Les pénuries de médicaments s'aggravent en France, dénoncées par un collectif de médecins hospitaliers. Malgré tout, des solutions existent pour corriger ce dysfonctionnement, ce qu'expliquent ces professionnels dans une tribune publiée ce 17 août 2019.
Le nombre de médicaments en rupture de stock a augmenté de près de 2000% en 10 ans ! Ce constat est celui de l'Agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM) : 44 signalements de tensions ou de ruptures d’approvisionnement en 2008, contre… 868 en 2018.
Ces pénuries ne touchent pas les très chères innovations thérapeutiques mais des médicaments peu coûteux (…)Extrait de la tribune du collectif de médecins mené par le professeur Vernant
Ces pénuries ne sont pas très gênantes pour les malades lorsqu'elles touchent des médicaments substituables ou dont l'intérêt thérapeutique n'est pas majeur. Mais elles deviennent un véritable cauchemar lorsqu'elles touchent des traitements de maladies graves ou chroniques. Car les ruptures d'approvisionnement, ces dernières années, ont touché des traitements du cancer, de l’hypertension, de maladies cardiaques, du système nerveux ou bien encore des vaccins. Face à ce constat alarmant, Jean-Paul Vernant et un collectif de médecins hospitaliers ont publié le 17 août 2019 une tribune dans le JDD (Journal du dimanche), pour à la fois dénoncer la situation, en expliquer les causes… et soumettre des solutions.
La production des principes actifs de 80% des médicaments passés dans le domaine public a été depuis plusieurs années, pour des raisons de moindre coût, délocalisée en Inde et en Chine.Extrait de la tribune du collectif de médecins mené par le professeur Vernant
Pénuries de médicaments : la loi du marché ?
Le collectif mené par le professeur Vernant explique que ces pénuries ne touchent pas les médicaments les plus chers : "
Ces pénuries ne touchent pas les très chères innovations thérapeutiques mais des médicaments peu coûteux qui, bien qu’anciens et tombés dans le domaine public, constituent toujours l’essentiel de la pharmacopée". Et ces médicaments sont désormais fabriqués en Asie pour des raisons d'optimisation des coûts, soulignent les médecins : "
Alors que ces laboratoires pharmaceutiques résident pour la plupart en Occident, la production des principes actifs de 80% des médicaments passés dans le domaine public a été depuis plusieurs années, pour des raisons de moindre coût, délocalisée en Inde et en Chine."
Mais pourquoi donc ces médicaments, bon marché, dont la production est délocalisée, en viennent-ils à ne plus être fournis sur le marché français ? Selon le collectif, plusieurs raisons peuvent être invoquées, dont la principale serait une mauvaise gestion de la production par "désintérêt industriel" : le produit ne rapporte pas beaucoup, les sous-traitants ne font pas d'efforts pour le produire suffisamment. Une malfaçon du principe actif peut être aussi à l’origine d’une pénurie. C'est d'ailleurs le cas, depuis cet été, pour le Depamide (traitement des épisodes maniaques du trouble bipolaire) du laboratoire Sanofi, rappelé par l'ANSM pour cause de "défaut dans la qualité des comprimés".
Néanmoins, les médecins de la tribune sur la pénurie de médicaments en France rappellent que "
dans la plupart des cas, après des semaines ou des mois de pénurie, les médicaments réapparaissent sur le marché avec des augmentations non contrôlées des prix." Des stratégies industrielles douteuses pourraient donc expliquer aussi en partie les "ruptures subites de stock" de médicaments en France.
Prévenir et empêcher les pénuries
Des plans de gestion des pénuries (PGP) ont été imposés aux laboratoires par l'ANSM depuis 2012, mais n'ont absolument pas résolu le problème. Il faudrait — selon les médecins — prévenir les pénuries et non pas les gérer. Ces mesures de prévention seraient le seul moyen de stopper un problème sanitaire de plus en plus prégnant en France. Trois mesures seraient à prendre, selon le collectif de professionnels :
- Imposer dans l’urgence, aux laboratoires pharmaceutiques titulaires de l’autorisation de mise sur le marché, la constitution et la gestion de stocks de MITM (médicaments d’intérêt thérapeutique majeurs) sous forme de produits finis. En effet les laboratoires travaillent, par soucis d’économie, à flux tendu -comme les industriels de l’électroménager! Le plus souvent responsables des pénuries, ils sont les mieux à même d’en connaître les causes et d’en prévoir la survenue. Plusieurs mois de stocks permettraient d’amortir les défauts d’approvisionnement. La pénurie avec ses conséquences pour les malades serait ainsi prévenue.
- Rapatrier en Europe la production des principes actifs où ils étaient encore fabriqués il y a une quinzaine d’années. Le coût du principe actif ne représentant qu’une très faible part du produit fini, cette relocalisation ne devrait pas affecter significativement le prix des médicaments.
- Créer un établissement pharmaceutique à but non lucratif, si possible européen, sinon français, comme aux Etats –Unis. Là-bas, à l’initiative de médecins indignés par les conséquences des multiples pénuries pour les malades et choqués par les augmentations répétées de prix, plus de 500 établissements hospitaliers se sont réunis pour fonder un établissement pharmaceutique de ce type produisant des médicaments passés dans le domaine public. La création d’une telle structure permettrait de prévenir les pénuries et serait le garant de la qualité des médicaments et de prix justes et pérennes.
En 2018, le Collectif Parkinson (un regroupement de sept associations de malades), avait lancé une pétition avec le soutien de neurologues pour dénoncer la pénurie de médicaments dans le traitement de la maladie de Parkinson. Les laboratoires y étaient déjà mis en cause, tout comme les pouvoirs publics :
"(…) Les pouvoirs publics régulièrement sollicités agissent, mais en réalité se révèlent impuissants à rappeler avec force et efficacité aux dirigeants des laboratoires pharmaceutiques que leur responsabilité première est d'apporter les meilleures réponses possible aux malades. Faut-il se résoudre à admettre que 200 000 malades de Parkinson français sont trop peu nombreux pour peser sur les choix stratégiques de l'industrie pharmaceutique ou des distributeurs de médicament ? Non ! La santé est affaire de soins, de prendre soin, de solidarité – c'est au nom de cette solidarité que la régulation du marché doit être bien contrôlée."
Les pouvoirs publics semblent tout juste prendre en compte le problème, avec des ébauches de solutions lancées par le ministère de la Santé en juillet dernier (et un plan du gourvernement qui sera dévoilé en septembre), mais qui pour l'heure, ne convainquent pas les médecins.
> A voir ou revoir : Santé : y a-t-il pénurie de médicaments ? [à vrai dire]