Semaine de la Francophonie : quel avenir pour la langue française au Québec ?

Les spécialistes estiment que la langue française est en péril au Québec et que le gouvernement québécois doit intervenir rapidement pour renverser cette tendance au déclin. L’avenir de la langue française va se jouer sur l’île de Montréal, sur la propension des immigrants à adopter le français quand ils s’installent au Québec et sur la lutte contre le phénomène d’anglicisation des jeunes Montréalais. Bref, il est minuit moins une pour la langue française dans cette terre d’Amérique…
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Montréal Canada hiver rue
Montréal, hiver 2021
© TV5MONDE / Radio-Canada
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Charles Castonguay est un sociologue qui vient de publier le livre « Le français en chute libre » dans lequel il rapporte, chiffres à l’appui, le déclin de la langue française au Québec : « Sur le plan démographique on constate, depuis le début du 21e siècle, un déclin à une vitesse jamais vue dans l’histoire des recensements du poids du français, tant en ce qui concerne la langue maternelle que la langue parlée plus souvent à la maison. C’est un déclin extrêmement rapide en l’espace de seulement 15 ans. Si on regarde le poids de la population selon la langue maternelle, le français a chuté sous les 80% pour la première fois depuis que l’on pose cette question, soit depuis 1901, donc pendant un siècle, le poids de la majorité de la langue maternelle française s’est maintenu au-dessus des 80% et là, ça a plongé à 78% au dernier recensement, et tout indique que cela va se poursuivre ».
 

Un plancher historique pour la langue française au Québec et les prévisions estiment que ce déclin va se poursuivre au cours des prochaines décennies. « Et en même temps, on assiste au maintien, voire une hausse légère, du poids de l’anglais comme langue d’usage à la maison au Québec » poursuit le sociologue.

Pourquoi ce déclin ?

Le sociologue avance plusieurs explications à ce déclin de la langue française au Québec. Le premier facteur, c’est l’augmentation importante de l’immigration depuis le début du 21ème siècle : « Le Québec n’a jamais accueilli autant d’immigrants, on parle de 50 000 ou plus par année, et on peine à les franciser, précise Charles Castonguay. L’anglais est en concurrence avec le français pour conquérir de nouveaux locuteurs et il tire son épingle du jeu : proportionnellement à son poids dans la population, l’anglais attire 10 fois plus que le français en matière d’assimilation linguistique, d’attraction sur les nouveaux arrivants qui ne parlent ni français ni anglais. Ils tendent à se ranger du côté de l’anglais, surtout ceux qui vivent dans l’île de Montréal, et c’est là qu’ils s’installent en majorité ». 

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L’autre phénomène que relève Charles Castonguay, c’est l’attirance de jeunes francophones pour l’anglais sur l’île de Montréal, où vit le quart de la population québécoise : « 6% des jeunes adultes de langue maternelle française sur l’île de Montréal déclarent avoir adopté l’anglais comme langue principale à la maison, explique le sociologue, autrement dit, ils s’anglicisent et ça, ça nourrit la démographie du groupe de langue anglaise et ça affaiblit le poids du français sur l’île de Montréal ». Les jeunes francophones sont aussi beaucoup plus bilingues que ne le sont les anglophones.

Résultat : sur l’île de Montréal, la langue maternelle française a perdu 5% entre les recensements de 2001 et 2016 : « Déjà 5% en 15 ans, c’est du jamais-vu dans l’histoire, la vitesse et l’ampleur de la baisse est sans commune mesure avec ce que l’on a pu observer dans le passé » se désole Charles Castonguay.

L’attrait de l’anglais dans le monde du travail

Un autre phénomène inquiétant et menaçant pour la langue française, c’est l’augmentation du nombre d’entreprises qui exigent la maîtrise de l’anglais quand elles recrutent de nouveaux employés. C’est ce que révèle une étude de l’Office québécois de la langue française publiée en août 2020 : au Québec, 40% des entreprises et, sur l’île de Montréal, 63 % des entreprises exigeaient des compétences en anglais dans leur processus d’embauche, alors que selon la loi 101, cette exigence n’est acceptée que si le poste à pourvoir l’impose. Sinon, seule la maîtrise de la langue officielle du Québec, soit le français, doit être exigée. Donc de plus en plus d’entreprises, d’organismes ou de municipalités québécoises exigent la maîtrise de l’anglais pour embaucher quelqu’un alors que le poste à pourvoir ne le requiert pas.

La balle est dans le camp des gouvernements québécois… et canadien

Le gouvernement québécois promet depuis des mois une refonte complète de la fameuse loi 101, cette loi fondamentale adoptée en 1977 par le premier gouvernement de René Lévesque pour protéger la langue française au Québec et que l’on appelle « La Charte de la langue française ». Le ministre responsable du dossier, Simon Jolin-Barrette, promet que cette nouvelle loi va avoir les dents nécessaires pour assurer la pérennité du français. Il reconnaît que c’est dans la métropole montréalaise et sa grande région que se trouve l’enjeu principal de la langue française. Il promet notamment que son projet de loi va faire respecter le droit pour les francophones de travailler en français. « Ce n’est pas normal au Québec [que] des Québécois qui parlent français ne puissent pas travailler dans leur langue, sur l’île de Montréal. Ce n’est pas normal, au Québec, que des Québécois ne puissent pas vivre en français dans toutes les facettes de leur vie » a-t-il déclaré. Simon Jolin-Barrette doit présenter son projet de loi au cours des prochaines semaines.

Charles Castonguay estime que le gouvernement canadien doit aussi absolument prendre les mesures adéquates pour protéger la langue française au Québec mais aussi dans le reste du Canada : « Il faut qu’Ottawa mette l’épaule à la roue et pousse dans le même sens que le Québec ». Le sociologue estime qu’au cours des 50 dernières années, le gouvernement canadien s’est bien plus porté à la défense de la minorité anglophone du Québec que de la protection des francophones de la province: « Est-ce qu’Ottawa va vraiment changer son fusil d’épaule, s’interroge Charles Castonguay. Le gouvernement et la Cour suprême du Canada ont rogné les ailes de la Charte de la langue française au point qu’il n’en reste plus grand-chose aujourd’hui ».

La ministre canadienne responsable du dossier, Mélanie Joly, planche actuellement sur une révision de la loi canadienne sur les langues officielles, un projet de loi qu’elle doit présenter prochainement et qui est très attendu par les communautés francophones dans tout le Canada.

Voir aussi : Canada : "Nous devons mettre en place une stratégie d'immigration francophone en dehors du Québec", assure Mélanie Joly

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L’indépendance du Québec, la solution ?

Le Mouvement Québec Français, de son côté, attend de pied ferme la nouvelle mouture de la loi 101 du gouvernement de François Legault. Mais son président, Maxime Laporte, ne cache pas ses doutes sur sa réelle efficacité et il déplore que les gouvernements successifs n’aient pas davantage pris la défense du français depuis l’adoption de la loi 101. En entrevue, il nous dresse un triste bilan de la situation : « On assiste à une régression du statut et du poids démographique du français au Québec, surtout dans la région de Montréal, c’est un phénomène visible et audible qui compromet l’avenir de la langue française au Québec et en Amérique du nord. Pour l’instant, on n’a pas atteint un objectif fondamental, soit que la vitalité démographique du français ne régresse plus au Québec. Depuis le début des années 2000, cette vitalité démographique recule, recule et recule encore chaque jour qui passe ».

Le président du Mouvement Québec Français espère donc que cette révision de la loi 101 va contenir des mesures suffisamment fortes pour protéger adéquatement la langue française : « Pour moi, il n’y a pas de demi-mesures possibles, ou bien les mesures mises en place vont permettre d’atteindre cet objectif, ou alors ce sera un échec et on va continuer sur la voie de la régression. J’estime que le Québec français se retrouve à un carrefour, soit on réussit à se sortir d’affaire soit on poursuit sur la voie de la régression.

Maxime Laporte estime que la seule option finalement qui peut assurer l’avenir de la langue française au Québec, c’est l’indépendance du Québec. Il croit que ce phénomène de régression de la langue française est la preuve de l’échec de l’option fédéraliste : « Notre objectif, c’est assurer l’avenir du Québec français, si cet objectif ne peut se faire dans le cadre canadien, alors nous prendrons parti en faveur de l’option indépendantiste au Québec. » 

Et de conclure : « La question qui tue littéralement c’est de savoir si ces mesures nous permettront à tout le moins de mettre frein à la régression démographique du français, au recul de son statut social, son statut économique ? Si ce n’est pas le cas, l’avenir du français est compromis. On ne peut pas accepter cette régression, je ne vois pas comment on peut justifier moralement, politiquement, cette inaction, cette négligence devant ce phénomène de déclin de la langue française sur ce continent ».

Une langue résiliente mais menacée

Tel est le bilan de santé que nous pouvons faire actuellement de la langue française au Québec. Et, avouons-le, ce bilan est inquiétant : on se demande si la langue française sera encore parlée au Québec et ailleurs au Canada dans cent ans, si des mesures efficaces ne sont pas rapidement mises en place pour en assurer l’avenir. Oui, cette langue a fait preuve au fil des siècles d’une force et d’une résilience qui lui a permis de traverser bien des obstacles pour se maintenir en vie au Québec, mais pourra-t-elle survivre à ce déclin démographique si on n’incite pas davantage les immigrants à se franciser ? Oui, le Québec c’est vraiment le village des irréductibles gaulois dans l’empire romain, mais peut-il encore résister à l’envahisseur anglophone ? La langue française, au fil des siècles à venir, va-t-elle devenir un idiome folklorique ? Charles Castonguay ne cache pas son inquiétude : « Le français tranquillement se réduit à une langue vernaculaire, ça risque de devenir comme en Louisiane, et dans les autres provinces canadiennes, un relent de l’histoire, un dépôt, un résidu, une sorte de langue résiduelle, qui n’a pas la vitalité pour assurer son avenir. Mais si on peut attirer de nouveaux locuteurs et que ces derniers adoptent le français au sein même de leurs foyers, alors on va pouvoir sauver la langue française ».

En Ontario, l'université de Sudbury bientôt 100% francophone ?


En Ontario, la province voisine du Québec et la plus grosse province du Canada, l’Université de Sudbury a récemment indiqué sa volonté de devenir un campus 100% francophone. L’Université de Subdury est fédérée à l’Université Laurentienne, qui, elle, est un établissement bilingue et qui éprouve actuellement de graves difficultés financières. Le recteur de l’Université de Subdury s’inquiète et craint que ces difficultés ne nuisent à l’enseignement en français dans son université.

« La seule façon de [conserver ces programmes en français] est une institution 100% francophone gérée par et pour les francophones » estime John Meehan, recteur de l’Université de Sudbury. Il veut donc unir son établissement à l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario pour qu’il devienne entièrement francophone, une proposition accueillie très favorablement par le président de cet organisme, Carol Jolin : «  Notre objectif c'est que les francophones de l'Ontario puissent faire tout leur cheminement scolaire dans leur langue de leur choix le français, la vitalité de nos communautés en dépendent  ». Cela dit, le gouvernement ontarien doit donner son aval à ce changement de statut de l’Université de Sudbury et ce n’est pas encore fait. C’est dans la région de Sudbury, dans le nord de l’Ontario, que vit l’une des plus importantes communautés francophones de la province.