Les géants de l'informatique au service de l'étouffement des peuples ?
Le paradoxe est complet quand on sait comment les firmes technologiques surfent sur la vague de la libération des peuples grâce à l'informatique et au réseau Internet : Google, par exemple, était en pointe sur la défense de la liberté d'expression en affichant son refus des récentes lois de surveillance ou de censure du web, telles PIPA ou SOPA. Mais Google, pour autant, refuse l'ouverture de ses services aux adresses internet (adresses IP) provenant d'Iran. L'Iran, dont la population a inspiré les printemps arabes, en 2009, grâce aux réseaux sociaux, aux site de publication vidéo et à l'utilisation de l'informatique en réseau en général. Yahoo pratique la même politique en interdisant aux adresses IP iranienne de bénéficier de ses services : comment ces entreprises peuvent-elles ensuite venir faire l'apologie de leurs outils pour la diffusion de l'information, la liberté d'expression et l'aide qu'elles procurent pour la libération des peuples opprimés avec de tells pratiques ?
Pour Fabrice Epelboin, l'un des fondateurs de l'ATLN (Association Tunisienne des Libertés Numériques), "il faut être optimiste, et un brin cynique : ces entreprises reposent sur une image qui pourrait être détruite de façon irrémédiable si elles se retrouvaient dans la situation de
Bull ou de Cisco - des entreprises qui ont aidé à la torture et à la mort de dizaine de milliers de personnes. Contrairement à Bull, l'image de Google souffrirait beaucoup d'un tel scandale, et cela aurait de très lourdes conséquences sur leur business et leur cours de bourse. Ces deux entreprises (Google et Yahoo, NDLR) ont par le passé franchi la ligne jaune et collaboré avec les services de répression de dictatures (la Chine surtout, NDLR), il n'est pas impensable qu'elles aient compris la leçon."
Il n'en reste pas moins que ces entreprises de haute technologie ont un pouvoir inquiétant, que le co-fondateur de l'ATLN résume ainsi : "maintenant que ces entreprises de haute technologie sont confrontées à des entités politiques, on va assister à des transferts de pouvoir. Un Etat ne peut décemment pas imaginer installer une société de la surveillance sans la collaboration des opérateurs télécoms, par exemple, ce qui donne à ceux-ci un vrai pouvoir politique. Il en est de même pour les entreprises qui servent à transmettre de l'information, comme Twitter ou Facebook."
Alors, au delà de l'incident Apple et de son refus de vente discriminatoire lié à la politique d'embargo des Etats-Unis, la question du "véritable pouvoir politique des multinationales" se pose de plus en plus. Fabrice Epelboin conclue ainsi son analyse : "Nous assistons à un transfert de pouvoir. Bush à bien moins fait pour la démocratie au Moyen Orient que Facebook : les temps changent, et les politiques comprennent bien cela. La France n'est pas devenue l'un des pays champions des technologies de surveillance de masse par hasard, c'est le résultat d'un pari industriel de grande envergure - réussi pour le coup - et que l'on peut dater de 2006-2007. C'est aussi le résultat d'une analyse au final assez fine des transferts de pouvoirs induits par les technologies."
Pas de quoi rassurer les défenseurs des libertés, ni les citoyens. Qu'ils soient de pays démocratiques...ou non.