Fil d'Ariane
Les droits de l'homme ne sont pas seulement pour notre bénéfice personnel. C'est une obligation. Si les droits de l'homme ne s'appliquent pas à tous, ils ne s'appliquent à personne.Déclaration de Pia Klemp, capitaine du Iuventa et du Sea Watch, humanitaire allemande jugée en Italie, sur le journal en ligne ze.tt
Voici Pia Klemp. Et elle risque 20 ans de prison. Son crime? Sauver près de 5000 #migrants de la noyade, entre 2017 et 2018. Son procès pour "aide à l'immigration illégale" débute en Italie. Pia est une femme commandant. Elle est jugée, personne n'en parle. #FreePia pic.twitter.com/R3RsN3TmJB
— David Zylberberg (@zylberdav) June 6, 2019
The Sea-Watch 3 is free!
— Sea-Watch International (@seawatch_intl) June 1, 2019
We have received formal notification of the ship’s release from confiscation and its subsequent return to operations.
.@matteosalvinimi "C'è una nave sotto sequestro quindi forse avevo ragione io. Questi hanno aiutato i trafficanti di esseri umani e spero che venga tratto in arresto il comandante di questa nave" #nonelarena pic.twitter.com/FTBL3jL9EG
— Non è l'Arena (@nonelarena) May 19, 2019
« Les ONG jouent un rôle essentiel pour apporter une aide aux migrants, cela ne fait aucun doute ». Voilà mot pour mot ce que j’ai dit vendredi.
— Christophe Castaner (@CCastaner) April 9, 2019
Depuis, beaucoup a été dit. Des propos inacceptables. Des contre-vérités.
Alors je souhaite être très clair. pic.twitter.com/nRegZBhFIe
Dix jours avant le blocage du Sea Watch-3, Matteo Salvini avait quant à lui présenté un nouveau projet de loi anti-immigration . Parmi les mesures de cette loi, la possibilité de sanctionner financièrement les navires qui portent assistance aux migrants par une amende de 3 500 à 5 500 euros avait été mise en avant.
Que dit le droit en matière de secours en mer ?
Le droit maritime international est très précis : La Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer prévoit qu'un capitaine de navire qui reçoit un message de détresse doit porter secours aux personnes concernées. "Par personne en détresse, on entend toute personne qui risque la noyade et nécessite en urgence un sauvetage en mer", explique Patrick Chaumette, professeur de droit à l'Université de Nantes.
Extrait de l'article TV5MONDE du 07.01.2019 : "Migrants en Méditerranée : que dit le droit international ?"
Europe : renvoyer les migrant(e)s au viol et à la torture en Libye
La bataille judiciaire à l'encontre de Pia Klemp est parallèle au changement de politique européenne face au drame des traversées clandestines de Libye vers l'Italie, faites d'embarcations pleines à craquer de femmes, d'enfants et d'hommes en détresse. Désormais le Conseil de l'Europe prône une collaboration avec les autorités libyennes. L'Union européenne a annoncé il y a trois mois qu'elle mènerait désormais l'opération navale "Sophia" (EUNAVFOR Med, lancée en 2015)… sans navires et qu'elle "n'observerait la mer que depuis les airs". L'Allemagne a d'ailleurs stoppé la mise à disposition de navires pour cette opération.
L'objectif affiché de l'UE en 2019 est de "démanteler le modèle économique des passeurs et des trafiquants d’êtres humains dans la partie sud de la Méditerranée centrale. L'opération remplit également des tâches de soutien. Elle forme la marine et les garde-côtes libyens et contrôle l'efficacité de la formation sur le long terme; elle contribue à la mise en œuvre, en haute mer, au large des côtes libyennes, de l'embargo des Nations unies sur les armes."
Que dois-je dire à une femme traumatisée dont l'enfant mort gît dans mon réfrigérateur au sujet de l'UE, lauréate du prix Nobel de la paix ?
Pia Klemp, capitaine du Iuventa et du Sea Watch-3, humanitaire allemande jugée en Italie, lors d'une réunion d'ONG au Parlement européen
Aujourd'hui, les gardes-côtes libyens patrouillent donc en Méditerranée et ramènent les bateaux de migrants en Libye, soutenus dans cette action par l'opération "Sophia", ce que dénonce Pia Klemp, qui n'accepte pas que les droits de l'Homme soient devenus des droits "à sens unique". "Les droits de l'Homme ne sont pas seulement pour notre bénéfice personnel. C'est une obligation. Si les droits de l'Homme ne s'appliquent pas à tous, ils ne s'appliquent à personne."
Il est en effet avéré que s'il y a moins de traversées depuis la mise en place de cette nouvelle politique de retour en Libye, les agressions brutales, la torture et les violences sexuelles contre les migrants ont augmenté dans une proportion dramatique dans ce pays, comme le souligne une étude publiée par une ONG basée à New York, la Women's Refugee Commission (WRC, Commission des femmes réfugiées).
Extrait de l'article sur WRC : "Nouvelle recherche démontrant la violence sexuelle et la torture à grande échelle contre les hommes et les garçons réfugiés et migrants en Libye et le long de la route menant de la Méditerranée centrale à l'Italie" (Tiré du rapport de mars 2019 : "Plus d'un million de douleurs", One Million pains")
L'étude a révélé que les violences sexuelles perpétrées contre des migrants et des réfugiés le long de la route méditerranéenne incluent la torture sexuelle, la violence génitale et la castration, et contraignent des hommes et des garçons à violer autrui - y compris des membres de la famille et des cadavres - ainsi que des violences sexuelles meurtrières.
> Article Le Monde : "Des migrants sortis de l'enfer libyen"
Pia Klemp a témoigné il y a peu à une réunion d'ONG au Parlement européen. L'humanitaire a alors raconté une expérience en mer où elle a dû naviguer pendant des jours dans les eaux internationales avec un petit garçon de deux ans, mort et "entreposé" dans la chambre froide du navire, parce qu'aucun pays européen n'avait accepté de laisser entrer son bateau.
La mère du garçon était aussi à bord, vivante. Pia Klemp a alors posé cette question à la fin de son témoignage : "Que dois-je dire à une femme traumatisée dont l'enfant mort gît dans mon réfrigérateur, au sujet de l'UE, lauréate du prix Nobel de la paix ?". Cette question pourrait être reposée par l'humanitaire, lors de son procès en Italie.
Les accusations de "trafic humain" à l'encontre des ONG en Méditerranée ont débuté avant même la judiciarisation du cas de Pia Klemp, par la voix d'un autre magistrat, le procureur italien Carmelo Zuccaro. Celui-ci avait en effet lancé le premier dans le quotidien La Stampa début 2017 des interrogations sur une "concentration anormale de navires en Méditerranée" et soupçonné certaines ONG de nouer des contacts avec des "trafiquants d’êtres humains", après avoir ouvert une enquête sur les activités des ONG en mer "pour comprendre comment elles se financent et dans quel but."
Le procureur Ambrogio Cartosi, à l'époque de la saisie du Iuventa, avait quant à lui expliqué que des membres d'équipage du Iuventa étaient soupçonnés d'avoir "pris à bord à plusieurs reprises des migrants sur des canots pneumatiques amenés directement par des trafiquants", et que "dans un cas, les passeurs étaient même arrivés à la rencontre du Iuventa avec une vedette des gardes-côtes libyens". Mais il avait confessé ensuite que cette pratique, bien que "fréquente", l'était pour "des motifs purement humanitaires". L'ONG avait malgré tout nié ces accusations.
Une pétition pour soutenir Pia Klemp a été ouverte en ligne il y a une semaine, des récoltes de fonds sont en cours pour l'aider à payer des frais de justice pour son procès, qui pourrait durer des années et coûter des centaines de milliers d'euros.
Des accusations aux preuves, le pas n'est pas encore franchi, mais si Pia Klemp est condamnée, une question importante se pose : quelle image donnerait alors l'Europe au reste du monde dans le cadre de sa politique de défense des droits de l'Homme ?
Publication vidéo de Pia Klemp pour la promotion de l'ONG Iuventa le 24 mai 2019 :