SNCF: "une société qui joue sur deux tableaux!"

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©AP Photo/Laurent Emmanuel
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 La SNCF a été condamnée pour discrimination dans le dossier des cheminots marocains, les « chibanis ».  Cette condamnation va-t-elle marquer un nouveau tournant et peut-être lever le voile sur la gestion « à la française » de cette entreprise au statut si particulier? Entretien avec Alain Lipietz (ancien député vert européen, auteur de « La SNCF et la Shoah » édition Les petits matins).

Au printemps dernier, de nouvelles plaintes ont été déposées par des anciens déportés juifs aux Etats-Unis contre la SNCF, cela veut-il dire que d’autres actions en justice sont possibles ?
 

Alain Lipietz
Alain Lipietz, homme politique et économiste français, membre du parti Europe Ecologie Les Verts.

Oui, mais pas en France. La SNCF joue sur deux tableaux : on ne sait pas s’il s’agit d’un service public ou d’une simple entreprise commerciale. Aux Etats-Unis, elle s’appuie sur le fait qu’elle est un morceau de l’Etat français, or, les Etats-Unis ne poursuivent pas un Etat, c’est la clause de souveraineté. C’est pour cette raison que les juifs américains ont adopté une autre tactique, qui marche assez bien, le boycott. A chaque fois, qu’il y a des menaces de boycott commercial sur la SNCF, celle-ci passe des compromis.
En France,  la SNCF a fait appel, et a gagné non pas sur le fond mais sur ce qu’on appelle la compétence. Elle a obtenu du Conseil d’Etat de reconnaître qu’elle n’était pas un service public, mais une entreprise commerciale comme une autre et donc qu’on ne peut plus poursuivre auprès d’un tribunal administratif mais auprès d’un tribunal commercial ou civil ordinaire. Résultat, on ne peut pratiquement plus rien faire contre la SNCF en France, elle a gagné sur tous les tableaux. C’est la stratégie de la chauve souris, je suis souris voyez mes poils, je suis oiseau voyez mes ailes…
Mais cela s’est déjà retourné contre elle. En 2006 , elle a été condamnée en France (à Toulouse) à payer 5000 euros par déportés (plus 10 000 euros par l’Etat NDLR). Aux Etats-Unis, face à la menace de boycott, elle a été obligée de passer en décembre 2014 un accord pour payer 100 000 dollars par déporté ! Et c’est l’Etat français qui paye !
 
La SNCF reconnue responsable de discrimination dans le dossier des « chibanis marocains », peut-on y voir un pas vers la fin de l’opacité de gestion de cette entreprise?
 
Je suis pour une réforme qui en ferait une vraie entreprise publique, cela voudrait dire qu’elle abandonne cette méthode de gestion qui la caractérise, que le dossier des « chibanis » illustre bien. Cela remonte à très loin, à la création même de la SNCF en 1937, il s'agissait alors d'une fusion de ce qu’on appellait les « Barons du rail », autrement dit les représentants du grand capitalisme français de l’époque. Pendant la seconde guerre mondiale, ils étaient toujours là, ils détenaient toujours 50% du conseil d’administration. Du point de vue patronal, il s’agit d’une entreprise patronale « farouche », et du point de vue des syndicalistes et des usagers, c’est au contraire le modèle du service public à la française, au service de la population, ce qu’elle est partiellement ! Et pourtant, on a toujours cette réaction de surprise, « mais comment se fait-il qu’une entreprise comme celle-là ferme des lignes secondaires, traite ainsi ses ouvriers qu’elle a fait venir du Maroc, et qu’elle ait pu traiter les juifs comme elle l’a fait ? », mais quand on regarde un peu l’histoire de toute la SNCF, cela a toujours été comme ça ! .

Concernant le procès sur le dossier des "chibanis", la SNCF a un mois pour contester les jugements après leur notification, prévue fin octobre. "On se laisse le temps de l'analyse avant de faire éventuellement appel" a réagi auprès de l'AFP lundi 21 septembre, un porte-parole du groupe.

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