Fil d'Ariane
Ces célébrations du 9 mai sont devenues une composante essentielle de la nouvelle identité russe sous Vladimir Poutine. « Pour le régime cela signifie la continuité entre l’URSS et la Russie contemporaine, contre les ennemis extérieurs », nous explique Olivier Schmitt professeur de sciences politiques au Centre d’étude de la guerre à l’université du Danemark du Sud et chercheur pour l’association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGES).
Si, traditionnellement, un défilé a lieu sur la Place Rouge, au fil des ans cette parade « patriotique » s’est militarisée. En 10 ans, le nombre de soldats a triplé. En 2008, des chars et des missiles sont présentés, et depuis 2010, un défilé aérien est organisé. Une véritable démonstration de force pour le pouvoir qui exhibe ainsi que la puissance russe s’est modernisée. Pour Olivier Schmitt « les équipements ont vocation à signifier la transformation des forces armées russes, qui sortent de la gestion de l’héritage soviétique pour adopter des matériels nouveaux et technologiquement avancés ».
Et les Russes apprécient de plus en plus ces nouveaux « bijoux » technologiques, qui ont permis de réconcilier le peuple avec son armée. « La Tchétchénie avaient laissé dans la tête des Russes l’image d’une armée délabrée et inefficace », explique Igor Delanoë, directeur-adjoint de l'Observatoire franco-russe, « aujourd’hui on voit à la télévision des reportages quasi-quotidiens qui montrent les opérations en Syrie. On y voit une armée moderne et professionnelle qui renvoie une image de crédibilité aux yeux des Russes ».
Et voilà l’armée russe transformée en un outil capable de se projeter sur des théâtres d’opérations de plus en plus éloignés. « A l’époque soviétique, l’armée avait vocation à intervenir dans la continuité de son territoire (…) mais avec la Syrie, ils ont démontré des capacités de projection sur lesquels ils ont travaillé depuis la guerre en Géorgie en 2008 », souligne Igor Delanoë. Même si avec seulement 2 000 à 4 000 hommes en Syrie, le déploiement russe reste encore bien loin des ressources mobilisées pour la guerre en Afghanistan dans les années 1980 (120 000 hommes au plus fort du conflit).
Ce 9 mai, si certains équipements défilent pour la première fois sur la place Rouge, ce n’est pas leur première sortie publique. Beaucoup sont déjà passés par la Syrie, devenu un véritable laboratoire de la puissance militaire russe.
« Depuis deux ans et demi les Russes ont envoyé à peu près tout ce qu’ils ont dans leur arsenal, y compris les avions furtifs Su-57, même pour quelques heures », explique Igor Delanoë, « Ils ont aussi pu prouver leur capacité à mener avec succès des opérations, à encadrer les forces gouvernementales et à inverser la tendance sur le front syrien, là ou les Américains, à grand renfort de dollars, ont en partie échoué avec les Irakiens ».
L’intervention militaire syrienne a permis de renforcer le pouvoir diplomatique du Kremlin en s’appuyant sur une armée bien entraînée et désormais aguerrie. Une confiance retrouvée par le pouvoir politique dans son outil militaire et qu’il ne se prive plus d'utiliser pour envoyer des messages à ses voisins, à l’image des récents évènements en Ukraine avec l’intervention des forces spéciales russes en 2014 juste avant l’annexion de la Crimée ou encore le soutien aux sécessionnistes du Donbass en Ukraine.
« Les dirigeants russes présentent la Russie comme étant victime d’une agression de la part des pays Occidentaux, visant à réduire l’influence de Moscou par une combinaison d’extension des institutions occidentales (OTAN et UE) et de « révolutions de couleur » [comme la révolution Orange en Ukraine, ndlr]. Ils se vivent ainsi comme étant dans une compétition stratégique majeure avec l’Occident qui justifie des mesures préventives (cyber-attaques, assassinats, tentatives d’influence lors d’élections), mais aussi une démonstration de force. », explique Olivier Schmitt.
Mais sur la scène internationale l’attention des Russes ne se porte pas simplement sur les pays de l’Ouest. Pour Olivier Schmitt le message s’adresse aussi à la Chine, qui reste une préoccupation majeure de Moscou. « Avec la Chine, les relations sont cordiales mais Moscou sait que l’influence de Pékin ne fera que s’accroître ».
Le pouvoir russe surveille de très près les activités et les progrès de Pékin en matière militaire. « Par rapport aux Chinois, ils ont retrouvé plus de confiance et de sécurité que par le passé face à une armée russe pléthorique, bien équipée, avec un budget qui semble sans limite », confirme à son tour Igor Delanoë.
Ce défilé du 9 mai de « haute-technologie » avec ses drones et ses robots, donne l'occasion à Moscou d’afficher la fierté retrouvée de son armée, elle lui permet aussi de se rassurer.