Fil d'Ariane
"Poutine a tué mon mari, Poutine a tué le père de mes enfants". Voilà le J'accuse de Ioulia Navalnaïa publié sur les réseaux sociaux. À 47 ans, la veuve d'Alexeï Navalny est devenue une figure politique, malgré elle. Au nom de son mari défunt, elle continue, en exil, à s'opposer au Kremlin, qui l'a inscrite sur la liste des "terroristes et extrémistes" après avoir émis un mandat d'arrêt à son encontre.
Ioulia Navalnaïa, veuve d'Alexei Navalny. Elle est photographiée après un discours lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, en Allemagne, le vendredi 16 février 2024, peu de temps après l'annnonce de la mort de Navalny.
Deux jours après avoir émis un mandat d'arrêt à son encontre, la Russie a inscrit l'opposante Ioulia Navalnaïa, veuve d'Alexeï Navalny, mort en détention en février 2024, sur la liste des "terroristes et extrémistes". Son nom apparaît sur la liste tenue par Rosfinmonitoring, le service russe de renseignement financier. "Mon Dieu, je n'ai pas regardé mon téléphone pendant une heure, et pendant cette heure, me voilà devenue une terroriste, ironise-t-elle sur X. Il tue le mari et il inscrit la femme chez les terroristes. Typique de Poutine".
"Quelle rapidité !.. S'ils s'appliquent à ce point, c'est que Ioulia Navalnaïa fait tout comme il faut", a également ironisé sur X l'ex-porte-parole d'Alexeï Navalny, Kira Iarmych, elle aussi en exil.
La justice russe avait annoncé le 9 juillet que Ioulia Navalnaïa, qui réside à l'étranger, était visée par un mandat d'arrêt pour "participation à un groupe extrémiste". Son placement en détention provisoire a été prononcé en son absence par un tribunal moscovite.
"Je poursuivrai l'oeuvre d'Alexeï Navalny. Je continuerai pour notre pays, avec vous. Et je vous appelle tous à vous tenir près de moi (...) Ce n'est pas une honte de faire peu, c'est une honte de ne rien faire, c'est une honte de se laisser effrayer", lance la veuve d'Alexeï Navalny, mort vendredi 16 février 2024 dans des conditions encore méconnues, dans la prison où il était détenu en Russie. Ioulia Navalnaïa n'a pas l'intention de se taire. Reçue par les dirigeants de l'Union européenne, lundi 19 février, elle a aussi publié cette vidéo sur les réseaux sociaux. Elle y accuse sans détour le président russe d'être responsable de la mort de son mari.
Vendredi 16 février 2024, c'est depuis Munich que Ioulia Navalnaïa prenait pour la première fois la parole, quelques heures à peine après l'annonce de la mort de son époux, retrouvé mort dans la prison de l'Arctique en Russie où il purgeait une peine de 19 ans de prison pour "extrémisme".
Je voudrais que Poutine, tout son personnel, tout son entourage, tout son gouvernement, ses amis, sachent qu'ils seront punis pour ce qu'ils ont fait à notre pays, à ma famille et à mon mari. Ioulia Navalnaïa
Lorsque Ioulia Navalnaïa arrive sur la tribune de la Conférence de Munich sur la sécurité, la désormais veuve de l'opposant russe a les larmes aux yeux. Après avoir pris une profonde inspiration, elle décide de s'attaquer directement au Kremlin.
"Je voudrais que Poutine, tout son personnel, tout son entourage, tout son gouvernement, ses amis, sachent qu'ils seront punis pour ce qu'ils ont fait à notre pays, à ma famille et à mon mari", a-t-elle dit, la voix ferme mais débordante d'émotion. "Et ce jour viendra très bientôt", a asséné Ioulia Navalnaïa. Son discours, après l'annonce du décès de son mari, a assis son image de femme forte.
Avant l'annonce de son décès, cela faisait deux ans que Ioulia Navalnaïa n'avait pas vu son mari. Et elle n’a pas pu le revoir avant sa mort en prison. Pour sa première publication sur les réseaux sociaux après le décès de son mari, a choisi une photo où il l'embrasse sur le front. En légende, "je t'aime".
Aux côtés d’Alexeï Navalny, elle a vécu l'espoir des grandes manifestations qu'il a mobilisées en Russie. Elle a aussi subi l'angoisse d'un empoisonnement auquel il a survécu de justesse en 2020 et un retour choisi à Moscou quelques mois plus tard, ensemble et tête haute. Dès son atterrissage, il avait été arrêté.
Alexeï Navalny était le représentant de l'opposition le plus marquant en Russie, où il avait acquis une grande popularité grâce à ses dénonciations de la corruption sous le régime de Vladimir Poutine. À mesure que son bras de fer avec le Kremlin se faisait de plus en plus risqué, l'opposant disait qu'il en serait incapable sans sa femme. Son dernier message public était un mot d'amour, pour la Saint-Valentin : "je sens que tu es avec moi à chaque seconde".
Malgré la peine de 19 ans de prison prononcée contre lui et ses terribles conditions de détention, Ioulia Navalnaïa gardait espoir. "J'espère et je crois que je verrai Alexeï libre. Rien n'est impossible quand vous êtes amoureux", avait-elle dit l'an dernier au quotidien allemand Der Spiegel.
Contrairement à Vladimir Poutine, dont la vie privée tient du secret d'État, le couple mettait en avant son quotidien en famille. Et Ioulia Navalnaïa est donc devenue, comme son mari, une personnalité publique.
En 2020, Ioulia Navalnaïa avait vu Alexeï Navalny échapper de peu à la mort, empoisonné en Sibérie par une substance de "type Novitchok", un puissant agent innervant, selon une analyse européenne. Elle avait réussi à lui faire quitter la Russie pour l'Allemagne alors qu'il se trouvait dans le coma, aux mains de médecins locaux qui refusaient de le laisser partir.
Photo d'archive datée du mercredi 12 juin 2013. À droite, le chef de l'opposition russe Alexei Navalny, à gauche, son épouse, Ioulia Navalnaïa à gauche. Ils assistent à un rassemblement de l'opposition devant le Kremlin à Moscou.
"À chaque moment quand on était là, je me disais "je dois le faire sortir" ", a-t-elle dit, accusant les médecins d'avoir fait traîner le processus jusqu'à ce qu'il meure ou que le produit neurotoxique ne soit plus détectable.
Cinq mois plus tard, elle était tout aussi imposante quand le couple est rentré à Moscou en sachant très bien que ce voyage se terminerait en prison. "Garçon, apportez-nous de la vodka, on rentre à la maison", avait-elle dit dans l'avion, filmée aux côtés d'Alexeï Navalny, rejouant une scène d'un film russe culte.
Le couple avait été séparé au contrôle des passeports, à l'arrivée. Après une rapide étreinte avec son mari, embarqué par la police et qu'elle ne reverrait plus jamais libre, elle avait été accueillie à l'aéroport par une foule clamant "Ioulia!".
La notoriété de Ioulia Navalnaïa est telle qu’elle a même poussé certains des partisans d'Alexeï Navalny à lui rêver un avenir politique, même avant qu'il ne soit derrière les barreaux. L'intéressée a jusqu'ici balayé cette idée, se décrivant comme une mère et une compagne avant tout. Mais beaucoup se demandent qui d'autre pourrait unir une opposition décimée, poussée à l'exil et privée de tête de proue.
Que Ioulia Navalnaïa le veuille ou non, elle devient une figure politique.
Tatiana Stanovaïa, politologue
Alors qu'il se remettait sur pieds en Allemagne, après son empoisonnement, Alexeï Navalny avait dit en plaisantant que les vues de sa femme étaient plus radicales que les siennes. "Quand vous n'êtes pas en politique mais que vous voyez les choses les plus sombres commises contre votre famille alors, bien sûr, ça vous radicalise", expliquait-il.
Photo d'archive. Le chef de l'opposition russe Alexei Navalny, au centre, et son épouse Ioulia Navalnaïa, à droite. Place Pouchkine, Moscou - mardi 27 mars 2018.
Quand Alexeï Navalny était en prison, Ioulia Navalnaïa avait assuré qu'elle ne suivrait pas les traces de Svetlana Tikhanovskaïa, devenue la cheffe de l'opposition bélarusse quand son mari avait été placé en détention. Mais pour la politologue Tatiana Stanovaïa, "que Ioulia Navalnaïa le veuille ou non, elle devient une figure politique".
Grâce à cette notoriété, Ioulia Navalnaïa suscite l'attention des puissances occidentales européennes. Elle rencontrera ce lundi 19 février à Bruxelles les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne. "Les ministres de l'UE enverront un message fort de soutien aux combattants de la liberté en Russie et honoreront la mémoire d'Alexeï Navalny", écrit Josep Borrell sur X.
Le ministre italien des Affaires étrangères Antonio Tajani a estimé que les déclarations de Ioulia Navalnaïa "vont aider tous les Européens à mieux comprendre quel type de système violent nous devons affronter et contenir en Ukraine". "Cela nous fait ressentir la menace qui pèse sur les citoyens russes et toutes les régions de notre Europe, un continent où la violence, la brutalité et la guerre ont été rétablies d'une manière honteuse et irresponsable", ajoute Antonio Tajani dans un communiqué.
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