Royaume-Uni : Rishi Sunak, symbole de la super-diversité britannique

Entretien. Après le départ ce mardi 25 octobre de Liz Truss, la plus éphémère Première ministre que le Royaume-Uni ait connue, Rishi Sunak, son successeur, a été nommé ce même jour par le roi Charles III. Petit-fils d’immigrés indiens, Rishi Sunak est sans conteste le symbole de la super-diversité au sein de la société britannique, selon Maud Michaud, maître de conférences en civilisation britannique à l’université du Mans.
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Rishi Sunak, quittant le 10 Downing Street, le jeudi 13 février 2020, juste après avoir été nommé ministre des finances du gouvernement de Boris Johnson. 
© AP Photo/Matt Dunham
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TV5MONDE : Rishi Sunak est le premier chef de gouvernement non-blanc du Royaume-Uni. Quelle signification politique peut-on donner à cet événement ?

Maud Michaud, maître de conférences en civilisation britannique à l’université du Mans​ : On peut donner comme signification à ce choix, à cette nomination de Rishi Sunak  à la tête du parti conservateur, donc à la tête du gouvernement britannique, une portée symbolique certaine ; qui est en fait le résultat, de la part du parti conservateur depuis les années Cameron [David Cameron, premier ministre du 11 mai 2010 au 13 juillet 2016, NDLR], d'une réelle volonté de mettre en avant des hommes et des femmes politiques non-blancs.

(Re)voir : "Royaume-Uni : Rishi Sunak, premier ministre"

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Il s'agit de pousser vers le devant de la scène les minorités ethniques qui manquaient un petit peu à l’électorat conservateur. Car, si les conservateurs, depuis qu’ils sont au pouvoir en 2010, ont en effet su mettre en avant des personnalités non-blanches d’origine indienne, africaine, pakistanaise etc. à des postes de pouvoir jusqu’à aujourd’hui, on ne peut pas vraiment en dire autant au  niveau de leur électorat, qui reste blanc dans l’ensemble.

Sunak est certes descendant d’immigrés, mais son éducation et le milieu social, les réseaux qu’il a pu activer ensuite sont assez traditionnels au sein du parti conservateurMaud Michaud, maître de conférences en civilisation britannique à l’université du Mans

Au niveau de l’électorat du parti conservateur, il n’y a pas forcément une adéquation avec ces efforts de mise en avant des personnalités politiques non-blanches, comme Rishi Sunak par exemple.

TV5MONDE : Elu député du Yorkshire en 2015, Rishi Sunak devient ministre des Finances cinq ans plus tard. Aujourd’hui, il accède au 10 Downing Street. Comment expliquer cette ascension fulgurante de ce petit-fils d’immigrés indiens ? Est-ce la force du modèle d’intégration britannique ?

Maud Michaud : C’est en effet la force du système d’intégration britannique. C’est aussi en raison de ce mouvement à l’intérieur du parti conservateur de mise en avant des personnalités politiques issues de l’immigration, d’anciennes colonies ou des pays du Commonwealth.

Mais par bien des aspects, Rishi Sunak a aussi un parcours d’homme politique très classique au sein du parti conservateur. Il est issu d’une « Public School » très renommée. Les « Public School » sont ces fameuses écoles privées très sélectives, très chères. Il était boursier dans l’une de ces écoles, au Winchester College, l’une des plus prestigieuses, avec le collège d’Eton et la Harrow School.

David Cameron
L'ancien Premier ministre britannique David Cameron et son épouse Samantha, lors des obsèques de la reine Elizabeth II, à l'abbaye de Westminster, dans le centre de Londres, le lundi 19 septembre 2022.
© Geoff Pugh/Pool via AP

Ensuite il est allé à Oxford, où il a fait la fameuse licence de philosophie politique qu’ont suivie plusieurs femmes et hommes politiques britanniques. Là aussi, il a un parcours traditionnel au sein du parti conservateur. Il a beaucoup de choses en commun avec d’anciens chefs du parti conservateur comme Boris Johnson, ou comme David Cameron qui a travaillé dans la finance lui aussi.

De ce côté-là, on peut dire que Sunak est certes descendant d’immigrés, mais son éducation et le milieu social, les réseaux qu’il a pu activer ensuite sont assez traditionnels au sein du parti conservateur. Cela peut expliquer son ascension, avec bien entendu les circonstances très particulières de ces derniers mois. La sortie de Boris Jonhson, la sortie encore plus éclair de Liz Truss, l’ont finalement fait revenir sur le devant de la scène, alors qu’il avait été le perdant de l’élection au sein du parti conservateur cet été.

On n’est plus dans la diversité culturelle, on n’est dans la super-diversité dans des villes comme Londres, Bristol et BirminghamMaud Michaud, maître de conférences en civilisation britannique à l’université du Mans

TV5MONDE : Rishi Sunak est membre du parti conservateur. Sadiq Kahn est maire de Londres et membre du parti travailliste. Le premier est d’origine indienne et hindou, le second d’origine pakistanaise et musulman. Mais ces deux personnalités sont-elles le symbole d’une diversité plus solubles dans la société britannique ?

Maud Michaud : Je crois que la diversité est beaucoup plus encouragée en Grande-Bretagne qu’en France par exemple. De manière visible, on a en effet une plus grande proportion de personnalités originaires d’Asie du Sud. Vous mentionnez Rishi Sunak d’origine indienne, qui fait partie de ces familles qui sont ethniquement indiennes, mais qui viennent d’Afrique de l’Est, qui ont été chassées de ces anciennes colonies britanniques d’Afrique de l’Est dans les années 1960-1970 ; comme d’autres personnalités du gouvernement d’ailleurs.

(Re)voir : "Royaume-Uni : les liens unissant Rishi Sunak à l'Afrique"

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L’ancienne ministre de l’Intérieur Suella Breverman, qui a quitté ses fonctions juste avant que Liz Truss ne démissionne, d’origine indienne également, venait de l’Ile Maurice. C’est également l’histoire de Freddie Mercury [chanteur-pianiste du groupe de rock Queen, né dans le protectorat de Zanzibar, et dont les parents avaient des ancêtres perses qui avaient fui en Inde, NDLR] et sa famille. Donc en effet, il y a une plus grande représentation des minorités à des postes politiques de pouvoir. On pense évidemment au maire de Londres Sadiq Kahn, mais aussi aux travaillistes Marvin Rees, maire de Bristol, et Muhammad Afzal, maire de Birmingham.

Donc cette décolonisation qui a créé ces grands mouvements est une cause historique de cette super-diversité. D’autant que c’était une immigration qui, durant plusieurs décennies, a été encouragée par le gouvernement britannique.Maud Michaud, maître de conférences en civilisation britannique à l’université du Mans

C’est vrai qu'ils n'accèdent qu’à des postes de pouvoir de grandes villes, qui sont des villes marquées par ce que les sociologues appellent la super-diversité. On n’est plus dans la diversité culturelle, on n’est dans la super-diversité dans des villes comme Londres, Bristol et Birmingham, caractérisées par un multiculturalisme très varié, et qui se traduit par des positions politiques plus variées qu’en France par exemple.

TV5MONDE : Cette notion de super-diversité que vous évoquez traduit-elle un multiculturalisme plus important au sein de la société britannique ? Et si oui, quels en sont les ressorts ?

Maud Michaud : Je dirai que cette super-diversité est le fait de plusieurs facteurs historiques, qui sont dus à l’histoire dans la longue durée, et dans laquelle est inscrit le Royaume-Uni. La décolonisation a été un facteur très important. Cette société « super-diverse » s'est créée notamment dans ces grandes villes qui ont beaucoup attiré les immigrés issus d’anciennes colonies de l’empire britannique, entre la fin de la Deuxième Guerre Mondiale et les premières personnes déplacées par le conflit entre l’Inde et le Pakistan, ou encore par l’arrivée de toutes ces personnes qu’on appelle la génération Windrush [cette expression désigne les immigrants des Caraïbes qui s’installèrent en Grande-Bretagne jusqu’en 1971, NDLR], qui arrivaient notamment des Antilles anglophones.

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L'ancienne Première ministre britannique Margaret Thatcher, saluant les médias en revenant au 10 Downing Street, depuis Buckingham Palace, à Londres, le 11 mai 1980.
© AP Photo/John Redman

Donc cette décolonisation qui a créé ces grands mouvements est une cause historique de cette super-diversité. D’autant que c’était une immigration qui, durant plusieurs décennies, a été encouragée par le gouvernement britannique. Ce dernier propose en effet, dès 1948, la citoyenneté britannique à tous les citoyens de l’Empire et du Commonwealth; et il aide les sujets de l’Empire ou les habitants du Commonwealth, à venir s’installer et travailler sur le sol britannique.

C’est une immigration qui, si elle n’est pas forcément bienvenue au sein de la population britannique des grandes villes telles que Londres, Bristol, ou Birmingham, reste indispensable pour les grands centres industriels du pays, qui ont besoin de main d’œuvre, qui ont besoin de se reconstruire; elle est donc encouragée au départ par  les gouvernements, conservateur comme travailliste. Puis, vont arriver les politiques de limitation de cette immigration dans les années 1970-1980, notamment avec feue Margareth Thatcher.  

TV5MONDE : vous avez établi un parallèle entre la France et la Grande-Bretagne. Au vu de ce qui se passe outre-Manche, en particulier dans la vie politique, peut-on dire que la diversité est en panne en France ?

Maud Michaud : Je dirais que oui, bien entendu. Il n’y a qu’à regarder la composition de notre Assemblée nationale, celle de notre gouvernement, ou encore les personnalités politiques à la tête des grandes villes françaises. Il y a évidemment une diversité ethnique et culturelle qui existe au sein de notre population, mais qui n’est pas visible aux postes de pouvoir notamment politiques.