Société : les “pics de la honte“ font polémique à Londres et Montréal
Des pics en fer pour chasser les sans abris... A Londres et Montréal, ces installations mises en place par des particuliers ou des commerçants indignent l'opinion publique. Les maires des villes concernées ont fait savoir leur mécontentement en demandant que ces pics soient retirés immédiatement. Ces méthodes d'exclusion ne sont pas nouvelles mais poussent de plus en plus dans le paysage urbain.
Les pics anti-sdf agitent la toile depuis ce weekend. Vus à Montréal et à Londres, ils indignent les internautes du monde entier. Ce sont ces photos (voir ci-dessous) prises par un habitant britannique et mises sur Twitter qui ont déclenché la polémique. On y voit des sortes de gros clous pyramidaux enfoncés dans le ciment à même le sol. Le but ? Empêcher que les sans abris puissent dormir ou s’asseoir à cet endroit.
Une pétition en ligne réclamant leur retrait a aussitôt été initiée et adressée au maire de Londres, Boris Johnson ainsi qu’au propriétaire de l’immeuble. Elle a déjà recueilli plus de 90 000 signatures. Le maire n’a pas tardé à réagir à cet appel en exigeant que ces installations soient retirées.
La classe politique britannique a également réagit. Le ministre du logement, Kris Hokins a qualifié l’initiative de « déplorable et profondément dérangeante ». De son côté, Jacqui McCluskey, la directrice de communication de l’association Homeless Link, a déclaré : « cette approche est non seulement inhumaine mais elle ne fait rien pour lutter contre les causes qui mènent aux sans-abris, en se contentant de refiler le problème à d’autres ». A Montréal, même indignation de la population. Devant la vitrine du magasin Archambault, au coin des rues Berri et Ste-Catherine, en plein centre-ville de la métropole québécoise, des pics étaient installés, avant d’être enlevés sur demande du maire de la ville, Denis Coderre.
« C’est une mesure de plus prise par un commerçant pour éloigner les itinérants de son magasin mais elle est particulièrement disgracieuse et elle nous a frappé ces derniers jours » commente Serge Lareault, le directeur du groupe l’Itinéraire, un organisme montréalais qui vient en aide aux itinérants. Serge Lareault précise que plusieurs commerces du centre-ville ont installé des grillages ou toutes sortes d’autres installations pour limiter l’accès aux portes et vitrines de leurs bâtiments aux itinérants. Et il dit qu’il peut les comprendre : « Comme il n’y a pas de réelle politique à Montréal en matière d’itinérance, les commerçant sont un peu laissés à eux-mêmes. Ceci dit, ces pics ne sont peut-être pas ce qu’il y a de plus esthétique et surtout pas une solution au problème d’itinérance ». La conseillère municipale de l’arrondissement de Montréal où étaient érigés ces pics estime de son côté qu’« il est inadmissible d’utiliser de telles techniques » et elle promet que le sujet sera abordé au Conseil municipal pour éviter que d’autres pics ne poussent dans la ville. Pierre Lareault sent de son côté une certaine exaspération chez de nombreux Montréalais concernant les problèmes d’itinérance, mais de-là à encourager l’installation de ces pics ! Par contre, rien ne peut empêcher un commerce d’en mettre sur son terrain privé. On estime que la ville de Montréal compte entre 25 000 et 30 000 itinérants.
Devant le magasin Archambault à Montréal : avant et après que les pics soient retirés. Crédit photo : Catherine François
Mais il n’y a pas qu’à Londres et Montréal que ces pics anti-sdf existent. Sur Twitter, certains rappellent qu’à Paris aussi ce phénomène est bien présent. En 2012, le Daily mail publiait également un article concernant une étendue de pics en dessous d’un pont en Chine.
Mobilier urbain particulier Des bancs séparés par des accoudoirs, des bancs en hauteur, des barrières en métal, des plots en ciment… de nombreuses installations anti-sdf sont visibles dans les grandes villes. Le Survival Group recense les « excroissances urbaines anti-sdf ». Arnaud Elfort et Guillaume Schaller sont les photographes. Dans plusieurs villes du monde, ils prennent des clichés de tous les dispositifs mis en place par les villes pour empêcher les sdf d’occuper certains lieux. Ce sujet a d’ailleurs fait l’objet d’un reportage sur Arte.
Capture d'écran de la page Flickr de Survival Group
Ras-le-bol ? Que traduisent toutes ces initiatives contre les sans abris ? Une partie de la population évoque un certain ras-le-bol. Sur le site du Devoir, plusieurs commentaires traduisent cet épuisement. "Les beaux discours de grand coeur c'est bien intéressant en théorie, mais dans le monde réel c'est une toute autre chose" peut-on lire. Un individu évoque sa propre expérience. Il aurait laissé s'installer plusieurs sdf à l'entrée de son immeuble mais "quelque jours après, ca commençait à insulter les locataires et à se bagarrer. Ils ont brisé une des portes et la police a du intervenir". Avant d'ajouter : "C'est souvent stressant et ça peut être épeurant, il peut arriver n'importe quoi, plusieurs sont violent et imprévisible". Autorités, particuliers, commerçants...tous usent de stratégies plus ou moins ingénieuses pour faire fuir les sans abris. En 2007, le maire d'Argenteuil, en banlieue parisienne, avait carrément décidé d'utiliser du produit répulsif pour éloigner les sdf du centre-ville. L'initiative avait provoqué une vive polémique mais le maire avait finalement renoncé au projet. En France, plus de 3,5 millions de personnes sont sans domiciles ou logés dans des conditions extrêmement difficiles. Au Canada, selon une étude nationale reprise par Radio Canada, il y aurait environ 30 000 personnes sans abri chaque nuit dans le pays. Côté Royaume-Uni, "le nombre de personnes dormant dans la rue a augmenté de 37 %" écrit Katharine Sacks-Jones, membre de l'ONG britannique "Crisis", dans le journal The Independent. Si certains essaient de repousser la misère et la réalité loin de chez eux, les chiffres eux sont bel et bien réels. Rien ne peut les camoufler.