Russie – Afrique : les enjeux du Sommet de Saint-Pétersbourg

Le sommet Russie-Afrique se tient les 27 et 28 juillet à Saint-Pétersbourg. Plusieurs chefs d’État sont attendus sur place, dont le sud-africain Cyril Ramaphosa. Outre le renforcement de la coopération, il s’agit aussi pour la Russie de rompre son isolement tout en réaffirmant sa bonne entente avec ses partenaires africains. Et ceci malgré leurs divergences sur la non-reconduction de l’accord sur les céréales ukrainiennes. 

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Poutine et Ramaphosa

Sur cette photo fournie par l'agence hôte photo RIA Novosti, le président russe Vladimir Poutine, à gauche, s'entretient avec son homologue sud-africain, Cyril Ramaphosa, après une réunion avec une délégation de dirigeants et de hauts fonctionnaires africains, à Saint-Pétersbourg, en Russie, le 17 juin 2023.

© Ramil Sitdikov/Agence hôte photo RIA Novosti via AP
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Pour les autorités russes, ce deuxième sommet Russie-Afrique revêt une grande importance stratégique. Entièrement consacré à l’approfondissement des relations entre la Russie et le continent, cette rencontre a pour ambition le renforcement des partenariats dans de multiples secteurs tels que la politique, l’économie, la sécurité, la technologie et même la culture.

Le poids politique de la Russie

Depuis le lancement, en février 2022, de l’offensive militaire en Ukraine, la Russie se retrouve isolée sur la scène internationale, en raison des sanctions que lui impose notamment les pays occidentaux. L’enjeu diplomatique de ce sommet est donc de taille. C’est l’occasion pour le président russe Vladimir Poutine, de montrer que son pays conserve un poids politique conséquent. 

Cette démonstration a déjà été faite en février 2023, aux Nations unies, lors du vote de la résolution appelant la Russie à « retirer ses forces armées d’Ukraine ». Sur les 30 votants africains, 22 s’étaient abstenus et deux s’étaient prononcé contre. Les tournées africaines du ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, y ont sans doute contribué.

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D’ailleurs, la plupart des pays africains refusent toujours de prendre position publiquement, et donc de condamner la guerre contre l’Ukraine. Et même s’ils subissent de plein fouet les conséquences de ce conflit, en particulier pour ce qui concerne les approvisionnements dont leurs populations ont le plus grand besoin (céréales, engrais…), ils ne partagent pas tout à fait la même analyse de la guerre en Ukraine que l’Occident.

« L’Afrique veut analyser les choses avec ses propres yeux, sous son propre prisme, tout en promouvant des espaces de négociation. Beaucoup de présidents africains ont fait l’aller-retour à Kiev et à Moscou. L’Afrique n’est donc pas arcboutée, ni contre le bloc occidental. » estime Francis Kpatindé, enseignant à Sciences Po Paris et spécialiste du continent africain.

Photo de famille Sotchi 2019

Le président russe Vladimir Poutine, au centre, pose avec des dirigeants de pays africains lors du premier sommet Russie-Afrique dans la station balnéaire de la mer Noire à Sotchi, en Russie, le 24 octobre 2019.

© Sergei Chirikov, Pool Photo via AP

Pour cette deuxième édition du sommet Russie-Afrique, après une première en 2019, à Sotchi, sur la mer Noire, plusieurs chefs d’États sont attendus à Saint-Pétersbourg, dont le sud-africain Cyril Ramaphosa. Le nombre et l’importance des chefs d’États présents à ce sommet constitue l’un de ses enjeux majeurs. 

« D’abord et avant tout, comme pour le sommet de 2019, le Kremlin s’efforcera de montrer qu’il est capable de se ménager des soutiens internationaux au sud » analyse Cyrille Brett, auteur d’une note de synthèse sur la rencontre de Saint-Pétersbourg. Pour ce spécialiste français des enjeux de sécurité et de défense : « La participation et le niveau protocolaire des participants aura valeur de test sur la résistance de l’influence russe en Afrique. »

La diplomatie de la sécurité et de l’armement

La sécurité et l’armement constituent deux des principaux domaines de coopération entre la Russie et l’Afrique. Un héritage de l’ex-URSS qui entretenait des relations étroites avec de nombreux pays africains. Dès l’entre-deux guerres et surtout au lendemain de la Seconde guerre mondiale, l’URSS soutient militairement et financièrement les mouvements indépendantistes en Égypte, en Algérie ou encore au Mozambique. 

Après les indépendances et jusque dans les années 1980, l’Union soviétique jouit d’une grande influence dans des pays comme le Mali, la Guinée, et même le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Son rôle dans la lutte contre le régime d’apartheid en Afrique du sud, alors soutenu par de nombreux pays occidentaux, lui permet même de jouir d’un réel prestige.

Démonstration Sotchi 2019

Un visiteur manipule un lance-roquettes russe RPG-29, lors d'une exposition d'armes en marge du sommet Russie-Afrique, dans la station balnéaire de la mer Noire à Sotchi, en Russie, le 24 octobre 2019.

© Sergei Chirikov, Pool Photo via AP

Et comme nous le rappelle Poline Tchoubar, auteure d’une note sur la nouvelle stratégie russe en Afrique, publiée par la Fondation pour la recherche stratégique : « Après la disparition de l’URSS et le chaos des années 1990, les transformations politiques et économiques internes ont poussé la Russie à quitter l’Afrique. »

Depuis leur retour au milieu des années 2000, les Russes multiplient les accords de coopération et le déploiement de conseillers militaires. « Pour la plupart, il ne s’agit pas de membres de l’armée régulière, mais d’employés de la société militaire privée Wagner, déployée en Ukraine et en Syrie. » précise ainsi Poline Tchoubar.

Aujourd’hui, tout le monde sait et Moscou l’a reconnu, le groupe Wagner était financé et équipé en armes par l’État russe.

Francis Kpatindé, enseignant à Sciences Po Paris

Ces dernières années, le groupe Wagner s’est installé en République centrafricaine, au Mali, au Soudan ou encore en Libye. Et d’après le dernier rapport du SIPRI, l’institut international de recherche sur les conflits, basé à Stockholm, en Suède, la Russie est devenue le premier exportateur d’armes vers l’Afrique, en lieu et place de la Chine.

Selon le même rapport, les importations d’armes ont globalement diminué de 40% en Afrique. Et s’agissant plus spécifiquement des pays subsahariens, ces importations ont chuté de 23%, l’Angola, le Nigeria et le Mali étant les principaux destinataires. Toutefois, les livraisons d’armes à l’Afrique ne représentent qu’une petite partie des exportations russes (12% en 2022), qui elles-mêmes ont globalement baissé en raison de la guerre en Ukraine.  

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À l’heure actuelle, l’avenir du groupe paramilitaire Wagner constitue également un sujet de préoccupation sur le continent, en particulier pour les pays où ses hommes sont en première ligne comme le Mali et la République centrafricaine. La tentative de coup militaire d’Evguéni Prigojine, le patron de Wagner, le 24 juin dernier, n’a pas conduit à une remise en cause des opérations du groupe en Afrique. 

Et pour Francis Kpatindé, enseignant à Sciences Po Paris, la rébellion avortée d’Evguéni Prigojine a permis de clarifier les choses.

« Au début, on se demandait : est-ce que le groupe Wagner c’est l’État russe ? Est-ce que la Russie est partie prenante de cette affaire ? Les Maliens par exemple ont dit qu’ils avaient passé des contrats avec l’État russe. Après le groupe Wagner a dit non, c’était avec nous. C’était confus. Aujourd’hui, tout le monde sait et Moscou l’a reconnu, le groupe Wagner était financé et équipé en armes par l’État russe », précise Francis Kpatindé.

Les enjeux céréaliers  

Autre sujet brûlant, l’abandon par la Russie le 17 juillet dernier de l’accord qui réglementait les exportations de céréales ukrainiennes transitant par la mer Noire, y compris vers l’Afrique, et ce malgré le blocus russe des ports ukrainiens. 

« J’exhorte les parties prenantes à résoudre les problèmes pour permettre la reprise du passage continu et sécurisé des céréales et engrais d’Ukraine et de Russie vers les régions qui en ont besoin, notamment l’Afrique. » avait déclaré dès le lendemain sur son compte Twitter Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’Union africaine. 

  • (Re)voir Ukraine : l'accord sur les céréales suspendu par la Russie
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Signé en juillet 2022, à Istanbul, en Turquie, et reconduit à deux reprises, cet accord céréalier a permis de sortir en un an, près de 33 millions de tonnes de céréales des ports ukrainiens, essentiellement du maïs et du blé. Il a également contribué à stabiliser les prix alimentaires mondiaux, tout en écartant les risques de pénurie. 

En refusant de prolonger cet accord, les autorités russes entendent dénoncer les entraves à leurs propres exportations de produits agricoles, mais aussi le détournement selon elles de ce marché céréalier pour l’enrichissement des grandes entreprises américaines et européennes qui exportaient et revendaient le blé ukrainien.

Face aux inquiétudes des pays africains, la Russie se veut rassurante et se pose en alternative. Le président Vladimir Poutine affirme même qu’en raison d’un niveau de récoltes record cette année, son pays est en mesure de remplacer le blé ukrainien aussi bien à titre commercial que gratuit. 

« Malgré les sanctions, la Russie continuera à œuvrer énergiquement pour organiser l’approvisionnement en céréales, en nourriture, en engrais et plus encore vers l’Afrique » a précisé le président russe dans un article publié ce lundi par le Kremlin.

L’année dernière, la Russie a exporté 11,5 millions de tonnes de céréales vers l’Afrique, et près de dix millions de tonnes supplémentaires au cours des six premiers mois de l’année en cours.

Et selon Pavel Kalmytchek, un haut responsable du ministère russe de l’Economie, cité par nos confrères de l’AFP, environ 25% des exportations russes à destination de l’Afrique sont des livraisons de blé et de méteil, c’est-à-dire un mélange de plusieurs céréales.

Une coopération diversifiée

Dans l’article publié ce lundi 24 juillet par le Kremlin, le président russe Vladimir Poutine rappelle que les axes stratégiques de la coopération avec l’Afrique avaient été définis lors du sommet de Sotchi, en octobre 2019.

Poutine et Rosatom

Le président russe Vladimir Poutine prononce son discours, au cours d'une exposition de projets de recherche et de développement avancés dans le domaine des technologies quantiques, organisée par la société d'État Rosatom et les chemins de fer russes, à Moscou, en Russie, le jeudi 13 juillet 2023.

© Alexander Kazakov, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP

 

Le maître du Kremlin affirme sa volonté d’intensifier la coopération dans des domaines tels que la high-tech, l’industrie chimique, l’exploitation minière, l’exploration géologique, l’énergie nucléaire ou encore l’ingénierie de transport. 

Le chef de l’État russe promet même une extension à venir du réseau des ambassades et représentations commerciales russes en Afrique. Ces dernières années, les multinationales russes ont lancé de grands projets sur le continent.

En Égypte, Rosatom, le géant russe du nucléaire, a entamé en 2022 la construction de la première centrale du pays, à El-Dabaa, sur les bords de la Méditerranée. 

Selon le ministère russe de l’Economie cité par nos confrères de l’AFP, environ deux tiers des investissements russes sur le continent africain sont consacrés à l’exploration, la production de pétrole et de gaz, mais aussi d’uranium ou encore de diamants.

Beaucoup s’interrogent néanmoins sur la capacité de l’économie russe à supporter le poids de tels engagements. D’ailleurs, le PIB de la Russie devrait diminuer cette année de 2,5% d’après l’OCDE, et de 0,2% d’après la Banque mondiale.

Les véritables motivations de la Russie pour s’engager en Afrique sont de promouvoir ses intérêts géostratégiques.

Joseph Siegle, Centre d'études stratégiques de l'Afrique (Département de la défense des Etats-Unis)

Le FMI prévoit quant à lui une croissance de 0,7%. Les trois institutions s’accordent toutefois sur une diminution d’environ 2,1% du PIB russe en 2022. 

Auteur d’une note de synthèse sur les engagements économiques de la Russie en Afrique, publiée par le Centre d'études stratégiques de l'Afrique (Département de la défense des États-Unis), le chercheur américain Joseph Siegle estime pour sa part que « les promesses économiques de la Russie en Afrique sonnent creux ». 

« Les véritables motivations de la Russie pour s’engager en Afrique sont de promouvoir ses intérêts géostratégiques – s’assurer un pied dans la Méditerranée à la frontière sud de l’OTAN, déplacer l’influence occidentale et normaliser la vision du monde de la Russie. » affirme ainsi Joseph Siegel.