Fil d'Ariane
En fin de semaine dernière encore, à la Chambre des Communes, la ministre de l'Intérieur était formelle : elle allait effectuer les changements nécessaires concernant les Britanniques d'origine caribéenne immigrés de longue date. Et elle était "la mieux placée" pour le faire.
Je suis la mieux placée pour agir (dans le scandale Windrush, NDLR)... J'ai confiance dans le fait que les changements que je souhaite mettre en place, et la transparence qui va avec, produiront les effets attendus.
Amber Rudd, ministre de l'Intérieur britannique, 26 avril 2018
Transparence, le mot ne pouvait pas être plus mal choisi. Car après des semaines d'enquête, le quotidien The Guardian a révélé un mémo du ministère de l'Intérieur daté de 2017 faisant état d'objectifs chiffrés d'expulsions. Amber Rudd travaillait à faire "mieux" qu'expulser 10% d'immigrants illégaux de plus "dans les années à venir", selon une lettre qu'elle avait adressée à Theresa May, rapporte The Guardian.
Dimanche soir pourtant, Mme Rudd a tenté d'expliquer qu'elle n'avait pas connaissance de ces objectifs, ni des documents mentionnés par le quotidien. Mais sa position était devenue intenable.
Quelques heures plus tard, elle présentait sa démission, s'excusant d'avoir "involontairement trompé" les parlementaires. Démission à la Une de la plupart des journaux britanniques ce lundi 30 avril 2018.
Amber Rudd est la quatrième ministre à démissionner en six mois au Royaume-Uni.
Un départ lié, cette fois donc, au scandale dit de "Windrush", nommé ainsi d'après le nom du premier navire de migrants du Commonwealth arrivé au Royaume-Uni en 1948. D'autres suivraient pendant quelques vingt ans. Le pays avait alors besoin de main-d'oeuvre pour sa reconstruction après la guerre. Des milliers d'immigrants avaient obtenu le droit de rester indéfiniment dans le pays, sans nécessairement avoir accompli les démarches administratives. D'où le scandale suscité par les demandes de preuves ces dernières années.
> Lire aussi : Windrush, une génération d'immigrés devenus clandestins malgré eux
Theresa May espérait pouvoir mettre fin à l'émotion et à l'indignation en présentant "(ses) excuses" mi-avril, soulignant "la contribution immense" des Britanniques d'origine caribéenne "à la vie du pays".
La contribution des personnes de la génération Windrush à la vie du pays a été immense. Ce sont des Britanniques. Je veux être absolument claire à ce sujet. Nous n'avons absolument pas l'intention de demander à quiconque qui a le droit de rester, de s'en aller. Et ceux qui ont reçu, par erreur, des courriers (remettant cela en cause), je tiens à leur présenter mes excuses.
Theresa May, Première ministre britannique, 18 avril 2018
Elle avait alors promis la nationalité gratuitement à ceux dont les papiers n'étaient pas en règle. Et avait évoqué des compensations financières pour l'"anxiété" suscitée.
Pour autant, cela n'avait pas apaisé les esprits en pleine tourmente du Brexit et à l'approche des élections locales du 3 mai, scrutin test pour les conservateurs qui ne bénéficient que d'une courte majorité législative.
Et pour cause. Les observateurs soulignent le rôle crucial de Theresa May, ancienne ministre de l'Intérieur du gouvernement Cameron (2010 à 2016), dans la politique de lutte contre l'immigration illégale et dans la remise en cause des droits de la génération Windrush, politique désapprouvée par une grande majorité de Britanniques, selon un sondage IMiX- Runnymede.
Cette année là, en 2016, près de 40 000 Britanniques d'origine caribéenne étaient amenés à quitter le Royaume-Uni, soit par suite d'ordres d'expulsion, soit de leur propre chef, suite à des pertes d'emplois et ne parvenant plus à faire valoir leurs droits pour se faire soigner ou pour toucher leurs pensions de retraites.
La question est posée. La nomination de Sajid Javid, qui change de portefeuille ministériel pour succéder à Amber Rudd au ministère de l'Intérieur, est le signe d'une volonté d'apaisement.
Secrétaire d'Etat aux communautés depuis 18 ans, l'ancien banquier d'affaires est lui même issu de l'immigration des années soixante au Royaume-Uni, fils d'un chauffeur de bus pakistanais.
Récemment, Sajid Javid s'est publiquement ému du sort des Britanniques d'origine caribéenne expulsés. Ce lundi, il s'est engagé à ce que "la génération Windrush (soit) traitée avec toute la décence et la justice qu'elle mérite".