Fil d'Ariane
Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a procédé vendredi 19 décembre à un vaste remaniement de son gouvernement, annonçant des changements pour un tiers des ministères. Tour d'horizon sur la pire crise politique de son mandat. Entretien avec Geneviève Tellier, chercheuse en études politiques et professeure à l'université d'Ottawa.
Les défections se multiplient au sein du Parti libéral canadien et le Premier ministre, Justin Trudeau, est en sursis. Empêtré dans une grave crise politique,
Doit-on s’attendre à une démission sous peu ?
Oui. On pense que cela pourrait avoir lieu début janvier, voire avant. En démissionnant, il devrait nommer quelqu’un pour le remplacer de façon temporaire. Ces élections devraient arriver très très rapidement. Notamment, car tous les autres partis de la Chambre ont manifesté leur volonté de renverser le gouvernement. Et le gouvernement est minoritaire…
Est-ce la fin du Parti libéral au pouvoir ?
Depuis septembre 2023, les sondages ont commencé à être très défavorables au gouvernement de M. Trudeau. Il a eu une chute de popularité qui s’est maintenue tout au long de l’année. Il ne s’est jamais vraiment relevé. Il y a 20 points d’écart entre le Parti libéral et le Parti conservateur. Malgré tous les efforts pour changer la stratégie de communication et l’image de son chef.
Et tandis que son parti perd la côte, les Conservateurs se renforcent…
D’un autre côté, l’arrivée de Pierre Marcel Poilievre à la tête du Parti conservateur a renforcé l’opposition. En changeant la stratégie de son propre parti, il a réussi à faire passer son message : que le problème au Canada est le coût de la vie. Et cela a été très efficace, les gens ont été très sensibles à son argument.
D’autres facteurs peuvent-il expliquer cette chute de popularité ?
Ce qu’on appelle « l’usure du pouvoir » a joué un rôle aussi. Après 9 ans, les gens se sont lassés de M. Trudeau et de ses promesses. « Grand parleur, petit faiseur ». Il est très bon pour lancer de grandes initiatives et aller dans des grandes envolées pour dire ce qu’il faudrait faire. Mais quand vient le temps d’agir, les choses ne sont pas si claires. Tout est laborieux et il peine à mettre en place sa politique.
Par exemple ?
Un exemple c’est le dossier de l’immigration. Il y a un an, le Président nous disait qu’il fallait accueillir plus de personnes au pays et qu’il était nécessaire d’ouvrir la frontière. Et ce, malgré les problèmes de logement, les problèmes d’accès aux services publics et même l’incapacité de son ministère de traiter les dossiers des demandeurs. Finalement, il y a peu XXXXS, le gouvernement a fait un virage de 180 degrés et a annoncé sa volonté de limiter le nombre de migrants et d’instaurer plus de restrictions. Cela illustre bien que le gouvernement prend trop de temps pour réagir aux différents évènements.
Le principal déclencheur, je dirais, c’est l’élection partielle qui a eu lieu en juin dernier. A ce moment, le Parti libéral a perdu une circonscription à Toronto qu’on appelle un « château fort » - car elle était acquise. Et ça a été la surprise. C’était le début de la fin.
Pourtant, il a longtemps incarné la modernité et le progressisme…
Et certains sont encore nostalgiques de cette période. Il est vrai qu’il y a eu un gros accomplissement de la part de M. Trudeau. Il est parvenu à nous présenter un nouveau parti libéral avec une nouvelle équipe. L’image d’un nouveau leader, jeune et plein d’idées pour aider les familles et défendre l’environnement a séduit son électorat.
Mais ce que M. Trudeau a oublié c’est que la jeunesse ne dure qu’un certain temps. C’est-à-dire qu’après quelques années au pouvoir, vous ne pouvez plus incarner la nouveauté de la jeunesse, vous incarnez autre chose. Et c’est cette « autre chose » qu’il n’a pas compris. Il n’a pas su s’adapter par la suite.
Et, surtout, maintenant ce n’est plus lui « le jeune ». Maintenant, le jeune c’est Pierre Marcel Poilievre. Il est plus jeune, il est sur les médias sociaux, il rejoint les jeunes, il a des messages simples et en phase avec la situation actuelle.
Alors, les gens, je pense, ont beaucoup aimé les factions des premières années du gouvernement Trudeau, notamment son premier mandat. Mais quand il a été réélu, il avait un gouvernement minoritaire et le personnage commençait déjà à faire grincer des dents. Son petit côté moralisateur déplaçait à certains et cela n’a certainement pas aidé pour la suite.
Et à l’international ?
Vous savez, sur la scène internationale, c’est la même chose. Avec un retardement. Au départ, il y avait un grand engouement et maintenant on entend ce discours selon lequel le Canada fait beaucoup de promesses et peu de d’actions sur le terrain.