 14 juin.
Dans cette école primaire de Caudry, Mathilde, enseignante, s’inquiétait, dès le début du déconfinement, quant à la capacité de ses élèves à respecter les gestes barrière : "J’ai eu très peur lorsqu’on nous a annoncé la reprise, dès le début du déconfinement. Je me disais que les élèves seraient incapables de respecter les gestes barrières. C’est vrai que les élèves ont un besoin très fort au niveau affectif, et ce qu’on leur demandait dans les règles me paraissait insensé. Cette troisième rentrée fait ressurgir cette peur, car tous les élèves reviennent et que je sais pertinemment que les gestes barrières seront beaucoup plus difficiles à faire respecter. De plus, avec un plus grand groupe, je ne pourrais pas avoir les yeux partout…".
Des difficultés, que sa consoeur, Sandra, a, elle aussi, rencontrées : "Les règles imposées aux enfants étaient lourdes, difficiles à respecter, chronophages". Cette dernière craint d’ailleurs que le respect de ces gestes soit quasi impossible, à partir du 22 juin : "On nous demande de respecter une distance d’un mètre entre les élèves dans les espaces clos... Sauf lorsque les conditions matérielles ne le permettent pas… Mais c’est le cas dans ma classe. C’est une petite salle, avec des tables doubles. J’ai déjà à peine assez de place lorsque nous sommes en petits groupes. Je leur demande de s’espacer dans les couloirs car cela est possible, mais dans la classe ou aux lavabos lors du passage aux toilettes et du lavage des mains, les règles de distanciation seront impossibles à respecter", s’alarme-t-elle.
La reprise a sonné comme une véritable surprise pour ces professeurs, alors que la fin d’année approchait à grands pas : "Cette nouvelle m’a surprise. Nous en parlions entre collègues en rigolant, mais je ne l’avais jamais pris au sérieux. Selon les directives, nous avons dû demander aux parents si ceux-ci voulaient remettre leurs enfants lors d’une seconde rentrée en début juin. Si ce n’était pas le cas, ils devaient choisir de les remettre en septembre. De ce fait, il me paraissait évident que nous finirions l’année comme cela. Ce fut également très surprenant d’apprendre cette nouvelle à la télévision, sans avoir d’informations au préalable", nous confie Mathilde.
C’est donc toute une organisation que les professeurs ont dû revoir. "Il a fallu repenser et réadapter le protocole, déménager, réaménager les classes pour pouvoir accueillir tous les élèves, répondre aux parents, leur expliquer que ce retour est obligatoire, alors même que le bruit court que nous serons tolérants sur les absences. Il a fallu tenter de rassurer les plus inquiets, alors que nous le sommes nous aussi, et courir après ceux qui ne donnent aucun signe de vie. Tout ça, pour deux semaines de cours seulement… Les deux dernières de l’année", ajoute Sandra.
Même si cette dernière estime que "cela fait partie du métier de professeur de s’adapter", elle déplore le peu de temps laissé pour rebondir : "On nous a d’abord demandé, du jour au lendemain, de complètement modifier notre façon de travailler. Nous nous sommes adaptés, nous avons cherché de nouvelles façons de faire, afin permettre à nos élèves de continuer à apprendre. On nous a ensuite demandé de gérer simultanément les élèves en presentiel et les élèves en distanciel. Encore une fois, nous nous sommes adaptés et nous avons tenté de faire au mieux. Aujourd’hui, on nous demande de faire classe comme avant, mais pas vraiment comme avant. Les élèves n’auront pas le droit de manipuler, de se toucher, de s’entraider".
Pour Mathilde, ce "déconfinement scolaire" n’était pas forcément indispensable, mais a ses avantages : "Je ne pense pas que cela soit nécessaire de reprendre pour deux semaines. Les élèves sont épuisés car ils ont dû redoubler d’efforts pour travailler à la maison, environnement qui ne favorise pas forcément la concentration. Toutes les nouvelles notions que nous avons dû évoquer en vitesse ne pourront pas être revues en si peu de temps... La seule utilité que j’y vois est d’habituer les élèves à ces règles qui pourraient être toujours de rigueur à la rentrée de septembre mais également de leur faire retrouver un semblant de lien social qu’ils n’avaient plus forcément depuis le confinement".
Des conditions de reprises difficiles pour ces professeures des écoles, qui ont vu, il y a quelques semaines, tomber les chiffres du ministère de l’Éducation nationale, mentionnant 5% de professeurs dits "décrocheurs". Des chiffres commentés, débattus et parfois exagérés sur certains plateaux de télévision. Une séquence médiatique qui a eu le don d’irriter ces professeures : "En tant qu’enseignante, je me suis parfois sentie méprisée. Je pense qu’au regard de la situation, des moyens et outils en notre possession, nous avons vraiment essayé de faire de notre mieux. Nous avons dû apprendre à enseigner à distance, à déléguer une part de notre travail à des parents dont ce n’est pas le métier. Nous avons engagé nos moyens personnels, nous n’avons pas compté nos heures de préparation pour remanier et réadapter des séquences d’apprentissage que nous avions préparées, nous avons pris sur nos soirées et nos week-ends. Nous avons aussi fait face au silence de certaines familles, alors même que nous nous évertuions à maintenir ou même établir un contact avec eux. Pour certains élèves, nous n’avions aucun retour. Et nous ne savons toujours pas si nous les reverrons d’ici la fin de l’année", nous confie Sandra.
Malgré tout, dans cette école primaire de Caudry, dans quelques heures, les enfants s’aligneront en file indienne, pour repeupler les classes et la cour de récréation.
Selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting, certains parents craignent ce retour "à la normale", dans un contexte sanitaire de freinage d’une épidémie, qui ne veut pour autant pas dire que le Covid-19 a disparu.
"Nous avons voulu être à la fois volontaristes et prudents", a expliqué M. Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, jugeant une nouvelle fois que "le déconfinement scolaire était souhaitable", notamment pour les élèves en difficulté sociale ou pour les élèves dits "décrocheurs".
Un peu plus loin de Caudry, dans le Nord, dans la commune de Villeneuve d’ascq, notamment connue pour son stade Pierre Mauroy, qui voit le LOSC affronter les équipes de ligue 1, les weekend de championnat, nous avons rencontré des parents d’élèves, inquiets, à l’idée de remettre leurs enfants à l’école.
Le premier, Éric, père d’un garçon, en classe de 5ème, va laisser son fils retourner à l’école, bien qu’il ne soit pas forcément d’accord avec la décision gouvernementale : "Je ne saisis pas trop quelle est l’utilité d’un retour pour deux semaines d’école, surtout que dans notre esprit, nous commencions à être en vacances. C’est prendre des risques, pour deux semaines durant lesquelles, nos enfants ont l’habitude d’avoir des cours et des activités plus légers". Mais son fils lui a "forcé la main" pour retourner à l’école : "Il veut surtout revoir ses copines et copains, car j’ai encore du mal à le laisser sortir rencontrer des gens, en dehors de la famille", nous confie-t-il.
Selon le sondage Odoxa-Dentsu Consulting, seuls 45% des Français envisagent de renvoyer leur enfant à l’école comme le Président l’a demandé.
Parmi eux, Elisabete, ancienne professeure d'anglais et mère de deux garçons, le premier en 6ème et le second en CE1, a, dans un premier temps, pris la décision, avec son mari, de ne pas les renvoyer à l’école. Mais lorsque nous les rencontrons, dans leur salon, partagé entre les meubles d'une enseigne suédoise célèbre et des "canapés marocains", fruit du métissage de leur couple, cette dernière affirme avoir changé d’avis : "Finalement on a décidé de les renvoyer à l’école demain. Leur directrice est très à cheval sur le protocole sanitaire à suivre et le plus petit de mes garçons veut vraiment y retourner". Un propos qui donne lieu à une véritable "scène de ménage", lorsque son mari, Ahmed, rétorque : "Moi je reste sur ma décision initiale, je ne veux pas qu’ils prennent de risques pour deux semaines, alors que si l'on part du postulat qu'ils peuvent y retourner, ils auraient déjà pu le faire dès la fin du confinement, dans des conditions moins incertaines".
C’est finalement Elisabete qui aura le dernier mot, mais leur échange illustre les dissensions qui s'observent à l'échelle nationale, où ce retour à l’école divise.