Fil d'Ariane
Retrait de la France au Mali et au Burkina Faso, suspicions de massacres par les forces armées maliennes et burkinabè, alliances russes, nouveau leadership dans le G5 Sahel... Quelles sont les nouvelles stratégies antiterroristes des gouvernements sahéliens ?
Sokoundou, Wassakoré, Kacham, Tin-Rhassan… Ces villages auraient été attaqués la semaine dernière par des soldats burkinabè. Plus d’une centaine de civils auraient été tués, rapportent plusieurs sources transmises à RFI. Ces localités se trouvent dans la réserve sylvo-pastorale du Sahel, une zone forestière qui sert souvent de refuge aux terroristes.
La tragédie, si elle est avérée, fait également écho au récent massacre du village de Moura au Mali. Au moins trois cent personnes y auraient été tuées par des soldats maliens et des combattants étrangers, selon l’ONG Human Rights Watch (HRW). L’armée malienne dément cette version des faits et affirme avoir "neutralisé" 203 djihadistes lors d’une opération d’envergure. Dans le même temps, l’armée française du Mali et du Burkina Faso arrête ses opérations contre les groupes djihadistes.
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Autant de faits qui posent la question de la stratégie employée par les armées locales du Mali, du Burkina Faso et du Niger dans la lutte contre le terrorisme.
"Le point de rupture dans la stratégie locale, c’est la décision de la France de retirer ses troupes du Mali", rappelle Jérôme Nilo Pigné, Président & Co-fondateur du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel. "Les coups d’état successifs au Mali ont véritablement impacté la lutte contre le terrorisme au Sahel et plus largement la coopération du Mali avec l'ensemble de ses partenaires régionaux et internationaux", explique-t-il.
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Les actions françaises contre les djihadistes affiliés à Al-Qaïda ou au groupe État islamique (EI) ont obtenu des résultats réels, ne serait-ce qu'à travers leur capacité à contenir la propagation ou à accompagner la montée en puissance des forces armées de la sous-région.
Le contre-terrorisme classique ne s’attaque qu’aux symptômes d’un mal déjà profond. Il s’avère impuissant face à ses racines.Bakary Sambé, directeur de l'Institut Timbuktu à Dakar.
Mais elles n'ont pas été suivies de la reconquête politique des territoires par les États africains. "Le contre-terrorisme classique ne s’attaque qu’aux symptômes d’un mal déjà profond", constate Bakary Sambé, directeur de l'Institut Timbuktu à Dakar. "Il s’avère impuissant face aux racines de ce mal, que sont la pauvreté, le mal-développement, la mal-gouvernance, les injustices", détaille-t-il.
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Face à cet échec, "il faut redéfinir le cadre de collaboration des pays au niveau de l’espace "des trois frontières" (Mali, Burkina Faso, Niger), soit en l’intégrant dans le format G5 Sahel (incluant aussi la Mauritanie et le Tchad), soit avec l’implication de l’Union africaine et ses différentes composantes", explique Jérôme Nilo Pigné.
Il y a un leadership natruel, je dirais de la Mauritanie et du Tchad, parce qu'ils ont des avantages comparatifs sur le plan militaire. Jérôme Nilo Pigné, Président & Co-fondateur du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel.
Le leadership est aujourd'hui nécessaire pour envisager une phase de stabilisation de la région. Mais il ne doit pas seulement être militaire. Il doit également être politique et diplomatique pour être légitimé auprès de populations sous les régimes en place. "Aujourd’hui, on manque de ce leadership pluridimensionnel", commente Jérôme Nilo Pigné."Toutefois, Il y a un leadership naturel, je dirais de la Mauritanie et du Tchad, parce qu'ils ont des avantages comparatifs sur le plan militaire", nuance-t-il.
L’armée tchadienne a montré sa capacité d’intervention. Elle a payé un lourd tribut dans son engagement militaire et opérationnel depuis l'opération Serval (opération militaire menée au Mali par l'Armée française entre 2013 et 2014, ndlr) puis avec l’opération Barkhane. C’est l’allié et le partenaire français et européen le plus investi sur le terrain.
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Les populations locales avaient d’ailleurs mis en cause le "deux poids, deux mesures" entre la réaction de la communauté internationale favorable au changement de régime tchadien et la condamnation des régimes successifs de transition au Burkina Faso et au Mali.
"La Mauritanie, quant à elle, et pour des raisons historiques, a toujours été prudente dans sa volonté d’intervenir au-delà de ses frontières", détaille Jérôme Nilo Pigné. Elle a su inverser la tendance dans son rapport de force avec les groupes armés terroristes de la sous-région depuis maintenant plus d'une quinzaine d'années. Les pays du G5 Sahel peuvent aussi compter sur d’autres collaborations à l’international.
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Le vide progressif qui succède au retrait de l'opération Barkhane ouvre le champ des possibles pour d'autres partenaires et en l'occurrence la Russie et au groupe Wagner, société militaire privée russe fournissant des mercenaires.
La Russie est en train de fragiliser la capacité d’influence des puissances historiques présentes dans la sous-région. Et les pays du Sahel ne s’en cachent pas. "Depuis le coup d’État au Burkina Faso, les appels du pied de Wagner et de la Russie sont à peine voilés", explique Jérôme Nilo Pigné. "Même le Cameroun signe aussi des accords avec la Russie", ajoute-t-il.
Les populations semblent se libérer de l’emprise de l’ancienne puissance coloniale. Le récit et le discours formaté du Kremlin plaisent aux nationalismes de la région.Jérôme Nilo Pigné, Président & Co-fondateur du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel.
Mais alors pourquoi la Russie n’est-elle pas considérée comme une nouvelle forme d’impérialisme ? "Les populations semblent se libérer de l’emprise de l’ancienne puissance coloniale", répond Jérôme Nilo Pigné. "Le récit et le discours formaté du Kremlin plait aux nationalismes de la région et tendent à montrer qu’il y a d’autres voies possibiles pour manifester de sa souveraineté", commente Jérôme Nilo Pigné. "Mais il ne faut pas s'y tromper, la Russie est en train de véritablement calculer les intérêts et les coûts de son interventionnisme hybride en Afrique de l’Ouest et au Sahel", nuance-t-il.
La question est de savoir comment la communauté internationale ripostera à cette influence grandissante. Pour le moment, la France peut encore compter sur sa collaboration avec le Niger.
Le régime nigérien est fort mais n’est pas à l’abri des déstabilisations.
Jérôme Nilo Pigné, Président & Co-fondateur du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel.
Des trois pays de la sous-région, le Niger se positionne comme l’interlocuteur privilégié de Paris et de l’Europe. "Le Niger semble être l’État stable si on photographie l’espace 'des trois frontières', assure Jérôme Nilo Pigné. "Le régime est fort mais n’est pas à l’abri des déstabilisations, sa population conteste notamment les actions de l’ancienne puissance coloniale française", assure-il.
Beaucoup de négociations sont en cours sur l’accueil au Niger du nouveau dispositif de Barkhane. Est-ce que le Niger sera aux avant-postes de la lutte contre le terrorisme avec l’appui des Français ? "Aujourd’hui ce n’est pas clair. On a parlé de Barkhane, on a parlé de Takuba (force opérationnelle composée principalement d'unités des forces spéciales de plusieurs pays de l'Union européenne, ndlr). Les informations sont assez contradictoires", s’interroge Jérôme Nilo Pigné.