Suite de l'article de Xu Tiebing, Professeur et chercheur au Centre des Relations internationales à l'Université des Communications de Beijing
Verticalement, mise en perspective à l’avancée du monde, le résultat de la comparaison est plus nuancé, et surtout problématique, même si un constat est établi : dans la logique Est-Ouest, l’objectif chinois du rattrapage continue à se concrétiser. L’utopie a été évacuée, et le rythme s’accélère surtout depuis 1978 ; les chiffres inscrits sur le papier (croissance de la population, ampleur territoriale, etc) commencent à se transformer en puissance effective. Cela dit, c’est le moment de penser et de réfléchir à la capacité sinon au génie de la Chine, à créer et innover des valeurs, si l’on ne veut (et on ne doit pas) plus demeurer toujours juste à l’état de Bon Elève, avec ce souhait collectif de gloire et de reconnaissance, et cet habituel pragmatisme parfois trop utilitaire. De tous les anciens frères de conviction, la Chine est peut-être l’un des mieux sortis du cadre marxiste-leniniste-staliniste si codifié et standardisé, grâce à un processus hybride, plus ou moins bien maîtrisé. Sans avoir entamé une rupture avec le passé politique, la Chine brille, mais aussi se limite, par ce choix de continuité ajustée et corrigée sans cesse - qui nous réserve sans doute une surprise dans cet état de non achèvement. Plus largement, replacée vers le Sud et le développement des pays émergents, la Chine dans sa dimension colossale, se dresse et réussit tout de même à prendre une place de pionnière ; surtout si l’on regarde le prétendu résultat de l’El Dorado si souvent annoncé en Amérique latine, le rêve africain tant attendu, et le miracle asiatique constamment évoqué. Dans un pays comme la Chine partie de si loin, avec son milliard trois cent mille habitants, le progrès, les réalisations effectives accomplies en 60 ans, sont là, sous nos yeux et sous nos pieds, d’où sa signification d’exception à l’échelle du Monde. Ce bilan fait, il faut tout de même placer la réussite chinoise dans un cadre de modernisation classique, c’est-à-dire, dans un modèle d’industrialisation traditionnelle, avec le PIB au centre de ses préoccupations majeures, alors que l’entrée dans l’âge de la mondialisation, nous oblige à remodeler nos façons de penser et d’agir. C’est justement sur ce point que la Chine est fort probablement moins préparée psychologiquement et spirituellement dans sa totalité et dans son essence. Et cela pèsera plus lourd sur notre futur que les défaillances matérielles et chiffrées. Malgré les statistiques, les prévisions et les diagrammes mirobolants, à mes yeux demeurent deux défis que la Chine du futur devra relever : 1) Le remodelage socio-sociétal : le rapport État (personnalisé en Parti)-société, avec la guérison des cicatrices du passé, un rôle constructif d’acteurs plus autonomes, la régulation de la société civile, mais aussi la maîtrise de ses zones grises, grâce à une bonne gouvernance au quotidien, menée à un rythme adéquat, et sans glisser dans le cercle vicieux de la violence destructive. Bref, une société civile, civique et au mieux citoyenne reste à bâtir. 2) A demi consciente, la Chine est plus internationalisée et « transnationalisée », surtout dans sa dimension économique et financière, qu’elle ne le voudrait. Brusquement promue au sein du cercle des décideurs politiques, elle reste étatisée, et moins globalisée en termes de courants d’idées ou d’idéaux, de prise de conscience, de mobilisation et de participation publique, que ses pairs. Dans cette nouvelle longue Marche planétaire vers une gouvernance globale, le multilatéralisme engendrera la fin partielle du monopole étatique et l’acceptation de plusieurs acteurs dans le jeu global, ainsi que l’inévitable compromis entre les intérêts de l’État et les nécessités internationales. Dans ce basculement du monde, la Chine fait une fois plus son apprentissage, tout comme d’autres, mais d’une autre façon, et le poursuivra…