Saint-Pierre-et-Miquelon, si loin, si proche, de la France et du Canada

L’archipel français de Saint-Pierre-et-Miquelon est toujours au centre d’une discorde entre la France et le Canada. Paris a récemment demandé à l’ONU une extension des limites maritimes autour de l’archipel, ce que refuse Otawa. Et pour cause, le sous-sol est potentiellement riche en hydrocarbures. Un conflit vieux de 20 ans dont l’issue reste incertaine.
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Saint-Pierre-et-Miquelon, si loin, si proche, de la France et du Canada
L'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon © AFP
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La bataille autour de l'archipel français n'est pas terminée, loin de là. Et dans cette affaire, ni la France, ni le Canada ne comptent baisser les armes. Au delà de réflexes historiques ou patriotiques, un autre moteur agite les deux puissances : le sous-sol maritime qui entoure Saint-Pierre-et-Miquelon serait riche en hydrocarbures.  Paris a récemment déposé une demande devant la Commission des limites du plateau continental de l'ONU pour "faire valoir ses droits" sur ce seul bout de France du continent Nord-Américain. En effet, elle voudrait pouvoir étendre le plateau continental autour de Saint-Pierre-et-Miquelon, et par conséquent bénéficier d'une plus grande zone maritime au sud de l'archipel. De son côté, "le Canada estime que la France, n'a droit à aucune zone maritime, ni même à un plateau continental étendu, allant au-delà de ce qui lui a été accordé par arbitrage en 1992 à l'égard de Saint-Pierre-et-Miquelon" a déclaré Ian Trites, porte-parole du ministère des Affaires étrangères canadien.

“Une plate-forme stratégique“

01.05.2014Présentation : Mohamed Kaci/ Editorialiste : Slimane Zeghidour
Frédéric Lefebvre député (UMP, droite) des Français installés en Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada) défend sur le plateau du 64' les intérêts de la France, en particulier la route des hydrocarbures.
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Une application du principe de précaution

Entretien avec Frédéric Lasserre, professeur à l'Université Laval au Québec, spécialisé en géopolitique de l'eau

Propos recueillis par Laura Mousset
La France a récemment demandé à la Commission de l'ONU une extension maritime autour de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, quelle est la réaction canadienne ? Effectivement il y a eu ce mois-ci une demande officielle de la France auprès de la Commission des limites du plateau continental des Nations Unies pour un plateau continental étendu rattaché à l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. C'est une étape supplémentaire, dans la mesure où cette demande est officielle. Ce n'est pas la première fois que la France en parle et que le Canada se fâche, mais jusqu'à présent il y avait des discussions, pas de démarche officielle de la part de la France. Paris a décidé de franchir le pas, et évidement, cela a suscité de vives réactions de la part du gouvernement canadien qui ne voit pas d'un oeil favorable la demande d'un nouvel espace maritime par la France et, qu'éventuellement elle ait gain de cause. Mais pour le moment, tant que la commission ne s'est pas prononcée sur le fond de la demande, nous n'en savons rien. Une chose est sûre, cela pose une question: l'accord de 1992 qui portait sur la zone économique exclusive éteint-il, explicitement ou implicitement, la possibilité pour la France de demander un autre espace maritime, à savoir un plateau continental étendu ? En tout cas, le droit de demander un plateau continental étendu est imprescriptible : tous les Etats maritimes ayant une ligne côtière peuvent le demander, mais cela ne veut pas dire qu'ils vont nécessairement l'obtenir. Cela dépend des autres accords qu'ils ont signés auparavant. Qu'est ce qui gène le Canada ? Ce qui le gène dans cette démarche française, c'est le fait que la France puisse réussir à faire prévaloir son point de vue. Cela signifierait que la France prendrait une partie du plateau continental étendu que le Canada pensait revendiquer. Pourquoi le Canada, mais la France aussi, revendiquent-ils ce plateau continental étendu ? Les Etats ont une date limite pour demander un plateau continental étendu. Dans la convention du droit de la mer, il est dit que les Etats ont 10 ans, après la date de ratification, pour déposer une revendication. Pour les Français, cette date allait jusqu'en 2009 et pour le Canada la limite était décembre 2013. Ils ont tous deux déposé des dossier préliminaires et partiels. Maintenant il faut documenter et étayer les revendications, d'un point de vue géologique, puisque la Commission des limites du plateau continental de l'ONU considère uniquement la dimension géologique.
Saint-Pierre-et-Miquelon, si loin, si proche, de la France et du Canada
Carte de Saint-Pierre-et-Miquelon
N'est-ce pas plutôt pour les hydrocarbures que les deux pays se battent ? Effectivement, il y a des campagnes d'exploration pétrolières en ce moment dans le golfe. Mais je pense quand même que la raison fondamentale c'est le respect des délais. Maintenant, quand les Etats revendiquent un plateau continental étendu, ils le font par principe de précaution. Ils revendiquent un espace maritime auquel ils ont le droit avant la date limite et au-delà de ça, ils espèrent quand même, qu'à l'intérieur, ils trouveront quelque chose d'intéressant. L'espoir pour les Canadiens, comme pour les Français, c'est que, dans ce plateau (au delà de la limite des 200 miles marins après la Zone Économique Exclusive (ZEE), on puisse trouver des ressources en gaz ou en pétrole... On sait qu'il y a des hydrocarbures mais les deux questions sont : en quelle quantité ? Est-ce exploitable de façon rentable ? Si la demande de la France est acceptée par la Commission des limites du plateau continental de l'ONU, quelles pourraient-être les conséquences entre les deux pays ? Il est sur que si la Commission accepte de recevoir la demande française et, qu'en plus, elle donne un avis favorable (qui ne veut pas dire que la France va obtenir le plateau mais simplement que d'un point de vue géologique c'est possible), cela va forcément jeter un froid. De plus, pour le Canada cela signifie revenir sur ce qui est considéré comme un dossier clos. N'importe quel Etat serait mécontent de rouvrir des négociations qu'il pensait définitivement terminées. Mais si la Commission donne raison à la France, il y aura probablement une bataille d'experts juridiques pour savoir si l'accord de 1992 éteint les revendications françaises ou pas. Cela fait 20 ans que le conflit existe, quelle pourrait être la solution ?   Pour les Canadiens, la solution, c'est le statu quo. Il y a eu négociations et cela n'a pas marché. Alors nous avons convenu qu'on allait en arbitrage. L'arbitrage a rendu une décision qui ne plait pas du tout aux Français. Ils estiment qu'ils ont été lésé. Mais les Canadiens se disent qu'à partir du moment où les Français ont accepté d'aller devant ce tribunal d'arbitrage, ils acceptent le verdict. Les Français, trouvant que l'espace maritime qu'on leur a attribué est une portion congrue, se trouvent insatisfaits et aimeraient trouver des façons de revendiquer un espace plus étendu. A chaque fois que l'on a parlé de cette possibilité, les canadiens ont dit: "pour nous la question est close et il n'est pas question qu'on envisage un plateau continental étendu pour l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Donc pour Ottawa c'est très clair : le statu quo est la solution".