Revenu universel : la fin de la pauvreté et des crises ?

L'idée d'un revenu universel fait son chemin à travers le monde. La Hollande teste le concept sur plusieurs villes ; la Finlande débutera une expérience en 2017 ; la Suisse vote son application par référendum en juin, et le Canada, aussi, tente le coup. Et si le revenu de base était LE remède à la pauvreté et aux crises ?
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Revenu de base
Le revenu de base ou universel est en cours de test dans plusieurs pays. La fin de la pauvreté et des crises sociales est-elle bientôt là ?
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Vous avez perdu votre travail, ou bien vous êtes malade. Vous avez un projet, mais pas assez de temps pour le lancer. Vous êtes étudiant et n'avez pas assez d'argent pour payer vos frais scolaires ? Dans le monde du revenu universel, ces situations ne sont plus un problème grave, puisque vous touchez un montant fixe mensuel, comme tous les autres membres de la société, qu'ils aient un salaire ou non. Cette idée de revenu "inconditionnel et garanti" n'est plus une utopie, qui commence à être débattue à travers le monde, voire déjà à l'épreuve dans certains pays.

Certains dénoncent cette mesure comme une incitation à la paresse, quand d'autres — au contraire — y voient le seul modèle de société du XXIème siècle apte à faire face au chômage de masse et à la robotisation généralisée. Le revenu universel garanti : utopie, fausse bonne idée, ou solution de sortie de crise ?

Un essai… en Inde

En 2011, l'Association des travailleuses autonomes (Self Employed Women’s Association, SEWA) propose à 8 villages de l'Etat du Madhya Pradesh de participer à une expérience de revenu inconditionnel. Ce projet est donc conduit par la SEWA avec les fonds du bureau indien du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). Il s'agit d'étudier les effets de ce modèle social, puisque les effets du revenu inconditionnel versé aux 8 villages est comparé avec d'autres, qui n'en bénéficient pas. Une somme mensuelle de 200 roupies (2,70€) est versée à chaque adulte, plus 100 roupies par enfant à chaque mère, en plus des aides sociales.

La somme est modique mais a son importance pour les villageois (qui, pour certains, gagnent à peine plus de 300 roupies par mois en travaillant dans les champs), avec des effets très visibles : les résultats scolaires se sont améliorés de presque 70%, le temps de présence à l'école a triplé, les achats de viande, d'œufs, de poisson ont augmenté. Les démarrages d'activités ont été multipliés par deux et l'épargne… par trois. Toutes les prévisions négatives affirmant que les "hommes allaient se saouler avec l'argent, et les femmes acheter des bijoux" se sont révélées fausses. Le revenu inconditionnel testé en Inde sur 4000 villageois pauvres a été une réussite, bien qu'il ne soit pas exactement le même que celui qui se profile dans certains pays riches.

La Finlande avance, les Pays-Bas testent

La Finlande est le pays riche le plus en avance sur le sujet : un groupe de travail a réalisé une étude préliminaire pour préparer l’expérimentation d'un revenu de base (autre nom du revenu universel). Ce projet a été présenté le 30 mars à Hanna Mäntylä, la ministre des Affaires sociales et de la Santé finlandaise. Les différents modèles retenus ont pour objectif déclaré de lutter contre le chômage et simplifier le système d'aides sociales.

Pauvreté et revenu de base
Un nombre croissant de personnes en grande pauvreté ne touchent aucunes prestations sociales aujourd'hui de par la complexité administrative qu'elles impliquent. Le revenu universel corrigerait cette injustice.
Photo : ThinkStock/BananaStock

Ces modèles proposent un revenu inconditionnel, partiel, ou d'impôt négatif. Le principe du premier serait de verser 800€ à toute la population sans condition, mais avec la suppression de toutes les aides sociales, le second serait de 550€, mais les assurances chômage et retraite seraient conservées. Le dernier, plus complexe à mettre en œuvre fonctionnerait sur un système de reversement, ou non, de revenu en fonction de l'imposition ou de la non-imposition. Le rapport final devrait être rendu fin 2016, les premières expérimentations débuteront en 2017 jusqu'en 2019.

Aux Pays-Bas, la ville d'Utrecht teste un revenu de base inconditionnel de 900€ pour une personnes seule et 1350€ pour un couple, sur 300 habitants, depuis le début de l'année. Le principe est de vérifier les effets comparés du revenu inconditionnel qui peut être cumulé avec un salaire, avec le système classique des allocations sociales… conditionnelles.

En 2008, un film hélvético-germanique explique le concept du revenu de base, ou revenu universel. Ce film démontre la révolution sociale que ce concept pourrait engendrer (version originale sous-titrée en français) :

La Suisse vote le 5 juin

En Suisse, c'est un référendum d'initiative populaire qui va avoir lieu le 5 juin 2016, initiative débutée en 2013 et pour laquelle les instigateurs ont appelé "le peuple suisse à engager le débat sur la valeur actuelle du travail, son rapport avec l’argent, la croissance, la société de consommation, l’écart entre richesse et pauvreté, la précarité et enfin, pourquoi pas, le principe du droit à une vie digne et épanouie indépendamment de toute valeur marchande". Pas moins.

Le vote mènerait dans le cas d'une victoire du "oui" à la modification de la Constitution :

 

La Confédération veille à l’instauration d’un revenu de base inconditionnel. Le revenu de base doit permettre à l’ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique. La loi règle notamment le financement et le montant du revenu de base.

Les Suisses — d'après les sondages — sont très favorables à l'instauration de ce revenu inconditionnel, et ce particulièrement chez les jeunes. Un tiers des sondés exprime la crainte que cette "manne financière sans contrepartie" (qui pourrait être de 2300€) incite les gens à arrêter de travailler. Mais lorsque l'on demande aux sondés si eux-mêmes arrêteraient de travailler avec un revenu inconditionnel, seuls 2% répondent positivement !

Du Canada à la France, le revenu de base est discuté

L'expérience du projet MINCOME des années 1970, semble intéresser le gouvernement Trudeau, qui lance cette année un chantier de réflexion sur ce sujet. Le programme MINCOME a, en effet, expérimenté le versement d'un revenu de base aux habitants ayant peu de ressources sur deux villes canadiennes, entre 1974 et 1979. S'il n'était pas inconditionnel, ce versement a néanmoins permis de réduire de 8,5 % les hospitalisations, d'augmenter le taux de réussite scolaire, de faire baisser les accidents du travail sans, pour autant, faire baisser les heures travaillées des personnes concernées. Le gouvernement fédéral de l'Ontario a donc annoncé qu'il lancerait, en 2016, un revenu de base inconditionnel dans tout l'Etat.

Redistribution
Le revenu inconditionnel ne coûterait pas plus cher que les prestations sociales, mais améliorerait la redistribution des richesses
(Photo : ThinkStock/Creatas)

En France, le parti EELV (Ecologie Europe Les Verts) a ouvert un débat au Sénat début 2016 pour demander au gouvernement de réfléchir à l'instauration d'un revenu de base.

Le député LR (Les Républicains) Frédéric Lefebvre et la socialiste Delphine Bathot ont eux aussi tenté de faire introduire un amendement pour un revenu de base dans la loi numérique. L'intérêt que suscite cette idée est partagé par des personnels politiques de tous bords, de gauche comme de droite.

Un changement de société trop important ?

Les freins les plus importants à l'instauration de ce "revenu pour tous" en France ne se situent pas — comme pourrait le laisser penser le sujet — sur des problèmes de financement. Les différents spécialistes qui ont travaillé sur le sujet s'accordent pour déclarer que le remplacement des prestations sociales en échange du versement du revenu de base serait tout à fait possible.

Le frein principal à l'instauration du revenu de base se situe en réalité au niveau du changement de société et de la gestion des ressources publiques que celui-ci impliquerait. Des centaines de milliers de fonctionnaires travaillent aujourd'hui à contrôler, vérifier les prestations sociales, orienter, renseigner les potentiels bénéficiaires : le rôle de ces fonctionnaires dans la société n'aurait plus aucun sens si un revenu inconditionnel se mettait en place. Une autre limitation réside dans la croyance très ancrée dans une partie de la population et de la classe politique, que "seul le travail mérite un salaire". Cet argument s'écroule lorsque l'on observe la part des prestations sociales dans le revenu global des ménages qui ne cesse d'augmenter : 34,9% en 2014. En réalité, ce n'est pas le seul travail qui permet de vivre en France, loin de là, et pour toutes les catégories de personnes. De plus, avec la "crise de la croissance" qui dure depuis 2008 — et ne semble pas prête de s'éteindre — cet argument du travail comme source principale de revenu est en train de s'affaiblir.

Allocations familiales
Un revenu de base inconditionnel ferait disparaître les différentes allocations personnalisées… et les institutions qui les versent.
Photo : http://revenudebase.info/
La véritable angoisse sociétale vis-à-vis du revenu de base semble donc se jouer en France autour du modèle "d'assistance individualisée de l'Etat" et du fonctionnariat qui en dépend : si demain les citoyens ne devaient plus venir justifier de leur [mauvaise] condition sociale pour bénéficier de prestations diverses et variées, c'est un pan entier du fonctionnement français qui s'écroulerait. Il n'est pas certain que ceux qui le défendent — et en vivent — souhaitent qu'il change aussi radicalement. A moins que la crise politique et sociale ne les y force ?

Le Mouvement Français pour un Revenu de Base est, quant à lui, convaincu que le principe d'un revenu inconditionnel et universel se mettra en place en France. Pour convaincre tous ceux qui doutent de la pertinence de cette "révolution", des vidéos explicatives ont été publiées par l'association. Celle-ci explique le financement du revenu de base, sa faisabilité et les avantages qu'il amènerait globalement à la société :