Simplification administrative : pourquoi Emmanuel Macron invoque le modèle canadien

Lors de son discours jeudi 25 avril 2019, Emmanuel Macron a dévoilé une série de mesures pour répondre au mouvement des gilets jaunes. Pour faire face au sentiment d’abandon d’une partie de la population, et à son éloignement des services publics, le président français a annoncé son souhait de mettre en place, « dans chaque canton », une structure qui regrouperait plusieurs services publics. Un "France Service" à l’image de "Service Canada". Est-il possible d’importer ce système en France ?
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Un centre "Service Canada" à Iqaluit, dans le territoire du Nunavut.
© Capture d'écran Radio-Canada
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"Quand on regarde ce qui se fait ailleurs, les Canadiens sont toujours très inspirants." Emmanuel Macron n’y va pas par quatre chemins. Pour le président français, une partie de la résolution de la crise sociale que traverse la France depuis quatre mois passe par le Canada, ou plutôt par une agence publique créée en 2005, Service Canada.

"Je veux qu'on mette en place quelque chose qui ressemble un peu à ce qu'ils ont fait", déclarait Emmanuel Macron ce 25 avril, lors de sa conférence de presse. Cette agence "s'appellerait France Service", poursuit-il. "Dans chaque canton, en moyenne, on pourrait avoir un lieu où est regroupé l'accueil pour le public de services de l'État." Comme au Canada, et dans certaines provinces notamment le Québec.
 
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Service Canada

Service Canada a été créé en 2005. C’est un "guichet unique" avec 98 bureaux physiques, bilingues ou francophones, dans tout le pays. Seul 1 bureau ne propose ses services qu’en anglais.

Service Canada est aussi une agence virtuelle avec un portail web, et un numéro de téléphone unique. L’appel est gratuit, depuis le Canada et l’étranger. Le temps d’attente avant de parler à un fonctionnaire est indiqué, en temps réel, sur le site. Et si vous appelez le service, l’agent au bout du fil préfèrera "parent" aux termes "père" et "mère". Il a été demandé aux agents d’"utiliser un langage neutre au niveau du genre" en mars 2018.

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Un numéro, tous les services

"Service Canada" regroupe l’accès à tous les services de l’État au niveau fédéral, comme les prestations pour les familles, l’assurance-emploi, les retraites, l’immigration ou encore l’assurance sociale.
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Le site Internet de Service Canada
© Capture écran
 Ce système "très bien structuré (…) fonctionne extrêmement bien", indique Rémy Trudel, ancien ministre des relations avec les citoyens du Québec entre 2002 et 2003. Catherine François, correspondante de TV5MONDE à Montréal, résume Service Canada en ces termes : "simplicité, fonctionnalité et efficacité".

Avec Service Canada, les démarches administratives se sont simplifiées, en premier lieu, pour les citoyens ruraux. Auparavant, "il fallait se présenter dans un bureau pour obtenir son passeport", explique Rémy Trudel. Désormais, avec Service Canada, plus besoin de se déplacer.
Pour répondre au mieux aux besoins et attentes des citoyens, des sondages ont été réalisés avant la création de Service Canada. "Pendant un an, on a évalué le type de besoins des personnes vis-à-vis de l’État", se souvient l’ancien ministre.
 
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La clé du succès ? La formation du personnel. "Avant la création de Service Canada, les agents ont reçu une formation d'au moins deux ans", indique l’ancien ministre Rémy Trudel. Une formation, qui plus est, globale. "Un agent du ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, par exemple, est formé pour pouvoir répondre à toutes les demandes qui lui parviennent, pas seulement celles qui concernent son ministère", ajoute l’ex-ministre.

Avant la création de Service Canada, les agents ont reçu une formation d'au moins deux ans.

Rémy Trudel, ancien ministre des relations avec les citoyens du Québec

Autre clé du succès ? Le contact humain. "On peut toujours parler à quelqu’un à Service Canada." Et comme indiqué sur le site Internet, "notre système de réponse vocale interactif vous demandera dans quelle langue officielle vous souhaitez être servi et vous transmettra un bref message. Aucune sélection n’est requise, sauf pour la langue". Autrement dit, pas besoin de répondre à plusieurs questions d’un robot, avant d’avoir accès à un agent, une seule suffit.

Résultat ? Quatorze ans après la mise en place de Service Canada, l’ancien ministre Rémy Trudel n’émet qu’une seule réserve : "le manque de connexions entre Service Canada et les provinces". Une tâche compliquée car il faudrait que "tous les agents soient formés à tous les services des provinces, et des municipalités", observe Rémy Trudel.

Et l'ancien haut-fonctionnaire de prendre l’exemple de l’émigration au Québec. "Pour émigrer dans cette province, il faut d'abord un certificat de sélection du Québec (CSQ). Mais les agents du gouvernement fédéral ne sont pas toujours au courant de cette mesure-là."

Déclinaison au niveau provincial

La formule Canada Service a été déclinée au niveau provincial. Le Québec s’est doté d’un service identique, pour les questions qui relèvent de sa compétence, comme le renouvellement de son permis de conduire, ou de sa carte d’assurance maladie.
 
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Capture d'écran du site Services Québec
© TV5MONDE

"J’ai renouvelé la carte d’assurance maladie de ma fille, très simplement, par la Poste", indique Catherine François, correspondante de TV5MONDE à Montréal. "C’est beaucoup plus simple et efficace ici qu’en France."

 

J’ai renouvelé la carte d’assurance maladie de ma fille, très simplement, par la Poste.

Catherine François, correspondante de TV5MONDE à Montréal

Importer le modèle canadien en France ?

Service Canada, un exemple pour réconcilier les Français avec les services publics ? Emmanuel Macron déplorait, lors de son discours jeudi 25 avril, le caractère "illisible" des services publics français : "c'est devenu illisible quand ils [les citoyens] ont un problème pour savoir s'il faut aller à la CAF, à Pôle emploi, à la préfecture, à la mairie ou à la Mission locale."

Alors, importer le modèle canadien, est-ce possible ? Pour l’instant, l’exécutif français n’a pas précisé s’il comptait développer un "guichet unique" de "France Service" en ouvrant des bureaux, ou en le développant aussi sur Internet.

Peu de précisions sur les modalités d’application donc, ce qui inquiète la CFDT, le syndicat majoritaire de la fonction publique. "Quel statut pour le personnel de France Service ?", s'interroge Mylène Jacquot, la secrétaire générale de la CFDT Fonctions Publiques, pour qui cette annonce n’en demeure pas moins "une bonne idée". "Mais on ne veut ni renoncer au statut de fonctionnaire pour rejoindre l’agence France Service, ni fermer des bureaux pour en ouvrir d’autres", tempère Mylène Jacquot.

Quel statut pour le personnel de "France Service" ?

Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonctions Publiques

L’association Familles rurales accueille positivement cette annonce. "Nous avions constaté ce sentiment d’abandon des Français depuis longtemps",  souligne Jean-Baptiste Baud, responsable des relations institutionnelles de Familles Rurales.
D’après une étude IFOP, commandée par l’association en octobre 2018, "57% des ruraux estiment que leur commune ne bénéficie pas de l’action des pouvoirs publics, contre une moyenne de 36% parmi les Français".
La proposition de créer des guichets uniques partout en France, dans les lieux isolés, "satisfait" Jean-Baptiste Baud, mais "cela ne suffira pas".
"Il faut que cette démarche s’inscrive dans une logique plus globale et audacieuse, (…) et inclue un accompagnement numérique", indique Jean-Baptiste Baud.
 

57% des ruraux estiment que leur commune ne bénéficie pas de l’action des pouvoirs publics, contre une moyenne de 36% parmi les Français.

Extrait de l'étude IFOP commandée par l'association Familles rurales, octobre 2018

Pour pallier ce sentiment d’abandon, "on a commencé à développer ces maisons de service au public", annonçait Emmanuel Macron jeudi 25 avril. Les maisons de service au public existent en France depuis 2015. A l’été 2018, elles étaient 1281, comme indiqué sur le site Internet. Ces institutions regroupent plusieurs services de l’État, et proposent, dans certains cas, d’accompagner les usagers dans leurs démarches administratives.

La volonté de simplifier la relation entre le citoyen et les organismes de l’État, à l’image du Canada, permettrait-elle de mieux protéger les citoyens ? C’est en tout cas ce que pense le président Macron, qui indiquait jeudi : "La simplicité, c'est la vraie protection. La vraie protection,  c'est le vrai service au public".