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©Antoine Delpierre
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Rouen : quelles conséquences après l’incendie de l’usine Lubrizol ?

Le nuage se dissipe mais les inquiétudes persistent. Après l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen — survenu dans la nuit de mercredi à jeudi — le préfet se veut rassurant vendredi matin. Le feu  a été éteint. Pourtant, l’odeur nauséabonde et les résidus de suie continuent d’inquiéter les habitants des 13 communes concernées. Quelles conséquences peut engendrer un tel sinistre ?

Dans la nuit de mercredi à jeudi, un incendie se déclare dans l’usine de Lubrizol à Rouen, classée Seveso et spécialisée dans la production d’additifs pour lubrifiants. Vers 2H40 du matin, les Rouennais sont réveillés par une odeur nauséabonde.

Qu’est-ce qu’une usine classée Seveso ?

Seveso fait référence au drame survenu dans la villedu même nom du nord de l’Italie, en 1975. A l’époque, de la dioxine est rejetée accidentellement et provoque d’importants dégâts écologiques.

Aujourd’hui, le nom de Seveso est attribué à une réglementation européenne. Elle concerne les usines industrielles qui présentent les risques les plus importants et qui peuvent engendrer des conséquences graves en cas d’accident.  Ces sites, dits Seveso, sont classés en deux seuils : bas et haut (comme l’usine Lubrizol de Rouen), des classifications mesurées en fonction de la dangerosité des produits qu’ils abritent.

Dehors, un nuage noir anthracite, provoqué par les flammes, s’étend sur 22 kilomètres de long. Les habitants des 13 communes de l’agglomération sont alors appelés à la plus grande vigilance.
 

PHOTO TWEET MINISTERE
Tweet du Ministère de l'Intérieur après l'incendie de l'usine de Lubrizol à Rouen.
Vers 11h jeudi matin, l’incendie est maîtrisé avant d’être totalement éteint vendredi dans la matinée. D’après un communiqué de Lubrizol, l’incendie aurait « touché un entrepôt, une installation d’enfûtage (mise en fûts, NDLR) et un bâtiment administratif ». Il aura fallu 200 sapeurs-pompiers pour maîtriser les flammes.

C'est dans un premier temps la pollution de la Seine qui inquiète. Le plan Polmar, utilisé cas de pollution marine accidentelle, est alors déclenché sans qu'aucune anomalie n'ait été observée.

Le préfet de la Seine-Maritime, Pierre-André Durand s’est voulu rassurant. "On peut ressentir des odeurs déplaisantes qui peuvent durer plusieurs jours mais ce ne sont que des odeurs. (...) Nous connaissons les produits qui ont brûlé et nous avons procédé à 78 mesures sur 26 points. Elles font apparaître des fumées avec des substances carbonées classiques : des composants d’huile, d'hydrocarbures d'où cette fumée noire et cette suie grasse, mais je le rappelle, sans toxicité aiguë" (dose d'un produit toxique massive et mortelle),  a-t-il affirmé sur France Bleue Normandie. Il a également indiqué que  les établissements scolaires resteront fermés jusqu’à lundi, " une mesure de précaution […](qui) doit servir à nettoyer les cours de récréation", a-t-il précisé.

Mais les habitants de la région ne sont pas pour autant soulagés et restent inquiets  face aux nombreux signes de pollution. Odeurs dérangeantes, traces noires sur différentes surfaces, ils s’interrogent sur les conséquences que pourrait provoquer un tel incendie. Une inquiétude que partagent les agriculteurs - à qui il a été demandé de "ne pas récolter". Ils craingent pour l'avenir de leurs produtions.  

Usines Seveso : des sites suffisamment protégés ? 

Du fait de leur dangerosité, les usines dites Seveso, sont soumises à des normes de sécurité strictes, notamment  depuis 1982, date des premières règlementations. La dernière a été mise en place en 2015. Il s’agit de « Seveso 3 », une directive qui "établit de nouvelles méthodes de classification des substances et crée de nouvelles dénominations de dangers" d’après le Ministère de la Transition écologique et solidaire.

Malgré ces réglementations, l’incendie de l’usine Lubrizol jeudi matin,  rappelle de sombres souvenirs aux Rouennais. En 2013, un grave accident avait déjà eu lieu dans cette même usine. A l’époque, une fuite de mercaptan, un gaz malodorant — utilisé pour donner une odeur au gaz pour en repérer les fuites —  s’était propagée jusque dans la région parisienne et dans le sud de l’Angleterre.

Un incident qui a d’ailleurs failli se répéter quatre ans plus tard. Le préfet  a indiqué que l’usine de Lubrizol — aujourd’hui aux normes — "a fait l’objet d’une mise en demeure" en 2017, suite à l’observation de "17 manquements", des propos relayés par nos confrères de l’AFP.

Il existe aujourd’hui près de 1200 usines  Seveso en France, réparties sur l’ensemble du territoire, dont 650 considérées en "seuil haut". Le drame de jeudi matin relance donc le débat autour de ces sites et de nouvelles questions se posent sur leurs normes de sécurité. D’après Jacky Bonnemains, président de l’association écologiste Robin des Bois, interviewé par Le Parisien, "on déplore aujourd'hui en France de plus en plus d'incendies et d'explosions dans des établissements industriels, classés Seveso ou non. […] Il y a par ailleurs une baisse incontestable du nombre de visites de ces établissements par les inspecteurs des installations classées. Les directions régionales de l'environnement sont en sous-effectif et effectuent de moins en moins de visites sur le terrain. Du coup, les industriels sont livrés à eux-mêmes", a-t-il ajouté.

Les conséquences à craindre ?

Si jusqu’à présent les autorités restaient confiantes — bien que toutes les substances n’aient pas été analysées —  l’incendie à l’usine Lubrizol pourrait présenter des risques pour  la santé publique et l’environnement.

C'est d'ailleurs ce que crint Annie Thébaud Mony, directrice de recherche honoraire à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) : "l'inquiétude est absolument légitime. Ce nuage qui est passé au dessus de Rouen est chargé en poussière hautement toxique au minimum cancérogène", a-t-elle avancé à l'AFP avant d'ajouter, "le préfet ne ment pas quand il dit qu'il n'y a pas de toxicité aigüe du nuage, mais il ne peut écarter la toxicité à long terme".

Depuis jeudi, plusieurs personnes ont été prises en charge — pour des maux de tête et de gorge  — par le SAMU qui ne déclare pour autant, « pas d’afflux notable ». Ce vendredi, les locaux de France 3 Rouen ont toutefois été évacués. De nombreux salariés ont été « victimes de vomissements » à cause des fortes odeurs dégagées par l'incendie.

Un peu plus tard, ce sont des galettes d’hydrocarbures qui ont été retrouvées  sur la Seine d’après la préfecture. "Nous sommes en train d’armer un navire pour récupérer les galettes avec un chalut tampon, fait pour ramasser les hydrocarbures" a annoncé Benoît Lemaire, directeur de cabinet du préfet de Normandie, à l’AFP. Une éventualité qui avait été avancée par le préfet Pierre-André Durand jeudi après-midi et par Jacky Bonnemains qui a confié au Parisien : "la Seine sera touchée, c'est certain. On peut même s'attendre à des mortalités de poissons, liées notamment à des rejets de produits chimiques dans le fleuve suite au débordement des bassins de rétention d'eau".

La CGT, de son côté, a réclamé dans un communiqué la "transparence complète sur les risques encourus". La ministre de la Santé, Agnès Buzyn et la ministre de la Transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, se sont quant à elles rendues sur les lieux de l’incendie pour faire le point sur la situation. Les deux ministres se sont, elles aussi, voulues rassurantes, il n'y a "pas de polluants anormaux dans les prélèvements effectués", a assuré Elisabeth Borne. agnès Buzyn a elle reconnu que "la ville est clairement polluée" et que "les produits peuvent être irritants sur le moment".

Il en faudra plus pour calmer la colère des riverains. Deux personnes ont déjà porté plainte contre X, à la suite de l'incendie de l'usine Lubrizol. Les associations environnementales appellent elles, à une manifestation le 1er octobre.