Le grand tabou Le soulèvement gagne Bucarest le 21 décembre. Le 22, Nicolae Ceau?escu et sa femme Elena prennent la fuite avant d'être jugés, sommairement, puis exécutés le 25 décembre. Au total, plus d'un millier de personnes sont mortes pendant ce soulèvement. Les Roumains d'aujourd'hui ont une perception bien particulière de ces événements qui restent obscures, voire tabous, et ont laissé des traces indélébiles dans la société roumaine. Faillites industrielles, pauvreté et corruption: le destin de Zimnicea, petit port sur les bords du Danube, symbolise l'histoire de la Roumanie depuis la chute il y a un quart de siècle du dictateur Nicolae Ceausescu. Le pays le plus pauvre de l'Union européenne après la Bulgarie se souvient et commémore depuis la mi-décembre le renversement du régime totalitaire de Ceausescu, exécuté le jour de Noël 1989. Un millier de Roumains sont morts lors de cette révolution. A Zimnicea, ville du sud de 15.000 âmes, les habitants rencontrés par l'AFP ne peuvent s'empêcher, malgré la brutalité du régime, de regretter la vie d'avant. "Sous le communisme, tout le monde avait un emploi" est la phrase qui revient comme un leitmotiv. Du haut du balcon de la mairie qui surplombe la place principale de la ville, le maire social-démocrate Petrica Pârvu montre les bâtiments publics, aujourd'hui fermés, qui ont fait autrefois la fierté de Zimnicea. Cet homme d'une soixantaine d'années évoque avec nostalgie les usines construites sous le communisme, qui employaient plus de 8.000 personnes. "Après 1990, ce fut le début du grand drame national, avec tous ces salariés mis au chômage et la fermeture des usines", raconte-t-il à l'AFP. Aujourd'hui, seules 3.500 personnes ont un emploi dans la ville.
Capitalisme à la roumaine A présent, le sort de la ville est peu ou prou entre les mains d'une personne : Ioan Niculae, l'homme le plus riche de Roumanie, milliardaire en euros, et originaire de Zimnicea. L'enseigne de son conglomérat agro-industriel InterAgro est omniprésente dans les rues. De nombreuses familles comptent un de leurs membres parmi ses salariés, payés pour la plupart le salaire minimum, soit environ 200 euros par mois. Parrain de la fille du maire, le magnat a racheté, dans des conditions opaques et pour des sommes dérisoires selon ses détracteurs, deux des vieilles usines de la ville. L'une a été fermée, l'autre tourne au ralenti, mais sur les terrains qu'elles détiennent, d'autres entreprises plus rentables ont été érigées. "Oui, la ville dépend en grande partie de M. Niculae", reconnaît M. Pârvu, "mais c'est une bonne chose, car son groupe paie des impôts et des taxes". Le parcours du patron d'InterAgro illustre "l'originalité" du capitalisme roumain, basé sur des aides d'Etat", estime Mme Nutu, mais "il est anormal que l'homme le plus riche reçoive des subventions". L'industriel est désormais dans le viseur de la justice: le parquet a ouvert cet été une enquête pour blanchiment. Son éventuelle condamnation provoquerait un séisme à Zimnicea. L'histoire de la ville a été bizarrement marquée par un vrai séisme, le grand tremblement de terre de 1977 qui fit plus de 1.500 morts dans le pays. "Dévastée" selon les informations de l'époque, Zimnicea avait bénéficié d'un vaste programme de reconstruction du centre ville, qui n'a néanmoins jamais été totalement achevé. En vérité, une grande partie des destructions a été l'oeuvre du premier secrétaire local du parti communiste. Selon des informations dévoilées après 1989, ce dernier avait exagéré l'ampleur des dégâts. Quand Nicolae Ceausescu décida de se rendre sur place, le responsable envoya rapidement des bulldozers pour démolir les maisons du centre ville épargnées par le séisme avant son arrivée. Mariana, une femme au foyer, vit avec son mari et leur fils dans un de ces bâtiments inachevés du centre. Privés d'eau chaude, ils se chauffent au bois grâce à un poêle improvisé. "La vie est dure, mais d'autres familles sont encore plus pauvres", dit-elle, en portant à la poubelle quelques chiffons que son mari avait ramassés dans la rue en "espérant qu'ils serviraient à quelque chose". Des évènements très mystérieux "Je pense que les priorités sont bien ailleurs aujourd'hui, explique cependant Jean-Michel Dewaele, professeur en sciences politiques à l'ULB et Spécialiste de l'Europe de l'Est. Elles sont socio-économiques comme malheureusement dans beaucoup de pays d'Europe. Mais on n'évite évidemment pas l'anniversaire d'une date qui a fait basculer l'histoire de la Roumanie du tout au tout." "Il y a aussi le fait que ces événements restent encore très mystérieux pour une série de citoyens; on ne sait toujours pas très bien ce qui s'est déroulé réellement. Est-ce une révolution ? Est-ce un coup d'État ? Il y a toujours une grande discussion médiatique autour des événements mêmes."