Seconde guerre mondiale - Entretien avec Annette Wieviorka

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Seconde guerre mondiale - Entretien avec Annette Wieviorka
Photo de Staline par Time and Life pictures - Getty Image
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Le 1er septembre 2009, plusieurs dirigeants européens se sont réunis à Gdansk au nord de la Pologne pour commémorer le 70ème anniversaire du déclenchement de la seconde guerre mondiale. C'est en effet dans cette même ville, sept décennies plus tôt que furent tirés les premiers coups de canon qui enclenchèrent l'un des conflits les plus meurtriers du XXe siècle. Entre recueillements et discours, une polémique enfle sur les origines de cette guerre. Malgré le temps écoulé, la Pologne rend le pacte Molotov - Ribbentrop responsable du déclenchement du conflit. La Russie réfute ces allégations. Selon Moscou, le pacte germano - soviétique fut le dernier acte d'une série d'événements qui conduisirent à la tragédie du 1er septembre 1939.

“Les causes de la guerre sont plus profondes que le pacte germano–soviétique“

Entretien avec Annette Wieviorka, historienne française, spécialiste de la Shoah

“Les causes de la guerre sont plus profondes que le pacte germano–soviétique“
Pourquoi ces divergences entre Russes et Polonais sur les origines de la Seconde guerre mondiale 70 ans après ? Ces divergences sont extrêmement simples. On observe aujourd’hui en Russie un retour au nationalisme et une réévaluation du rôle de Staline qui justifient la position de Moscou. A l'époque de la signature du pacte germano–soviétique, nous savons qu’il comprenait dans ses protocoles secrets le partage de la Pologne. Ce dernier a eu pour conséquence l’invasion de la Pologne dès le 17 septembre 1939. Donc, il n‘est pas faux de dire que la guerre commence en Europe avec l’invasion de la Pologne le 1er septembre 1939 par l’armée allemande et quinze jours après par l’armée rouge. Dans l’idée de Staline, la Pologne devait tout simplement disparaître de la carte du monde. Cela a eu pour conséquence que des prisonniers polonais (4000 d’entre eux), notamment des officiers ont été assassinés à Katyn au printemps 1940. Katyn est resté, pour la Pologne, un grand symbole de la criminalité soviétique à leur égard. C’est pour cette raison que les Russes aujourd’hui veulent atténuer les faits en accusant la Pologne de l’entre-deux guerre de tous les péchés du monde. Les Polonais ont-ils des raisons de penser que le pacte germano–soviétique avait déclenché la guerre ? Les causes de la guerre sont plus profondes que le pacte germano–soviétique. Cela dit, ce pacte a été effectivement un signal précurseur de la guerre, parce qu’il a donné les coudées franches à Hitler. Il faut regarder une carte de l’Europe à cette époque-là. L’Allemagne se considère prise en étau entre les grandes puissances européennes : la France, la Grande-Bretagne et l’Union Soviétique. C’est ce qui va d’ailleurs se passer à partir de juin 1941. En signant le pacte germano–soviétique, l’Allemagne nazie a les mains libres à l’Ouest. C'est-à-dire qu’elle est tranquille pour se battre sur un seul front.
Seconde guerre mondiale - Entretien avec Annette Wieviorka
Lors de signature du Pacte germano-soviétique - 23 août 1939
La polémique actuelle est-elle liée aux relations difficiles qu’entretiennent les Russes et les Polonais ces dernières années ? De 1945 à 1989, l’Union soviétique a dominé toute l’Europe centrale. À partir du moment où ces pays ont rejoint l’Union européenne, ils n’étaient plus sous la dépendance absolue - politique, économique et militaire - de l’Union Soviétique. C’était donc le cas avec la Pologne pendant les quarante années qui ont suivi la Seconde guerre mondiale. Les données ont changé à présent. Quelle version l’histoire retient-elle du déclenchement du conflit en 1939 ? Les historiens sont d’accords pour dire qu’à partir du 23 août 1939, la guerre est imminente et que cette guerre est le fruit des manipulations d’Hitler. Ce dernier prétendait que les Allemands avaient été attaqués par les Polonais. Pour justifier son accusation, il s’était servi des prisonniers de camps de concentration revêtus d’un uniforme polonais. Je crois que si on se réfère aux journées qui ont précédées la guerre, on voit que tout cela est établi. Les historiens ont établi ces faits à partir des documents existants, rendus publics après guerre, lors du procès de Nuremberg. L’histoire peut-elle se répéter malgré la construction européenne ? Non. Je crois que depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, l’Europe est pratiquement en paix, malgré quelques conflits - la guerre en ex–Yougoslavie et les conflits de la guerre froide. C’est une certitude. Et puis, la Russie d’aujourd’hui, même si certaines de ses caractéristiques peuvent être inquiétantes, n’est plus l’Union Soviétique. L’URSS était le centre d’un système communiste international, qui a permis à certains de ses dirigeants de prendre le pouvoir dans une partie de l’Asie et de l’Europe. Le Kominterm était le lieu où tout le monde se connaissait - la Chine l’Indochine, la Corée du Nord et toutes les démocraties populaires qui partageaient la culture du mouvement communiste international. C’est terminé maintenant et je ne crois pas que l’histoire puisse se répéter. L’histoire est plus imaginative. Propos recueillis par Christelle Magnout 03 septembre 2009

Le livre d'Annette Wieviorka et Jean-Charles Szurek

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Juifs et Polonais : 1939 à nos jours Paru en janvier 2009 aux éditions Albin Michel Histoire