Fil d'Ariane
Deux juges auraient prononcé la fin des investigations dans l'enquête sur l'empoisonnement des Antilles françaises au chlordécone sans mise en cause, selon des sources citées par l'AFP. Le pesticide autorisé dans les bananeraies jusqu’en 1993 est à l’origine d’une pollution durable dans les deux îles de l'archipel.
Cela faisait seize ans que des collectivités et associations de Martinique et de Guadeloupe ont porté plainte contre le gouvernement pour le scandale du chlordécone. Elles dénoncent la pollution de leurs îles par le pesticide autorisé dans les bananeraies jusqu'en 1993.
Selon des sources proches du dossier à l’AFP, deux juges d'instruction du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris auraient annoncé le 25 mars dernier leur intention de clore ce dossier sans prononcer de mise en examen. Si elle était avérée, cette décision pourrait orienter le procès vers un possible non-lieu.
Les parties prenantes à la procédure disposent d'un délai pour signifier leur intention de faire des observations avant les réquisitions du parquet de Paris.
On nous a préparé à cette décision de justice, puisque le juge d’instruction nous a entendus début 2021 pour nous annoncer que c’était l'orientation envisagée.
Harry Durimel, avocat des parties civiles en Guadeloupe et initiateur et rédacteur de la plainte initiale en 2006.
"On nous a préparé à cela, puisque le juge d’instruction nous a entendus début 2021 pour nous annoncer que c’était l'orientation envisagée", précise Harry Durimel, avocat des parties civiles en Guadeloupe et initiateur et rédacteur de la plainte initiale en 2006.
Cependant, les recours ne sont "pas terminés", insiste-t-il. Les avocats prévoient d’ores et déjà de "faire appel en cas de non-lieu", et même de "saisir la Cour européenne de justice" si les recours internes sont épuisés.
Le chlordécone est un pesticide toxique, classé comme cancérigène dès 1979 par l’OMS. Il est interdit en 1977 aux Etats-Unis et seulement en 1990 en France métropolitaine.
Il est le moyen le plus efficace et radical pour se venir à bout d’un insecte ravageur pour les bananiers : le charançon. La banane étant une des principales cultures dans les Antilles, le chlordécone est par dérogation en Guadeloupe et en Martinique jusqu’en 1993 pour préserver ce secteur d’activité.
Cette décision provoque une pollution importante et durable des deux îles. Plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France. Les populations antillaises présentent un taux d'incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.
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Ces cancers de la prostate liés à l'exposition au chlordécone ont été reconnus comme maladie professionnelle en décembre 2021, ouvrant la voie à l'indemnisation d'exploitants et d’ouvriers agricoles.
En 2006, plusieurs associations martiniquaises et guadeloupéenne déposent plainte pour empoisonnement, mise en danger de la vie d'autrui et administration de substance nuisible.
Deux ans plus tard, le pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris est chargé d'une information judiciaire.
Ce n’est qu’en 2021 que les juges d’instruction font part de leurs premières analyses. Les faits seraient dans leur grande majorité prescrits. Deux mois plus tard, Rémy Heitz, alors procureur de Paris, estime dans un entretien au quotidien France Antilles que "la grande majorité des faits dénoncés était déjà prescrits dès le dépôt des plaintes en 2006".
Cette plainte n’est pourtant pas la seule existante concernant cet empoisonnement au chlordécone.
En mai 2020, cinq cents habitants des Antilles exposés au chlordécone saisissent le tribunal administratif de Paris invoquant un préjudice d’anxiété. Le préjudice en question fait référence à l’inquiétude permanente de déclarer une maladie causée par l’exposition au chlordécone. Cette situation de stress peut affecter la santé mentale des principaux concernés.
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Pusieurs organisations, dont le Conseil représentatif des associations noires (CRAN), l'association guadeloupéenne "Vivre" et le collectif "Lyannaj pou depolye matinik" se sont associées à la plainte.
"La tournure que prend cette scandaleuse affaire est préoccupante car on s'achemine vers un déni de justice", ont dénoncé mardi 6 avril dans un communiqué les avocats de l'association "Pour une écologie Urbaine", Raphaël Constant, Corinne Boulogne Yang-Ting, Ernest Daninthe et Georges Louis Boutrin."Après quinze ans d'instruction et en l'état actuel du droit en vigueur, aucune mise en examen n'a été prononcée, ce qui laisse à craindre une forte probabilité d'une décision de non-lieu", s’inquiètent-ils.
Plusieurs milliers de Martiniquais avaient défilé dans les rues de Fort-de-France fin février 2021 pour dénoncer la possible prescription de cette plainte.