Restauration écologique : par où commencer?

Une nouvelle étude cartographie les terres altérées par l'activité humaine où la restauration écologique permettrait à la fois de lutter contre la perte de la biodiversité et les changements climatiques.
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Canada agriculture
L'agriculture, qui transforme des forêts en terres cultivées, est le principal facteur de la conversion des milieux naturels au Canada.
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Pour atteindre les cibles auxquelles il s'est engagé lors de la COP15 sur la biodiversité, le Canada devra faire plus que de protéger des milieux naturels déjà épargnés par le développement. Le fédéral a fait voeu de restaurer au moins 30 % des zones où les écosystèmes ont été dégradés, mais il y a loin de la coupe aux lèvres, selon des chercheurs.

Éclipsée par l'objectif phare de protéger 30 % des aires terrestres et maritimes, auquel ont adhéré les pays membres de la Convention sur la diversité biologique en décembre dernier, la cible 2 du Cadre mondial Kunming-Montréal stipule qu'il faudra que la même proportion "d'écosystèmes terrestres, côtiers et marins dégradés fasse l'objet d'une restauration effective" d'ici 2030.

Au cours de la COP15 sur la biodiversité, le Canada a en outre annoncé sa participation au Défi de Bonn, que plus d'une soixantaine de pays ont promis de relever afin de restaurer un total de 350 millions d'hectares de terres déboisées et dégradées.

Pour faire sa part, le gouvernement Trudeau s'est engagé à restaurer environ 19 millions d'hectares, notamment en mettant en oeuvre la promesse faite lors de la campagne électorale de 2019 de planter 2 milliards d'arbres.
 

Qu'est-ce que la restauration écologique?

Afin d'endiguer et d'inverser la dégradation des écosystèmes, des mesures peuvent permettre de reconstituer des milieux qui ont été mis à mal par l'activité humaine. Des terres agricoles, des forêts, des prairies et des tourbières peuvent ainsi être restaurées afin de recréer l'environnement tel qu'il était avant le développement, par exemple en y réintroduisant des espèces qui y vivaient autrefois.

Bien que le Canada se soit doté d'objectifs quantitatifs pour la protection et la conservation des milieux naturels, il ne détient pas d'équivalent pour la restauration écologique des écosystèmes dégradés, selon des chercheurs.

"À notre connaissance, il n'y a pas d'objectif national clair au Canada", relève James Snider, vice-président du département Science, savoir et innovation chez WWF-Canada. "Les 19 millions d'hectares promis dans le cadre du Défi de Bonn sont un début, ajoute-t-il, mais ils concernent seulement les forêts, alors que l'effort de restauration devra ratisser plus large : les milieux humides et les prairies, par exemple."

Nous ne savons pas à quoi correspondent 30 % de terres dégradées au Canada.
James Snider, vice-président du département Science, savoir et innovation chez WWF-Canada

Pour l'heure, le fédéral mène des projets de restauration écologique par l'entremise de Parcs Canada, notamment pour rétablir des espèces en péril et gérer les espèces envahissantes.

Cartographie inédite

Comme le Canada tarde à déterminer les zones prioritaires pour l'atteinte de la cible 2, des chercheurs universitaires, en collaboration avec WWF-Canada, ont cartographié les terres converties ayant le plus haut potentiel de restauration au pays.

Dans leur étude, publiée au début d'avril dans le journal Conservation Science and Practice(Nouvelle fenêtre), les chercheurs ont tenté d'imaginer et d'évaluer les bénéfices que ces terres apporteraient si elles étaient totalement restaurées – de retour à leur état originel, vierges de toute empreinte humaine.

Ils ont, d'une part, identifié les milieux qui pourraient redevenir des habitats essentiels pour les espèces les plus à risque, et d'autre part, mesuré les quantités de carbone que ces terres permettraient d'absorber. En combinant les résultats, les chercheurs ont ainsi constitué une carte inédite, qui cible les zones à restaurer afin de lutter à la fois contre la crise de la biodiversité et du climat.
 

TERRES CONVERTIES CANADA

Cette carte montre les régions où la restauration de terres converties apporterait le maximum de bénéfices en matière de biodiversité et de séquestration du carbone.

PHOTO : WWF-CANADA


Dans le meilleur scénario généré par leurs modèles, 3,9 millions d'hectares pourraient être restaurés, principalement dans le sud de l'Ontario, du Québec et du Manitoba. "La côte méridionale de la Colombie-Britannique présente elle aussi un haut potentiel de restauration", explique James Snider, cosignataire de l'étude.

Leur restauration permettrait de séquestrer jusqu'à 836 tonnes métriques de carbone, évalue-t-on.
Afin de dresser le portrait le plus réaliste possible, les chercheurs ont exclu de leur analyse les zones urbaines, peu propices à la restauration à grande échelle.

"Nous nous sommes beaucoup intéressés aux terres agricoles, donc à la conversion d'écosystèmes forestiers et de prairies à des fins d'agriculture", souligne M. Snider.
 

Les terres agricoles sont l'un des principaux moteurs de la conversion des écosystèmes naturels, historiquement, au Canada. C'est une tendance importante qu'il faut reconnaître. 
James Snider, vice-président du département Science, savoir et innovation chez WWF-Canada.

Beaucoup de terres converties qui bénéficieraient de la restauration écologique se trouvent dans les prairies, les plaines à forêts mixtes et les plaines boréales, des écosystèmes dominés par une forte empreinte humaine, note-t-on.

Les forêts présentant le plus grand potentiel de restauration sont aussi dans les basses terres du Saint-Laurent et du lac Érié, la plaine du lac Manitoba, la plaine interlacustre et l'écorégion de Manitoulin–Lac Simcoe, en Ontario.

Comme plusieurs zones jugées prioritaires sont situées dans les territoires de Premières Nations, les chercheurs rappellent l'importance de mener l'effort de restauration dans le respect de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

En 2021, environ 50 millions d'hectares de terres avaient été convertis pour faire place à l'activité humaine sous forme de routes, de terres agricoles et d'infrastructures énergétiques, selon WWF-Canada.

Un potentiel sous-estimé

Les chercheurs estiment que la cartographie qu'ils ont élaborée pourrait être améliorée afin de mieux refléter l'ampleur de la dégradation des milieux naturels. Un avis partagé par la biologiste Kim Marineau.

"Comme ils ont essentiellement considéré les terres où des habitats ont été complètement perdus, ils ont exclu toutes celles où la dégradation des écosystèmes est causée par l'industrie extractive", observe celle qui est consultante en écologie et en botanique depuis près de 25 ans.

"Cette étude sous-estime la restauration potentielle des grandes forêts de notre territoire", ajoute la biologiste, qui n'a pas participé à l'étude
 

Selon les résultats, tout se passe dans le sud du pays, où il y a de l'urbanisation et de l'agriculture intensive. Or, notre forêt boréale aurait elle aussi besoin d'amour.
Kim Marineau, biologiste.

À l'instar de la biologiste, James Snider affirme que d'autres terres que celles mentionnées dans l'étude pourront être ciblées par le gouvernement. C'est le cas des terres marginales, c'est-à-dire des écosystèmes qui ont été convertis, mais qui s'avèrent, à ce jour, peu susceptibles d'être exploités.

Mme Marineau aurait aussi souhaité que l'étude ne se limite pas à l'évaluation des bénéfices pour les espèces les plus précaires – celles qui figurent sur la Liste rouge des espèces menacées de l'UICN –, mais qu'elle considère la biodiversité dans son ensemble.

La biologiste, qui salue néanmoins l'important travail d'analyse mené par les chercheurs, rappelle qu'il est hasardeux d'évaluer les bénéfices d'un milieu en supposant qu'il sera totalement rétabli, alors que "nos techniques de restauration ne sont même pas au point".

Un défi de taille

Le temps est venu pour le fédéral d'assumer son leadership, poursuit-elle. C'est à lui qu'incombe la tâche d'élaborer et de financer "une stratégie globale" pour freiner la dégradation des écosystèmes et d'agir, en amont, pour conserver les milieux naturels avant qu'il soit trop tard.

En plus de préciser la façon dont il entend respecter son engagement, le gouvernement devra fournir une définition officielle de ce qu'il considère comme un écosystème dégradé et "clarifier comment il mesurera le niveau de dégradation d'un milieu", estime de son côté M. Snider.

"Qu'en est-il des forêts qui n'ont pas été converties en terres agricoles, mais qui ont malgré tout été affectées par l'activité humaine, qu'il s'agisse de perturbations dues à des coupes à blanc, à des feux de forêt ou à des parasites?" s'interroge-t-il.

Un processus aussi complexe que la restauration écologique prendra du temps avant de faire son œuvre. D'où l'importance d'entamer le plus tôt possible un dialogue sur les milieux qu'il faudra prioriser, plaident les chercheurs.

"Le défi qui nous attend n'a rien d'anodin", insiste James Snider. L'étude se veut en quelque sorte une première tentative pour baliser le chemin. "Je pense qu'à bien des égards, ajoute-t-il, nous commençons à peine à comprendre l'ampleur de la promesse que nous avons faite."

Contacté par Radio-Canada, Environnement et Changement climatique Canada n'a pas pu indiquer la superficie équivalente à son engagement de restaurer 30 % d'écosystèmes dégradés. Le gouvernement "s'efforcera de mettre à jour" sa stratégie nationale de la biodiversité, qui comprend "la planification et la mise en œuvre de l'objectif 2 du cadre mondial pour la biodiversité", d'ici la COP16 en 2024.