Fil d'Ariane
Ce weekend, une trentaine de dirigeants de pays se réunissent à Djerba, en Tunisie, pour le 18ème Sommet de la Francophonie. Un rassemblement où l’accent sera, en particulier, mis sur l’économie. Un domaine dans lequel la coopération francophone pèche. Qu'est ce que la Francophonie économique ?
La Francophonie s’est souvent distinguée comme un ensemble avant tout culturel. Cependant, à la manière du Commonwealth, qui ne se limite pas à un ensemble culturel ou encore linguistique, mais se constitue aussi comme un club d’affaires, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) a décidé d’intervenir dans le domaine économique. Un initiative qui a vu le jour à l'occasion du Sommet organisé à Dakar en 2014.
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La secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwago, a ainsi appelé à mettre en œuvre des actions d’envergure visant à développer l’environnement des affaires dans l’espace économique francophone. La langue française constitue d'ailleurs un très bon point de départ, puisqu'elle est la 3ème langue des affaires sur la planète.
Si l'on s'en tient aux dernières statistiques, on constate que les pays membres de l’organisation représentent 14 % de la population mondiale, 16 % du PIB, près de 14 % des ressources minières et énergétiques, et 20 % du commerce des marchandises.
Les pays de l’espace francophone disposent de nombreux atouts : certains ont des ressources naturelles abondantes, d’autres sont connus pour leurs avancées technologiques ou encore scientifiques.
Un espace amené à évoluer et à croître dans les prochaines décennies, puisque le chiffre de 321 millions de francophones actuels risque de doubler d’ici 2050, essentiellement en raison de la démographie sur le continent africain.
Pourtant, selon un rapport de l'Observatoire de la francophonie économique, le Canada a un retard considérable en matière d’échanges commerciaux avec l’Afrique en général et avec l’Afrique francophone en particulier. Le pays réalise à peine 2 % de ses échanges commerciaux avec toute l’Afrique. La France, elle, en réalise environ 5 %.
Si l'on s'attarde sur l'Afrique francophone, les chiffres sont encore plus bas. Le Canada y réalise environ 0,5 % de ses échanges pendant que la France y réalise un peu moins de 4 % de ses échanges.
Un résultat surprenant étant donné que le Canada a un degré d’ouverture commercial plus important que celui de la France et a plus de langues en commun (le français et anglais) avec les pays africains.
Selon l'Observatoire, le potentiel commercial inexploité du Canada avec l'Afrique est d'environ 381 milliards de dollars à l'exportation et 137 milliards de dollars а l'importation par an.
Du côté de l'hexagone, selon le ministère de l'Économie et des finances, 2021 a été marquée par une hausse des échanges entre la France et l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) de 10% par rapport à 2020, à hauteur de 4,6 milliards d'euros. Les exportations françaises vers les pays de la zone ont progressé de 10,8%. Néanmoins, les chiffres sont encore très éloignes de ceux des exportations françaises vers l’Afrique du Nord (13,3 milliards d'euros). De quoi laisser entrevoir une certaine marge de progression.
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Au vu de ces données, de son histoire et sa langue, la francophonie constitue potentiellement un espace de relations économiques et commerciales immense.
Si la prise de conscience du poids de l’espace économique francophone est réelle, ces dernières années notamment, les patronats francophones disposent d’un réseau structuré seulement depuis mars dernier et le lancement de l’Alliance des patronats francophones, regroupant 27 organisations patronales des différents pays membres.
Le président de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, Francis Drouin, déplorait sur notre antenne, qu’il "n’est pas encore acquis que les pays francophones et francophiles fonctionnent en écosystème".
C’est aussi la vocation de ce Sommet de la francophonie en Tunisie : créer un électrochoc afin de sortir de cette dynamique qui fait de la francophonie, un atout économique sous-exploité.
Pour cela, l’OIF attend du secteur privé qu’il soit à l’initiative d’une dynamique de coopérations.
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Difficile de parler de francophonie sans parler de l’Afrique. Il est nécessaire selon l'OIF de repenser les relations économiques entre l’Europe et l’Afrique. S’affranchir des dynamiques mises en place après les différentes décolonisations, en imaginant de nouveaux mécanismes, où la coopération constitue le coeur de l'action.
Pour cela, il est inévitable de réduire la fracture numérique entre le Nord et le Sud. Il faut que l’accès au numérique soit généralisé sur le continent africain, selon Jean-Lou Blachier, président du Groupement du patronat francophone.
Selon lui "il faut aider les individus, dans les pays émergents, à créer leur entreprise, à les faire émerger, afin qu’ils puissent bénéficier d’un emploi".
Il est également important que sur le plan sociétal, certaines avancées accompagnent le développement de l'économie, notamment sur le continent africain. La place des femmes et leur égale liberté d'accès au travail sont primordiales. Les nier ou les priver de telles opportunités, c'est aussi se priver d'un potentiel immense sur le plan économique.
Le défi est donc important. Peut-être que Djerba sera le lieu où cet espace économique de la francophonie cessera d’être un serpent de mer.