Rubygate : l'image de la femme dans le système Berlusconi

Alors que le parti de Silvio Berlusconi a perdu la ville de Milan aux élections municipales du 29 mai, la deuxième audience du procès contre le président du Conseil italien pour prostitution de mineure et abus de pouvoir s'ouvre dans la capitale économique du pays. Michela Marzano est professeure de philosophie à l'université Paris-Descartes. Cette Italienne de France analyse comment le système berlusconien a radicalement changé en Italie l'image de la femme, et même l'ensemble de l'image du pays.
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Rubygate : l'image de la femme dans le système Berlusconi
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“Les Italiens n'ont plus eu accès à la réalité de leur pays“

“Les Italiens n'ont plus eu accès à la réalité de leur pays“
Quand l’image de la femme a-t-elle changé en Italie? Il y a eu une progressive régression par rapport aux femmes et à leur image, qui a commencé dans les années 90, avant même que Berlusconi ne prenne le pouvoir politique, par le biais de ses chaînes de télévision. C’est là qu’a fait l’apparition d’une figure particulière, qui est devenue par la suite emblématique de la femme italienne : la "velina". Au début, il s’agissait juste d’une fille plutôt dénudée qui faisait son apparition pendant une émission particulière, Striscia la Notizia et qui apportait des informations. Peu à peu, cette figure a commencé à avoir du succès et elle a commencé à envahir les écrans de télévision. Ces "veline" étaient censées danser, chanter, mais pas vraiment s’exprimer… Ce n’était pas leur rôle, elles n’étaient pas sélectionnées sur la base de leur capacité à réfléchir, mais sur celle d’autres compétences, tout à fait pertinentes et nobles, le problème ne se situe pas là. Le problème, c’est quand, petit à petit, cela a commencé à devenir l’unique référence féminine pour les femmes et les hommes italiens. Que s’est-il joué alors à la télévision italienne? C’est comme si la seule possibilité de devenir un personnage public, d’avoir une certaine visibilité dans les médias, était celui de passer par la voie de la "velina", c’est-à-dire incarner ce qu’en Italie on appelle de plus en plus une “fille-image”: une fille réduite à son corps, certes beau, mais qui en tant que telle n’a pas le droit de s’exprimer. Au même moment, on a vu disparaître de la scène télévisuelle puis publique les autres femmes, celles qui étaient présentes pour porter une opinion, exprimer un point de vue, pour développer leur expertise. Les rares femmes qu’on a continué à voir par la suite et qui prenaient la parole, étaient des femmes qu’on faisait taire, soit avec de l’esprit, soit de façon carrément insultante. Il y a eu un épisode emblématique, en 2009, avec une parlementaire du Parti Démocrate, Rosy Bindi, au cours d’un débat télévisé. Berlusconi avait pris son téléphone pour intervenir en direct et quand Rosy Bindi a continué à argumenter, à un certain moment, il a commenté : “Elle plus belle qu’intelligente”. Cette phrase est non seulement complètement déplacée, mais elle relève de ce que les anglo-saxons appellent les “hate speaches”, les discours de la haine. C’est une phrase qui est prononcée pour faire taire la personne. La femme devait être de plus en plus belle et se taire, car celles qui échappaient à ce modèle étaient marginalisées, insultées et donc obligées de se taire. Cela a eu une traduction politique : on a commencé à voir des "veline" inscrites sur des listes électorales, quand il y a eu des élections européennes, en 2010. Et il y a eu des filles non inscrites, mais nommées à des postes politiques, non pas en vertu de leurs compétences, mais en vertu de leur physique. On voit bien l’impasse dans laquelle s’est retrouvée peu à peu l’Italie par rapport aux femmes. Comment les hommes italiens se sont-ils sentis dans cette “réalisation du fantasme machiste”? Il y a eu évidemment une certaine partie des hommes qui ont été solidaires des femmes, qui ont manifesté avec elles et qui travaillent avec elles pour que la situation change. Mais il y a eu aussi une grande partie des hommes italiens, ceux qui votent Berlusconi, qui se sont identifiés à lui, dans le sens où ils ont vu dans Berlusconi une sorte de modèle emblématique du machisme. C’est pour cette raison que la situation est compliquée. Berlusconi, quelque part, n’est pas la cause de quelque chose, mais il en est plutôt le symptôme. C’est en tant que symptôme que monsieur Berlusconi me pose un problème, symptôme d’une situation particulière dans laquelle on continue à considérer qu’un homme pour être vraiment être un homme doit cracher sur les femmes. Il doit les dominer, continuer à jouir de son pouvoir en traitant les femmes juste comme le repos du guerrier. Cela me pose un problème, parce que ça en dit long sur le fait que ce pays n’a pas évolué et n’a pas changé ses moeurs en dépit du fait que les lois ont changé. Le jugement qui va démarrer le 6 avril peut-il avoir une incidence importante sur l’opinion publique? S’il devait y avoir une reconnaissance du fait qu’il y a eu incitation à la prostitution avec mineure et abus de pouvoir, je pense que ça pourrait réellement aider l’Italie à se rendre compte que jusqu’à maintenant, il y a eu un problème vis-à-vis de la perception qu’elle avait de Berlusconi, de la politique berlusconienne. Parce qu’en fait, toute cette histoire par rapport aux femmes, c’est aussi la “cerise sur le gâteau “ d’un système beaucoup plus complexe. Les Italiens ont fini par ne plus croire, ou n’ont plus eu accès à la réalité de leur pays avec tous ses problèmes, mais ils ont simplement eu accès à la photographie retouchée de l’Italie que Berlusconi voulait bien leur donner à voir. Cette question problématique a été renforcée par tout le discours de Berlusconi contre la magistrature, contre l’opposition, avec une diabolisation des contre-pouvoirs. Parce que, contrairement à ce qu’on a pu croire, il y a eu des contre-pouvoirs en Italie. Il y a eu le contre-pouvoir constant de la part de la magistrature, mais celle-ci a été dénigrée : Berlusconi n’a eu de cesse de répéter que les magistrats étaient des communistes. Un certain nombre de journaux ont également joué un rôle de contre-pouvoir. Le problème, c’est que systématiquement, ces gens-là se sont heurtés au mur qui diabolisait leur action et qui décrédibilisait tout ce qu’ils pouvaient dire, même s’ils montraient la réalité, sans qu’il s’agisse obligatoirement d’attaques contre Berlusconi. Ce procès pourrait être enfin la possibilité de dire : “Regardez, voyez : on vous a menti”.
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