Sommet Canada-Mexique- États-Unis : les "trois amigos" reprennent le dialogue

La rencontre, ce 18 novembre à Washington, entre Joe Biden, Justin Trudeau et Manuel Lopez Obrador, le président du Mexique, va se faire sous le signe de la reprise du dialogue. Sous la présidence de Donald Trump, ces rencontres tripartites avaient été mises de côté. L’ex-président américain n’y voyant aucun intérêt. Le dernier sommet du genre remonte à juin 2016, il s’était tenu à Ottawa et Barack Obama était encore président. Quels seront les sujets au menu des trois dirigeants politiques ?
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BIDEN TRUDEAU
Joe Biden ce 23 février 2021 s'entretient par visio conférence avec Justin Trudeau.
AP Photo/Evan Vucci
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Cette rencontre des « trois amigos », comme on les surnomme, va être l’occasion d’aborder plusieurs sujets d’importance entre les trois pays liés par un accord de libre-échange depuis plus de 25 ans, accord qui vient justement d’être renégocié. La question du protectionnisme américain sera au centre des discussions, mais on va aussi parler de la sortie de la crise sanitaire, des questions migratoires et de sécurité aux frontières, et de la lutte contre les changements climatiques. 

MEXIQUE PRESIDENT
Le président du Mexique Manuel Lopez Obrador participera au sommet du 18 novembre entre les trois pays de l'ALENA.
AP

Pour le premier ministre canadien, Justin Trudeau ce sommet est la suite logique des rencontres internationales qu’il vient de faire, le G20 à Rome  la COP26 à Glasgow.
« Nos pays sont déterminés à offrir un avenir meilleur à nos populations. Nous comptons notamment créer plus d’emplois pour la classe moyenne, bâtir une économie plus propre, lutter contre les changements climatiques, la migration, et finir le combat contre la COVID-19 » a ainsi déclaré Justin Trudeau.
 


Biden veut lancer le signal que la diplomatie est de retour, qu’il y aura des rencontres régulières entre les trois leaders
Frédérick Gagnon, directeur de l'observatoire sur les États-Unis à l'université de Montreal

Sur la crise sanitaire, la frontière terrestre est rouverte dans les deux sens entre le Canada et les États-Unis après plus de 20 mois de fermeture, pandémie oblige. On peut donc circuler de nouveau librement entre les deux pays, mais le Canada continue de réclamer la présentation d’un test PCR négatif à quiconque rentre sur son territoire, ce qui irrite les Américains mais aussi beaucoup de Canadiens pleinement vaccinés qui veulent circuler librement entre les deux pays.

Cette question sera assurément abordée lors de ce sommet. Le dossier de la sécurité aux frontières et l’afflux de migrants sera abordé entre le Mexique et les États-Unis.

« Biden veut lancer le signal que la diplomatie est de retour, qu’il y aura des rencontres régulières entre les trois leaders, mais au-delà de la symbolique, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de dossiers épineux entre eux » estime Frédérick Gagnon, Titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand, directeur de l'Observatoire sur les États-Unis et de l'Observatoire des conflits multidimensionnels et professeur au département de science politique de l'Université du Québec à Montréal.

Des conflits commerciaux persistent encore entre le Canada et les États-Unis
Les quatre années de la présidence Trump ont en effet mis à mal les relations entre les États-Unis et le Canada. Donald Trump ne ratait pas une seule occasion d’écorcher publiquement Justin Trudeau, sans oublier le fiasco du sommet du G8 dans Charlevoix en 2017. Le président américain s’était retiré du communiqué final peu de temps après l’avoir signé.

Retour d'une certaine normalité diplomatique sous Biden

L’arrivée au pouvoir de Joe Biden a-t-elle ramené une certaine normalité dans les relations entre les deux voisins qui s’échangent chaque jour plus de 2,5 milliards de dollars de marchandises à leurs frontières ?  

Sur la forme, oui, sans l’ombre d’un doute, avec le retour d’un ton diplomatique respectueux et convivial du côté de Washington. Mais sur le fond, les conflits commerciaux ne manquent pas. Ill y a les conflits liés au commerce du bois d’œuvre et des produits laitiers qui continuent d’empoisonner les relations entre les deux pays.

« Mais ce ne sont pas les principaux sujets qui seront abordés lors de cette rencontre » précise Frédérick Gagnon. "Il y a la question du « Buy American, Buy America » dans les projets de relance économique de Joe Biden, des mesures pour réserver les investissements aux entreprises américaines", estime le chercheur.

"Et il y a un dossier en ce moment qui fait beaucoup parler, c’est celui des crédits d’impôt que le gouvernement américain veut offrir aux ménages américains s’ils achètent des voitures électriques produites aux États-Unis. Le gouvernement canadien craint les effets de ces mesures sur l’industrie automobile canadienne, qui est concentrée en Ontario. Mr Trudeau va certainement dire à Joe Biden que cela remet en question la relation économique entre le Canada et les États-Unis, que cela va à l’encontre de l’esprit du nouvel accord de libre-échange qui lie les deux pays », précise Frédérick Gagnon.

Réouverture de la frontière terrestre entre les États-Unis et le Canada
 

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Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce sont des considérations électorales qui guident actuellement le président américain dans ses relations avec le Canada. Ces mesures de « Buy American », qui excluent les entreprises canadiennes des investissements dans les infrastructures pour relancer l’économie américaine, sont mises en place pour satisfaire une partie de l’électorat américain, notamment celui du Michigan, État clé dans toute élection chez nos voisins du sud.

Joe Biden et son administration sont dans le creux de la vague en ce moment au niveau de leur popularité et les élections de mi-mandat se profilent dans un horizon proche : le président américain met donc en place des mesures pour protéger les intérêts des Américains, même si cela provoque des disputes commerciales avec le Canada.

« La politique de Biden sur les autos électriques est donc essentiellement guidée par ces considérations électorales, souligne Frédérick Gagnon. Mais le Canada a une carte dans son jeu dans ce domaine, car nous avons ici des réserves importantes de ce que l’on appelle les « minéraux critiques » utilisés pour les batteries dans les autos électriques. Donc Justin Trudeau va faire valoir auprès de Joe Biden que les Américains auront intérêt à s’approvisionner auprès du Canada pour ces matériaux versus d’autres pays comme la Chine. Donc ce serait du donnant-donnant et le premier ministre canadien va commencer à insister davantage sur cette idée que nuire au Canada dans un secteur peut se retourner contre les États-Unis car le Canada peut aussi mettre en place des mesures protectionnistes sur des matériaux dont les Américains ont besoin pour faire leur révolution verte », précise le chercheur.

La question de l'oléoduc


L’autre dossier qui sera abordé dans le domaine énergétique, c’est celui d’un oléoduc canadien qui achemine du pétrole et du gaz liquide de l’ouest vers l’est du Canada, mais qui traverse la région des Grands Lacs américains, dont l’État du Michigan, et qui fait l’objet d’un litige judiciaire. L’administration Biden ne s’est pas encore prononcée pour ou contre cet oléoduc mais là encore, des considérations électorales pourraient bien faire pencher la balance en défaveur de cet oléoduc canadien.
 

Poursuite du protectionnisme américain sous Joe Biden


Le protectionnisme américain se poursuit donc sous l’administration Biden, à un point tel que plusieurs voix s’élèvent à Ottawa pour que le gouvernement Trudeau réactive « Équipe Canada », cette équipe mise en place en 2017 lors de la négociation avec les Américains pour renouveler l’ALENA et qui était composée d’anciens diplomates, de premiers ministres de provinces, de maires, de gens d’affaires et même de députés de l’opposition.

Cette « Équipe Canada » avait alors fait un travail important en coulisses en allant notamment chercher des alliés américains au sein du Congrès, dans les États et les villes aux États-Unis : elle avait ainsi rencontré plus de 300 politiciens américains en six mois. Mais elle a été dissoute une fois terminées les négociations de ce nouvel accord de libre-échange, l’ACEUM.

En entrevue à Radio-Canada, l’ex-ambassadeur du Canada aux États-Unis et au Mexique, Raymond Chrétien, voit d’un bon œil la possible remise en selle de cette Équipe Canada : « Il y a eu une espèce de relâchement dans le maintien des relations américaines depuis l’élection de Biden en 2020. Justin Trudeau et Mme Freeland ont appris de leur leçon, et on pourrait revoir ce genre de coalition Équipe Canada se remettre en place. Peut-être même en incluant les Mexicains, qui souffrent eux aussi du protectionnisme américain ».

Le Canada ne fait pas partie des priorités de l’administration Biden


« Ce que l’on constate aussi, fait valoir Frédérick Gagnon, c’est que les Américains ont pris, sous l’administration Biden, plusieurs décisions sans consultation avec le Canada, comme cette alliance de sécurité entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie pour contenir l’emprise des Chinois sur la scène internationale. Alors oui, on va entendre des belles paroles lors de ce sommet, de beaux engagements, mais le Canada doit rester vigilant et ne pas tenir cette relation avec les États-Unis pour acquise ».
 

Les Américains ont pris, sous l’administration Biden, plusieurs décisions sans consultation avec le CanadaFrédérick Gagnon, directeur de l'observatoire sur les  États-Unis à l'université de Montreal

Bref, oui, le ton est plus cordial, respectueux, et les canaux de communication sont rouverts entre Ottawa et Washington. Mais clairement, le Canada ne fait pas partie des priorités de l’administration Biden, qui a beaucoup d’autres chats à fouetter sur le plan intérieur et qui n’hésite pas à prendre des décisions d’ordre économique et commercial qui peuvent nuire aux intérêts du Canada à des fins électoralistes.

« Le défi, pour les Canadiens, c’est de démontrer clairement comment le Canada peut être utile aux projets du président Biden sans nuire à l’avenir électoral du Parti Démocrate et celui de Joe Biden » conclut Frédérick Gagnon qui estime qu’en effet, il serait pertinent, dans les circonstances, de remettre en service cette fameuse Équipe Canada.