Fil d'Ariane
La 5G doit remplacer à terme la 4G, qui complétait elle-même une autre technologie d'internet mobile, celle de la 3G. A chaque amélioration des technologies pour les réseaux numériques mobiles, un critère central est retenu : le débit. Plus vous avez de débit, plus vous pouvez accéder rapidement à des services ou télécharger des fichiers lourds avec des temps réduits. La 5G suit cette évolution mais elle crée pourtant la polémique à plusieurs niveaux. Au-delà des craintes sanitaires ou de la sécurité des données, la 5G inquiète par sa consommation énergétique et son impact environnemental.
La 5G que les opérateurs de télécommunications Orange et Bouygues commencent à installer dans 15 et 20 villes françaises respectivement — dès ce mois décembre 2020 —, va offrir des débits "seulement" 3 à 4 fois plus importants que ceux de l'actuelle 4G. La ville de Paris ne fait pas partie des agglomérations retenues pour cette première tranche.
Cette 5G de départ est une sorte de "4G améliorée", puisqu'elle utilisera une bande de fréquences entre 3,4 ‑ 3,8 GHz et n'utilisera donc pas les ondes millimétriques, qui ne peuvent fonctionner qu'à partir de 26 Ghz. Cette future 5G — par ondes millimétriques — doit être opérationnelle sur tout le territoire français avant 2030. Elle est annoncée comme permettant par exemple de "télécharger une vidéo haute définition en quelques secondes", soit des débits 100 fois supérieurs à la 4G.
Les débits de la 5G — utilisant les ondes millimétriques — pourraient atteindre 20 Gigabits par seconde en téléchargement et 10 Gigabits par seconde en téléversement. Les temps de latence inférieurs à 1 milliseconde de cette future 5G doivent permettre la mise en circulation des véhicules autonomes. Ces véhicules sans conducteurs sont forcés de communiquer en temps réel avec des systèmes d'intelligence artificielle sur Internet (IA dans le Cloud) d'où la nécessité d'un temps de latence inférieur à 1 milliseconde.
La 4G, même en mode "avancé" (4G LTE Advanced, appelée aussi 4G+) ne peut pas permettre cette communication en ultra haut débit avec des temps de latence aussi faible. Pour comparaison, le débit moyen de la 4G en France est aujourd'hui de 40 Mégabits par seconde en téléchargement et 10 Mégabits par secondes en téléversement. Son temps de latence moyen est de 40 millisecondes.
La 4G LTE Advanced ou 4G+ (proposée par certains opérateurs depuis 2014) permet d'atteindre les 100 Mégabits par seconde, un débit déjà très élevé pour les terminaux mobiles et supérieur aux meilleures connexions fixes par les fils du téléphone, de type DSL.
• Lire notre article : "Réseaux 5G : des problèmes et des inconnues à tous les étages"
Les critiques à l'encontre de la 5G sont donc de plusieurs natures. La consommation électrique en est une. Pour rappel, le déploiement de la 4G dans les années 2010 s'est effectué alors que les transitions énergétiques et écologiques n'étaient pas encore une priorité nationale, tandis que l'essor des smartphones débutaient à peine et que les débits de la 3G étaient nettement insuffisants en terme d'accès "confortable" à Internet. La question de la consommation électrique de ce nouveau réseau 4G — plus rapide — ne s'est donc pas posée à l'époque.
Les retours que nous avons de la Chine aujourd'hui, c'est une consommation électrique 3 fois plus importante de la 5G par rapport à la 4G.Thomas Lemaire, spécialiste en sobriété énergétique et écoconception numérique pour Green IT
Dix ans plus tard, la situation est très différente. Les accords de Paris sur le climat de 2015, couplés aux engagements du président Emmanuel Macron sur la baisse de la dépendance au nucléaire à 50% (au lieu de 75%), obligent la France à abaisser fortement sa consommation électrique. Installer un nouveau réseau d'antennes — 5G — en plus de celui déjà en place — 4G —, doit donc augmenter la consommation électrique du pays. Mais les opérateurs indiquent que c'est l'inverse qui devrait se produire : le réseau d'antennes 5G est moins énergivore en valeur relative que l'ancien en 4G — selon les opérateurs —, sachant que ce dernier devrait à terme être démantelé. L'ultra haut débit en 5G devrait donc permettre — toujours selon les opérateurs — "l'ultra haute économie de consommation électrique".
Mais la réalité est souvent plus complexe qu'une simple comparaison de consommation électrique d'une technologie réseau comparée à une autre. Le spécialiste en sobriété énergétique numérique de Green IT, Thomas Lemaire, souligne cet aspect paradoxal : "On manque de données précises sur la consommation électriques de la 5G, mais une publication d'Orange d'il y a un an stipulait que les antennes 5G ont une puissance de départ qui est deux fois supérieure à celle de la 2G, 3G et 4G réunies. C'est la puissance maximale de l'émetteur, ensuite tout dépend de l'usage. Les opérateurs ramènent la consommation électrique de la 5G au mégaoctet transféré par kilowatt, et là on serait à 10 fois moins que la 4G, mais c'est du relatif, il faut voir ce que ça donne en valeur absolue."
La 5G pourrait entraîner une augmentation de la consommation électrique globale qui dépasserait celle engendrée par le réseau actuel 4G. Thomas Lemaire confirme cette inquiétude : "Les retours que nous avons de la Chine aujourd'hui, c'est une consommation électrique 3 fois plus importante de la 5G par rapport à la 4G. Mais tout dépend de comment l'architecture de la 5G va être déployée en France."
L'économie d'énergie électrique ne sera donc peut-être pas être au rendez-vous avec l'ultra-haut débit, au niveau des antennes-relais, mais aussi et surtout sur les smartphones 5G, selon Thomas Lemaire. "Il faut regarder l'impact que va avoir la 5G sur les terminaux des utilisateurs, notamment les smartphones qui sont plus de 40 millions en France. Une étude a prouvé que le jeu de composants électroniques, utilisé par les constructeurs de smartphones 5G, consomme 20% d'électricité en plus. Il faut prendre en compte cette consommation électrique des terminaux dans l'équation du coût énergétique de la 5G", précise le spécialiste.
La confrontation entre les partisans et opposants de la 5G est très polarisée. Pour ses partisans, c'est une technologie incontournable puisque le réseau 4G devrait être saturé d'ici deux ou trois ans. De plus, la 5G serait indispensable pour que la France "reste dans la compétition mondiale technologique" afin de bénéficier des avancées de l'intelligence artificielle en réseau, dans la médecine, les transports et l'Internet des objets (IoT). En revanche pour ses opposants, cette technologie est problématique : elle demande beaucoup plus d'antennes pour être accessible (une antenne tous les 500 ou 600 mètres), et ses débits sont tels, qu'elle met la fibre optique en position "d'infériorité technologique".
Aujourd'hui, on juxtapose les réseaux, et c'est ça qui nous embête. Pour la télémédecine, par exemple, la fibre optique est largement suffisante, il n'y a pas besoin du réseau 5G.Thomas Lemaire, spécialiste en sobriété énergétique et écoconception numérique pour Green IT
Pourquoi serait-il nécessaire de couvrir tout le territoire en 5G pour que seulement certaines entreprises de pointe en bénéficient ? D'autre part, le "Plan France Très Haut Débit" — débuté en 2013 — devrait offrir des débits Internet suffisants, pouvant aller jusqu'au Gigabit par seconde, sur tout le territoire.
Le spécialiste en écoconception numérique Thomas Lemaire explique ce phénomène par celui "d'un choix français particulier qui est celui de juxtaposer les réseaux, que ce soit les réseaux mobiles 2G, 3G et 4G, puis 5G ou l'ADSL et la fibre. Il y a une concurrence, mais cela peut être aussi vu comme un complément."
Extrait du site du gouvernement français "Le plan France très haut débit"
Le gouvernement a fait du numérique une de ses priorités stratégiques.
La couverture de l'intégralité du territoire en très haut débit d'ici à 2022, engagement de François Hollande lors de la campagne présidentielle, est un élément essentiel de cette stratégie. Lancé au printemps 2013, le Plan France Très Haut débit vise à atteindre cet objectif et s'appuie pour cela, prioritairement sur le déploiement de réseaux mutualisés de fibres optiques. Le Plan mobilise un investissement de 20 milliards d’euros en dix ans, partagé entre l’État, les collectivités territoriales et les opérateurs privés.
(Lien vers la page : www.gouvernement.fr/action/le-plan-france-tres-haut-debit)
Avec le Plan très haut débit France, la nécessité d'installer un réseau 5G sur tout le territoire peut donc se discuter. Thomas Lemaire estime pour sa part que c'est une vraie question, mais que ce n'est pas l'enjeu actuel : "La couverture à 100% du territoire par la 5G, ce n'est pas pour tout de suite, loin de là. Notre position à Green IT c'est de dire qu'aujourd'hui nous avons des technologies à disposition pour réduire la fracture numérique. Si une zone est difficilement accessible par la fibre, alors oui, mettre une antenne 5G peut être une solution. Mais encore une fois, aujourd'hui, on juxtapose, et c'est ça qui nous embête. Pour la télémédecine, par exemple, la fibre optique est largement suffisante, il n'y a pas besoin du réseau 5G."
En réalité, la généralisation de la 4G+ avec une couverture à 100% du territoire permettrait "d'éviter l'engorgement du réseau 4G et offrirait des débits suffisants aux utilisateurs d'Internet par mobiles", explique Thomas Lemaire. La 5G, quant à elle, pourrait être déployée seulement sur des zones stratégiques spécifiques, ou des zones non fibrées, avec des véritables besoins en très haut débit et très faible latence. Le spécialiste en écoconception numérique estime qu'il faudrait réfléchir à ce déploiement qui débute en France : "Déployons la 5G avec raison. Pourquoi la déployer dans certains endroits où elle n'est pas indispensable et où elle peut même couper les accès 4G ? Avec quels services rendus ? Il faut aussi réfléchir — au-delà des usages très spécifiques des entreprises — à ce qu'apporte la 5G au grand public. Quand on creuse ce sujet, on arrive à des usages assez précis : le jeu vidéo streaming en mobilité, la réalité augmentée HD en mobilité et éventuellement regarder une vidéo 4K, toujours en mobilité. C'est une partie de la population très limitée et spécifique qui est concernée, des gamers et des technophiles…"
Au-delà des questionnements autour des stratégies techniques, la problématique de l'impact environnemental causé par une généralisation de la 5G n'est pas abordé par ses partisans, alors qu'elle est très importante. Thomas Lemaire précise qu'"aujourd'hui, il y a une tendance au rallongement de la durée de vie des terminaux mobiles, ce qui est une bonne chose. Et dans le numérique, le plus gros impact environnemental ce sont les terminaux. Mais il y a un matraquage de la part des fabricants et des opérateurs auprès du grand public pour aller vers la 5G. Cela signifie changer de terminal, alors que le grand public n'en a pas forcément besoin. C'est un paradoxe, puisque le gouvernement a pris conscience qu'il faut allonger la durée vie des smartphones pour des raisons environnementales et en même temps il pousse à un déploiement massif de la 5G."
Ce sont des extractions de minerais très polluantes qui utilisent des engins alimentés par des carburants fossiles. La plus grande mine de cuivre du monde, à Chuquicamata au Chili, consomme 2000 litres d'eau par seconde.Thomas Lemaire, spécialiste en sobriété énergétique numérique et écoconception pour Green IT
L'impact environnemental des smartphones se situe en réalité aux deux bouts de la chaîne, de la fabrication de l'appareil à la gestion des composants polluants lorsqu'il est jeté. Thomas Lemaire explique qu'"il y a entre 60 et 70 métaux différents dans les smartphones et on n'arrive pas à les recycler. Les smartphones recyclés c'est infime. La plupart du temps ils finissent dans des décharges, avec des composants toxiques qui polluent les sols et les nappes phréatiques. Il est assez facile de trouver des photos sur le Net de décharges géantes de smartphones en Afrique."
En amont, au moment de la fabrication, là aussi un problème environnemental survient que pointe le spécialiste en écoconception numérique Thomas Lemaire : "Ce sont des extractions de minerais, très polluantes, qui utilisent des engins alimentés par des carburants fossiles. L'eau est aussi en jeu, comme dans la plus grande mine de cuivre du monde, Chuquicamata, au Chili, qui consomme 2000 litres d'eau par seconde."
Ce n'est donc pas la 5G et son réseau — en tant que telle — qui causerait plus de dommages environnementaux, mais l'incitation auprès du grand public à s'équiper de nouveaux smartphones compatibles avec cette technologie. À terme, cela forcerait à plus de déchets avec les anciens modèles mis au rebut et à plus d'extraction de minerais pour construire les nouveaux modèles de smartphones. Sachant que les smartphones 5G nécessitent des batteries plus performantes, ils obligent à une miniaturisation plus importante pour ne pas augmenter le volume et le poids du smartphone. Thomas Lemaire souligne que ces contraintes auront — là aussi — un coût : "Les contraintes techniques des smartphones 5G sur les batteries forcent les constructeurs à aller vers des matériaux de plus en plus sophistiqués. C'est donc plus coûteux d'un point de vue environnemental comme d'un point de vue financier et c'est encore moins recyclable."
Les problèmes de consommation électrique et d'impact environnemental liés à la 5G sont réels et ne vont pas dans le sens des politiques écologiques pourtant promues par le gouvernement. Thomas Lemaire pense qu'il est malgré tout encore temps de réfléchir à une autre stratégie pour cette technologie, autre que celle qui a débuté : "Regardons le cœur du problème. Le réseau 5G est vendu pour la saturation future de la 4G, ou des services que l'on ne connaît même pas encore, alors qu'on a plein de réseaux qui tournent déjà et sur lesquels nous sommes matures. On peut améliorer ces réseaux. N'oublions pas que les ressources sont finies et si la planète entière veut basculer sur ces nouvelles technologies, ce ne sera pas possible en termes de ressources."