Roumanie : l'élection présidentielle invalidée par la Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle roumaine annonce dans un communiqué l'annulation de l'élection présidentielle, dont le deuxième tour était prévu ce dimanche sur fond de suspicions d'ingérence russe. C'est le dernier rebondissement dans un processus chaotique troublé par des suspicions d'interférence russe en faveur du candidat d'extrême droite.
 

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Roumanie

Une femme se cache le visage derrière ses mains lors d'un rassemblement pro-européen à Bucarest, en Roumanie, le 5 décembre 2024.

AP Photo/Andreea Alexandru
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La Cour constitutionnelle de Roumanie a décidé d'"annuler la totalité" du scrutin présidentiel afin de "s'assurer de sa validité comme de sa légalité" et demande à ce que "l'intégralité du processus électoral" recommence, selon un communiqué qui a plongé le pays d'Europe orientale sous le choc.

Des soupçons d'ingérence

"Le gouvernement fixera une nouvelle date" ultérieurement, précise la Cour, qui avait pourtant validé les résultats plus tôt dans la semaine après un recomptage des voix du premier tour qui avait conclu à l'absence de fraudes.  Mais entretemps les autorités ont déclassifié des documents des services de renseignements étayant les accusations sur le rôle "massif" de TikTok dans la campagne, avec la Russie dans le viseur.

Au premier tour, le candidat nationaliste Calin Georgescu était arrivé en tête à la surprise générale, balayant les favoris dans les rangs des partis de gouvernement.  Critique de l'UE et de l'Otan, cet ancien haut fonctionnaire de 62 ans s'est encore déclaré vendredi dans les médias en faveur d'un arrêt total de l'aide militaire à l'Ukraine voisine.

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S'il a par le passé dit son admiration pour le président russe Vladimir Poutine, il a récemment évité de se positionner clairement, indiquant juste qu'il était "proroumain". Sorti de nulle part après une campagne virale sur TikTok, il devait affronter la centriste pro-européenne Elena Lasconi, autoproclamée elle aussi "anti-système" et qui remontait dans les sondages, engrangeant les ralliements. 

La décision de la Cour critiquée

Elena Lasconi "condamne fermement" la "décision illégale" d'un "État roumain bafouant la démocratie" et "conduisant le pays à l'anarchie", estimant dans une vidéo que "le vote aurait dû avoir lieu". 

Le chef du principal parti d'extrême droite AUR, George Simion, dénonce une décision "motivée politiquement", "annulant la volonté du peuple roumain" tout en appelant ses partisans au calme, car "le système doit tomber démocratiquement".

Selon le politologue Costin Ciobanu, cette annulation "historique et sans précédent" va "polariser" encore plus la société et "soulève de sérieuses questions sur la solidité des institutions".  À l'inverse, le Premier ministre social-démocrate Marcel Ciolanu, grand perdant du premier tour, salue sur Facebook la "seule bonne solution après la déclassification" de documents montrant un résultat "faussé par l'intervention de la Russie".

 "Coup d'État dans les urnes" 

Le professeur en sciences politiques Sergiou Miscoiu estime aussi que la décision à l'unanimité de la Cour est dictée par la "conviction" des juges que "les élections ont été faussées, ce qui est vrai".  Quant à l'analyste Cristian Pirvulescu, il évoque "une décision de bon sens" face à "un coup d'État dans les urnes". "

Ils ont pris la décision qui rétablira enfin des règles du jeu équitables entre les concurrents.

 Cristian Pirvulescu, analyste

Le message "Roumanie d'abord" de Calin Georgescu a trouvé son public auprès d'une partie de la population, lassée des partis traditionnels vus comme corrompus et confrontée à des difficultés économiques, dans l'un des pays les plus pauvres d'Europe.

Campagne sur les réseaux

Mais adepte des théories de complot et admiratif de Donald Trump, il a surtout bénéficié sur les réseaux sociaux d'une "campagne de promotion agressive, en violation de la législation électorale", d'après les autorités.  Elles dressent des parallèles avec de précédents efforts d'ingérence électorale russe en Europe. 

Les services secrets ont recensé "25 000 comptes TikTok" directement associés à la campagne du candidat nationaliste et devenus "extrêmement actifs deux semaines avant la date du scrutin", selon ces documents. La Roumanie a par ailleurs détecté plus de 85 000 cyberattaques, "y compris le jour de l'élection", lancées depuis une trentaine de pays et exploitant les vulnérabilités des systèmes informatiques électoraux pour déstabiliser le processus. Deux enquêtes ont été ouvertes sur des faits de délits électoraux et blanchiment d'argent, notamment par le parquent anti-corruption.