Un pays accusé de « génocide » contre la minorité rohingya face aux juges de la Cour internationale de Justice : la Birmanie. Pour plaider sa cause, Aung San Suu Kyi, l'ancienne icône des droits de l’homme et prix Nobel de la paix, a fait le déplacement. À l’origine de ces accusations, la Gambie. Pourquoi et comment ce petit État africain se retrouve mêlé à ce dossier ultrasensible ?
"Tout ce que la Gambie demande, c'est que vous disiez [à la Birmanie] de mettre fin à ces tueries insensées, d'arrêter ces actes de barbarie et de cesser ce génocide contre son propre peuple", a martelé le ministre gambien de la Justice, Abubacarr Tambadou, devant les juges de la Cour internationale de Justice à La Haye, aux Pays-Bas.
C’est la Gambie qui a porté l’affaire devant les instances internationales, mandatée par l’Organisation de la Coopération islamique, qui regroupe 57 pays musulmans. Les autorités gambiennes accusent le gouvernement birman de chercher à
"exterminer" la minorité musulmane des Rohingyas, en tant que groupe ethnique. Avec comme armes : les meurtres, les viols et autres violences sexuelles, et l’exode forcé de la communauté menacée.
Une procédure inédite
La Gambie se base sur un texte méconnu de 1948, pour envoyer la Birmanie sur le banc des accusés. Il s'agit de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. L’État africain accuse ainsi la Birmanie d’avoir violé cette Convention, en perpétrant un génocide organisé.
Une procédure inhabituelle comme le rapporte le quotidien sud-africain le
Daily Maverick :
« Habituellement, ce sont les pays étrangers qui traînent les gouvernements africains en justice pour avoir commis des atrocités. Mais cette semaine, la petite nation ouest-africaine de Gambie renverse la situation en accusant le Myanmar devant la Cour internationale de justice (CIJ) pour génocide présumé contre la minorité musulmane rohingya.”La plainte a été déposée le 11 novembre 2018 par le ministre gambien de la Justice, devant la Cour internationale de Justice. Cette disposition onusienne est en place pour régler les conflits entre Etats, et non poursuivre les individus comme le fait la Cour pénale internationale.
Enquête
Depuis août 2017, plus de 740 000 Rohingyas se sont réfugiés au Bangladesh voisin, pour fuir les exactions de l'armée birmane et des milices bouddhistes.
Chaque jour à ne rien faire, ce sont plus de gens tués, plus de femmes violées et plus d'enfants brûlés vifs. Quel crime ont-ils commis ? Seulement celui d'être nés dans une religion différente.
Abubacarr Tambadou, ministre gambien de la Justice
Les accusations de la Gambie s’appuient sur les enquêtes des experts de l’ONU et des avocats gambiens. Ils auraient recueilli plus de 600 témoignages de Rohingyas dans les camps de réfugiés au Bangladesh, vidéos et images satellites à l’appui.
"Chaque jour à ne rien faire, ce sont plus de gens tués, plus de femmes violées et plus d'enfants brûlés vifs. Quel crime ont-ils commis ? Seulement celui d'être nés dans une religion différente", dénonce le ministre gambien de la Justice, Abubacarr Tambadou.
L’homme est également l’ancien procureur du Tribunal international pour le Rwanda. Il n’hésite pas à mettre en parallèle le récit des victimes rwandaises et rohingyas : « Leur impuissance face à des meurtres de masse, des tueries de masse, des viols, de la torture de masse. Des histoires d'enfants brûlés vifs. Des histoires qui me sont toutes familières. Que j'ai déjà entendues alors que j'étais procureur au Tribunal international pour le Rwanda », explique-t-il à l’agence Reuters, au moment du dépôt de plainte, le 2 décembre 2019.
La Gambie demande des mesures d'urgence pour mettre fin au "génocide en cours", en attendant que soit rendu l'arrêt définitif de la Cour de La Haye. Mais il va falloir attendre : cela pourrait prendre des années.
"C'est le genre de solidarité internationale que l'on ne voit plus"
L'avocat américain Reed Brody était ce mardi soir invité du journal Afrique de TV5MONDE. Il trouve très encourageante la démarche de la Gambie qui se préoccupe du sort de populations vivant à des milliers de kilomètres de Banjul. Une solidarité rare aujourd'hui, estime en substance celui qui travaille pour Human Rights Watch. Une solidarité qui s'explique aussi par le passé du ministre gambien de la justice qui voit dans la situation en Birmanie des similitudes avec ce qu'il a pu voir au Rwanda.