Sanctions américaines contre l'Iran : Washington en force mais isolée
Les sanctions draconiennes rétablies par Washington contre les secteurs pétrolier et financier iraniens entrent aujourd’hui en application pour une pression qui se veut « implacable ». Téhéran annonce sa résolution à les « contourner avec fierté ». La communauté internationale s'incline avec réticences.
Manifestation contre les sanctions devant l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran le 4 novembre 2018. (AP Photo/Vahid Salemi)
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Cela faisait bien longtemps que les oreilles américaines n’avaient autant tinté. Alors qu’entrent en vigueur ce mardi 6 novembre les sanctions unilatérales contre l’Iran imposées par Donald Trump en violation d’un traité signé par Washington la veille, les protestations internationales se suivent et n’augurent pas d’un apaisement ni d’une complète résignation.
En écho à de fortes protestations turques, les ministres des Affaires étrangères espagnol et russe ont fustigé mardi à leur tour les « ultimatums » posés par l'administration de Donald Trump.
Feu l’accord
L'accord sur le nucléaire iranien avait été conclu à Vienne le 14 juillet 2015 entre l'Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni), plus l'Allemagne.
Il a permis de mettre fin à des années d'isolement de Téhéran en levant une partie des sanctions économiques internationales. En échange, l'Iran a accepté de limiter drastiquement son programme nucléaire afin de garantir qu'il ne cherche pas à se doter de l'arme atomique.
Les inspecteurs internationaux ont affirmé à moult reprises que Téhéran respectait ses engagements en la matière.
Mais le 8 mai dernier, Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis de cet accord et le rétablissement des sanctions contre l'Iran.
Ordre américain
En vertu des sanctions de Washington, les pays et entreprises étrangères qui veulent garder accès au marché américain doivent cesser de commercer avec Téhéran.
Au motif qu’ils se sont engagés à réduire leurs achats, seuls huit pays sont encore autorisés par Washington à continuer d'acheter du pétrole à l'Iran pendant encore six mois au moins : la Chine, l'Inde et la Turquie (les premiers importateurs de brut iranien avec l'Union européenne), ainsi que le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, l'Italie et la Grèce.
Côté finances, 50 banques iraniennes ont notamment été placées sur la liste noire américaine, qui compte désormais 700 personnes et entités supplémentaires en lien avec l'Iran --davantage que celles qui en avaient été retirées en 2015.
Ces sanctions s'apparentent à un chantage: les pays et entreprises étrangères voulant garder accès au marché américain doivent cesser de commercer avec Téhéran. Beaucoup ont donc déjà choisi les États-Unis.
Le circuit bancaire international Swift, ossature du système financier mondial, dont l'administration Trump souhaite déconnecter l'Iran comme c'était le cas de 2012 à 2016, a ainsi annoncé lundi la suspension de l'accès de certaines banques iraniennes à son réseau, évoquant une décision « regrettable ».
Fureur iranienne
Lundi 5 novembre, le président iranien Hassan Rohani a promis, dans un discours télévisé, de « contourner avec fierté » ces « sanctions illégales et injustes ». Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif les a qualifiées le lendemain dans une vidéo postée sur YouTube d’ « absurdes, illégales et fondamentalement biaisées ».
« L'administration américaine semble penser qu'imposer des sanctions draconiennes à l'Iran causera tant de douleur à notre nation que cela nous forcera à nous soumettre à sa volonté », a-t-il déclaré dans la vidéo, postée en ligne en anglais et en persan. « Nous avons survécu à des temps difficiles en 40 ans d'hostilité américaine », a ajouté le chef de la diplomatie iranien.
Les États-Unis « regretteront cette décision imprudente », a encore estimé M. Zarif et feraient mieux de repenser leur « soutien inconditionnel » à l'Arabie saoudite et à Israël, qui les a « rendus aveugles » aux « atrocités épouvantables » commises par ces deux pays.
Ces agressions, souligne-t-il, « renforcent l'isolement international » des États-Unis.
Exaspérations internationales
La prédiction, cette fois, n’est pas seulement incantatoire. Si la plupart des pays se voient contraints – dictature du dollar oblige - de se soumettre à l’humeur de l’occupant fantasque de la Maison blanche, peu s’y résolvent de gaieté de cœur.
Malgré leur départ, les autres signataires de l'accord de 2015 se sont engagés à tout faire pour le préserver. Les Européens, pourtant alliés des Américains, tiennent à préserver un traité qu'ils jugent indispensable à la sécurité mondiale et, pour éviter que Téhéran ne le quitte à son tour et ne relance sa course à l'arme atomique, promettent de l'aider à contourner les sanctions.
Moscou, logiquement, s’irrite plus encore. « Poursuivre une politique basée sur des ultimatums et des exigences unilatérales, bien sûr, à notre époque est difficilement admissible », déclare le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov à Madrid, après avoir rencontré son homologue espagnol Josep Borrell.
Les sanctions contre l'Iran « sont absolument illégitimes. Elles sont appliquées en violation flagrante de la décision du Conseil de sécurité des Nations unies. Et les formes sous lesquelles ces mesures sont annoncées et mises en œuvre ne peuvent que susciter une profonde déception », a ajouté Serguei Lavrov.
« Je suis d'accord avec le ministre Lavrov pour rejeter tout type de position qui ressemble à un ultimatum, de la part de qui que ce soit et aussi de la part des États-Unis », a de son côté déclaré Josep Borrell. « Cette idée de " Vous êtes avec moi ou vous êtes contre moi " appartient à une autre époque », a-t-il ajouté.
La Turquie a également vivement critiqué mardi les sanctions américaines contre Téhéran, les qualifiant de « dangereuses ». « Nous ne trouvons pas que ces sanctions soient bonnes. Pour nous, ces sanctions sont des sanctions qui visent à bouleverser l'équilibre du monde », a déclaré le président turc Recep Tayyip Erdogan. « Elles sont contraires au droit et à la diplomatie. Nous ne voulons pas vivre dans un monde impérial », a-t-il ajouté devant les députés de son parti à Ankara.
Malgré l'apparente impuissance du monde devant la force financière américaine, tant de mauvaise humeur d'alliés de Washington - qui sont aussi parfois voisins de l'Iran - pourrait finir par n'être pas sans effet. En dépit d'une économie en difficulté, de nombreux experts estiment que Téhéran se trouve cette fois bien moins seule qu'en 2015, et de ce fait mieux en position de résister. L’arroseur Trump pourrait alors finir sinon vaincu, du moins sérieusement arrosé.