A quoi Theresa May vient-elle d'échapper ?
A son éviction.
Il s’agissait d’un vote dit « de défiance », tenu ce mercredi soir, interne au Parti conservateur (Tories).
Si au moins 159 députés - sur 316 - conservateurs s'étaient exprimés contre la Première ministre, celle-ci était renversée.
Cela n’impliquait pas de nouvelles élections. Les conservateurs désignaient alors son remplaçant en leur sein. Divers prétendants s'y voyaient.
Selon les institutions du Royaume-Uni, c’est le parti majoritaire (Tory, en l’occurrence) qui choisit en son sein le Premier ministre (officiellement « nommé » par la reine). Mais il peut en changer. Theresa May elle-même
a succédé à David Cameron non à l’issue d’élections mais après le vote sur le Brexit de 2016. Des législatives anticipées lui ont fait perdre en 2017 sa majorité absolue. Elle gouverne depuis grâce à l’alliance de Unionistes irlandais.
Exigeant une demande en ce sens d'au moins 48 députés tories, la procédure avait déjà été évoquée mi-novembre contre Theresa May après son accord contesté sur le Brexit (
négocié en novembre avec les 27) mais les "frondeurs" n’avaient alors pu réunir le nombre requis de signatures.
Que la Première ministre ait été ce 12 décembre épargnée par les siens représente certes un soulagement pour elle. Ce n'est pas la fin du malaise ni d'une contestation de plus en plus virulente. Particulièrement critiquée : sa décision lundi de reporter le vote parlementaire sur l'accord de Brexit qu'elle a négocié avec les 27 et soutient.
► Lire aussi : Brexit : que contient l'accord final de divorce approuvé par les 27 ?Le sort du Brexit semblait justement réglé le mois dernier à Bruxelles par un accord des 27 et de Theresa May ...
Tout le monde à Bruxelles s’est en effet congratulé sur cet accord mais il lui manquait un détail que les dirigeants de l’Union européenne prennent rarement en compte : l’adhésion des intéressés. En l’occurrence, un vote favorable du parlement britannique.
Le scrutin n’ayant pas eu lieu, on ne peut en dire le résultat mais le refus de l’accord semblait majoritaire, pour des raisons parfois adverses.
Dans le camp même de Theresa May, les uns le jugent inadmissible car il laisse le Royaume Uni pour un temps indéterminé sous l’emprise de Bruxelles (voir
encadré ci-dessous). D’autres ne se sont pas résolus à larguer les amarres de l’Europe.
L’opposition travailliste connaît des clivages du même ordre. Sa direction, en faveur de laquelle souffle le vent, souhaite la démission de Theresa May et de nouvelles élections.
L’addition de ces adversités laissait prévoir cette semane un vote défavorable qui entraînait sa chute. La Première ministre a cru, en reportant le scrutin, obtenir un sursis. En théorie, pour négocier de nouvelles concessions des 27, notamment sur la question sensible de l’Irlande du Nord. Mais ces derniers ont déjà fait savoir qu’ils ne voulaient plus rien lâcher.
La Première ministre le sait et il s’agit surtout pour elle de gagner du temps face aux siens dans l’espoir, la tension et la peur de la catastrophe montant, d’un vote de raison ou résignation au mois de janvier.
Les scénarios envisagés pour le Brexit s’en trouvent-ils changés ?
A priori, non. Avec ou sans Theresa May, le fameux « article 50 » étant déjà actionné, le Royaume-Uni n’est plus membre de l’Union européenne à compter du 29 mars 2019.
Si l’
accord trouvé le 13 novembre avec les 27 est d’ici là accepté par le parlement britannique, une longue période transitoire s’ouvre durant lequel le pays reste, au prix de lourdes renonciations, dans une union douanière avec l’UE.
Tout en étant exclu de la vie institutionnelle et des décisions de l'UE, le Royaume-Uni, durant ce temps, ne peut pas négocier d’accords commerciaux avec d’autres pays. Les citoyens britanniques et européens arrivant dans un autre État membre durant la période de transition conservent leurs droits. La Cour de justice de l’Union logée au Luxembourg reste compétente. Londres versera plus de 40 milliards d’euros à Bruxelles pour solde de sa contribution au budget européen.
A défaut, c’est en théorie le Brexit dur ou
no deal. Le Royaume-Uni devient un pays totalement étranger à l’UE, sans traitement de faveur, avec tout ce que cela suppose en termes d’isolement et de rétablissement des droits de douane.
C’est le souhait d’une partie de « brexiters » qui y voient l’opportunité pour leur pays de devenir une sorte de paradis libéral délesté de contraintes multilatérales. Mais la perspective affole une partie de l’opinion britannique, qui redoute ce saut dans l’inconnu.
La difficulté de trouver une majorité pour l’une des deux premières solutions vient renforcer un peu les défenseurs d’une troisième : pas de Brexit du tout.
Une annulation du Brexit est-elle encore possible ?
Un peu plus que précédemment. La Cour de Justice européenne vient de juger que le Royaume-Uni pouvait décider seul de renoncer au Brexit. Mais cela exige un nouveau scrutin. L’artifice par lequel la classe politique française a pu ignorer dans les faits, en 2008, le refus du traité voté par les électeurs trois ans plus tôt est inimaginable en Grande-Bretagne.
Seul un second referendum pourrait annuler le premier et seul le parlement peut en décider l’organisation.
Cette hypothèse, jusqu’à une date récente, n’était défendue que par une poignée d’europhiles désespérés. L’impasse actuelle vient aujourd’hui les renforcer. Les Ecossais sont également très hostiles au Brexit. On peut supposer que Bruxelles accorderait alors à Londres un délai supplémentaire, au-delà du 29 mars.
Mais c’est une voie politiquement dangereuse. Elle révolte les Britanniques pro-Brexit, qui estiment avoir déjà voté en connaissance de cause.
Son issue est incertaine, même si les sondages observent généralement une légère progression du «
remain » (rester dans l’UE). Selon les mêmes sondages, une majorité des Britanniques ne veut pas de ce second vote.
Bien qu’initialement anti-brexit, Theresa May n’y est pas favorable. Son adversaire travailliste - et possible successeur en cas d’élections anticipées - Jeremy Corbyn non plus. L’un et l’autre craignent la dramatisation d’un second scrutin, la division accrue du pays et peut-être plus encore celle de leurs camps respectifs.
Il reste que cette option, qui semblait farfelue il y a encore un mois ou deux, l’est un peu moins aujourd’hui. La prolongation de Theresa May, au 10 Downing Street ne va pas cependant dans ce sens.