Robots sexuels : quand le marché se mêle de l'intime

Les robots sexuels ou "sexbots" se développent avec un futur marché de ces innovations technologiques estimé à plusieurs milliards d'euros. Mais cette nouveauté pose de nombreuses questions sur l'évolution de notre rapport à l'autre, à nous-mêmes… et à l'intelligence artificielle.
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Robot sexuel
© Max Pixel
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La réalité est en train de rattraper la fiction. Des romans d'Isaac Asimov à la "série Rick & Morty" en passant par Futurama, les robots sexuels étaient l'un des thèmes récurrents de la science-fiction. C'était aussi l'enjeu, en partie, d'un épisode de "Black Mirror — Bientôt de retour".

Malgré le côté surréaliste du concept, que ce soit au Japon, aux États-Unis ou en Europe, les entreprises spécialisées dans la création de ce genre de robots sont de plus en plus nombreuses. Elles tentent de produire des robots toujours plus réalistes, toujours plus performants pour remplacer, à terme, les poupées gonflables et autres "sex toys". Si la grande majorité des modèles sont féminins, il en existe aussi des masculins. Tous et toutes sont donc concernés par l'arrivée en force de cette technologie. 

La formule 2.0 du 'sexbot' est simple : en plus d'être le plus possible ressemblant à un être humain, le robot est équipé d'une intelligence artificielle (IA). Capable donc de discuter avec son utilisateur et d'exprimer, par exemple, un refus (simulé) du rapport sexuel. Petit exemple avec cette vidéo en anglais :

Ce premier aboutissement technologique avait d'ailleurs suscité la polémique aux États-Unis lorsqu'un père de famille, reçu sur le plateau de la télévision locale, avait assumé intégrer le robot sexuel à la famille et à l'éducation de ses enfants. 

Le rapport aux autres en question

Pour les défenseurs des robots sexuels, cette avancée technologique permettra de faire disparaitre les viols, les actes pédophiles, la frustration et la solitude en satisfaisant les besoins de leurs utilisateurs. Un discours qui existait déjà lorsque la pornographie est arrivée massivement sur les écrans.

Mais l'arrivée des ces robots pose de nombreuses questions et notamment sur notre rapport aux autres. Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, chercheur associé au Centre de Recherche Psychanalyse Médecine et Société à l’université Paris VII Denis Diderot, le dit très bien : "La révolution numérique nous a imposé de penser autrement le rapport aux savoirs, aux apprentissages, à l’identité, à la sociabilité, au temps et à l’espace. Mais ces bouleversements ne sont rien à côté de ceux que va nous imposer demain la proximité des robots." Dans son livre Le jour où mon robot m'aimera, il développe une analyse sociologique des évolutions que pourraient produire les robots dans nos vies.

La première question que pose l'arrivée de robots dans notre quotidien est celle de notre rapport aux machines. Si leur "intelligence" est suffisamment développée pour qu'un lien se tisse, comment un être humain se comportera-t-il avec son robot ? Serge Tisseron explique le concept et ses pièges : "Parler à une machine comme à un humain n’a rien de problématique. Cela le devient dès lors que l’on se met en danger en voulant lui éviter des souffrances que l’on projette sur elle. Imaginez une personne âgée qui, voyant son robot sur le point de chuter, se précipite pour l’aider..."

Peut-on avoir de l'empathie pour une machine qui n'éprouve pas d'émotions ? C'est là l'un des enjeux de l'intimité humains-robots.

La deuxième question soulevée par cette relation aux robots découle de la première : comment les relations humaines seront affectées par ces nouveaux liens sociaux ? Dans une interview accordée à psychologies.com, Serge Tisseron explique les risques liés à ce bouleversement des moeurs : "Tout le monde s’accorde pour dire que le téléphone portable nous a rendus moins tolérants à l’attente. Il est logique de penser que des robots toujours à notre écoute, sans amour-propre et ne nous parlant jamais d’eux vont nous rendre moins tolérants à la contradiction et au caractère imprévisible des êtres humains.

D'autant que "la révolution numérique" nous a imposé de penser autrement le rapport aux savoirs, aux apprentissages, à l’identité, à la sociabilité, au temps et à l’espace. Mais ces bouleversements ne sont rien à côté de ceux que va nous imposer demain la proximité des robots. D'où l'importance d'encadrer avec la loi le développement des sexbots et de l'IA en règle générale ?

Le plus grand risque, selon le psychiatre, est que, happé par la facilité, nous finissions par être plus proches des robots que des humains. Ce qu'explique en quelques mots Serge Tisseron : "Les robots nous encouragent à notre insu à valoriser comme 'reposantes' les relations correspondant au cahier des charges d’une socialisation policée et sans surprise. Autrement dit, le risque est que l’homme finisse pas attendre de ses semblables qu’ils se comportent comme des robots."