Sommet de la Francophonie : où en est l'usage du français dans le monde ?

Le français est aujourd’hui parlé par 321 millions de personnes. En quatre ans, la langue française a gagné 21 millions de nouveaux locuteurs. Pourtant l’anglais continue de grignoter du terrain. Où en est l'usage du français dans le monde ?
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Francophonie : entre avancées et défis, la langue française à travers le monde
©Organisation internationale de la Francophonie
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Saviez-vous que, contrairement à ce que l'on pourrait croire en France, le terme "station-service" n'est pas le seul à définir un poste d'essence ? En effet, le Québec et plusieurs pays d'Afrique francophone lui préfère celui "d'essencerie", un terme d'origine sénégalaise. Cet exemple, loin d'être isolé, témoigne de la richesse et de la pluralité de la langue française qui s'exprime aujourd'hui sur les 5 continents de notre planète. Avec 321 millions de locuteurs, le français est de plus en plus parlé dans le monde et surtout sur le continent africain. Tour d'horizon de la Francophonie.

Le continent africain, "avenir de la langue française" ?

Dans tous ses rapports l’Organisation internationale de la francophonie distingue "une francophonie du quotidien", (qu’elle place au sein de la planète "Naître et/ou vivre aussi en français") de celle "qui s’exprime dans des environnements où le français est exclusivement une langue étrangère".

Planète francophone

Ainsi, selon l’OIF, les 36 pays de la planète "Naître et/ou vivre aussi en français" - où la langue est utilisée au quotidien - "concentrent à eux seuls près de 80 % des francophones du monde". Ils constituent donc "un ensemble déterminant pour l’avenir de la langue française".

 

Plus de 19 millions des "nouveaux francophones" résident dans cet espace dont la composante principale est africaine.

Mais c’est surtout sur le continent africain "que se joue l’avenir de la langue française". En effet, la croissance du nombre de francophones du quotidien est légèrement supérieure à celle enregistrée sur l'ensemble du monde, "mais elle représente surtout à elle seule 95 % de l’augmentation constatée". En d'autres chiffres, "plus de 19 millions des "nouveaux francophones" résident dans cet espace dont la composante principale est africaine".

Répartition locuteurs francophones dans le monde
©Gallimard/Organisation internationale de la Francophonie – "La langue française dans le monde", édition 2022. 

Depuis 2018, le continent africain a gagné 2,5 points de pourcentage. Il confirme ainsi "sa place centrale dans la francophonie quotidienne et la dynamique qui le distingue des autres espaces". Cette croissance sur le continent est par ailleurs particulièrement due à l’Afrique subsaharienne dont les pays représentent "plus de 80% de la croissance francophone de cet espace".


Alors que le nombre de locuteurs quotidiens du français a progressé de 8% entre 2018 et 2022, il a bondi de plus de 15% dans l’ensemble Afrique subsaharienne-océan Indien. 

Quels sont les 36 pays de la planète de la francophonie "du quotidien" ?

 

Algérie, Andorre, Belgique (dont la fédération Wallonie-Bruxelles), Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Canada (dont Canada-Nouveau-Brunswick, Canada- Ontario et Canada-Québec), Comores, Congo, Congo (République démocratique du), Côte d’Ivoire, Djibouti, France (et ses territoires ultramarins), Gabon, Guinée, Guinée équatoriale, Haïti, Liban, Luxembourg, Madagascar, Mali, Maroc, Maurice, Mauritanie, Monaco, Niger, République centrafricaine, Rwanda, Sénégal, Seychelles, Suisse, Tchad, Togo, Tunisie, Vanuatu

Si le français a crû de 7% depuis 2018, sa croissance est plus lente que sur la période 2014-2018 (sa croissance était alors de 10%, ndlr).

Selon l'Organisation internationale de la Francophonie, il convient "face à cette évolution positive (...) de relever deux chosesla progression est partout légèrement inférieure à celle constatée entre 2014 et 2018 et elle masque des disparités certaines entre les pays".

La différence serait ainsi d'un point de pourcentage en Europe et en Océanie, de deux points dans les Amériques et en Afrique subsaharienne-océan indien. Enfin la différence serait de 10 points au Maghreb-Moyen-Orient.

Francophones dans le monde
La densité francophone dans le monde en 2022.
©Source : Gallimard/Organisation internationale de la Francophonie – "La langue française dans le monde", édition 2022. 

 Sur ce volet, l'Organisation internationale de la Francophonie conclut : "La langue française maintient sa présence, mais elle ne paraît pas creuser son avance. Si, sur le long terme, la part des francophones croît indéniablement, on doit constater qu’elle semble avoir atteint, certes assez rapidement (en une vingtaine d’années) une sorte de seuil. Partant de très bas, car, faut-il le rappeler, la période coloniale n’a que très faiblement contribué à la diffusion de la langue française parmi la population, le niveau de francophonie a spectaculairement augmenté, grâce à l’école".

Algérie : l'anglais en primaire encouragé par l'État

En Algérie, la question linguistique fait régulièrement l'objet de débats. Si le statut officiel de l'arabe fait consensus, la place du tamazight (berbère), devenu langue officielle en 2016, et du français (qui n'est pas une langue officielle mais une langue d'usage), langue de l'enseignement scientifique et des affaires, héritée de l'ancienne puissance coloniale, soulève des polémiques sans fin.

Les enfants, qui ont repris le chemin de l'école le 21 septembre, démarrent désormais l'apprentissage de l'anglais dès la 3ème année de primaire, comme c'est déjà le cas pour le français, alors que jusqu'à présent ils ne le commençaient qu'au collège.

Reconquérir la confiance de la jeunesse francophone

Interrogée par l'AFP pour savoir si les récents mouvements anti-France dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest pourraient entraîner un rejet de la langue française, Louise Mushikiwabo dit ne pas partager cet avis.

"La révolte qu'on voit dans la jeunesse francophone en Afrique vient d'un désenchantement politique", des "frustrations du quotidien" et vis-à-vis "de la classe dirigeante" et par extension de la France qui est l'ancien pouvoir colonial, déclare-t-elle. "Ce n'est pas du tout un rejet de la langue française".  

"Ces pays ont investi énormément dans la langue française pour l'éducation, la communication", etc... "La langue française n'est pas prête à quitter le continent africain", juge-t-elle, appelant à une "réflexion" sur les crises qui secouent le monde francophone et la multiplication des coups d’État en Afrique de l'Ouest.

"Je pense que nos dirigeants ont besoin d'écouter beaucoup plus, de faire attention aux citoyens, c'est pour cela que nos programmes à l'OIF ont été recentrés et resserrés pour créer un impact sur les citoyens", indique-t-elle. 

Au sommet de Djerba, un huis clos politique aura justement pour thème la "défiance citoyenne"

Le français, langue de scolarisation vu par l'OIF

  • Aujourd'hui, 93 millions d'élèves et étudiants suivent leurs enseignements en français dans le monde. Selon l'OIF, ces chiffres "en légère progression (...) confirment tout d'abord que le français n'a perdu nulle part son statut de langue d'enseignement, et que les systèmes éducatifs des pays où le noombre d'enfants se présentent à l'école augmente (au Sud) en accueillant une part croissante (même si tous ne sont pas scolarisés)". 
  • L’écrasante majorité des apprenants en français résident sur le continent africain, y compris dans des pays où il n’est pas langue officielle (comme au Maghreb par exemple).
  • L’Europe arrive en deuxième position, grâce à la France (91 % des élèves européens scolarisés en français), mais aussi à la Fédération Wallonie-Bruxelles, à la Suisse romande, au Luxembourg et à Monaco.
  • ​Si l’Amérique du Nord doit sa troisième place au Québec et au Canada en général, il ne faut pas oublier le rôle joué par Haïti, même si les dernières statistiques disponibles concernant ce pays sont anciennes (2015-2016).
  • Le Liban domine le paysage scolaire en français de la zone Afrique du Nord–Moyen-Orient, même si la place de cette langue comme médium d’enseignement est loin d’être négligeable - bien que peu précisément chiffrée - dans les pays du Maghreb.
  • ​Quant à la partie asiatique, le faible volume d’apprenants en Nouvelle-Calédonie et au Vanuatu la rend difficilement visible par rapport à la masse totale.

La langue française face au monolinguisme 

S’il est en progression dans le monde, le français est en recul au sein des organisations internationales. La Secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, s'est d'ailleurs exprimée sur ce point. 

Interrogée par l’AFP, elle exhorte les États membres à "redoubler d’efforts" pour que la langue française, dit-elle, "continue d'occuper sa place"

C'est au niveau institutionnel qu'il faut redoubler d'efforts.Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de la Francophonie à l'AFP

"On se rend compte d'après nos rapports que dans les organisations internationales, il y a eu un recul" du français, argumente Louise Mushikiwabo. Or, "ce sont nos États qui siègent (...) et décident dans ces organisations et moi j'aimerais beaucoup les réveiller", relève-t-elle annonçant qu'elle lancerait un "appel" aux chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage lors de leur 18ème sommet, samedi et dimanche (19 et 20 novembre, ndlr) à Djerba en Tunisie.
 
Ces chefs d’États seront alors appelés "à s'assurer de garder la langue française dans leurs instances internationales" et "dans l'enseignement au niveau des pays" notamment. Pour Louise Mushikiwabo, "c'est au niveau institutionnel qu'il faut redoubler d'efforts".
  
Dans son édition 2022 de "La langue française dans le monde", l’Organisation internationale de la Francophonie - qui cite aussi bien des organisations internationales que des observateurs externes - fait état d’une "dérive dans les pratiques linguistiques vers le non-respect du multilinguisme". L'OIF souligne que lors de réunions officielles, "l’usage d’autres langues que l’anglais (...)reste une exception".
 

  • L'ONU 
Parmi les organisations pointées du doigt, l’ONU, dont le français est pourtant l’une des 6 langues officielles. Toujours cité par l’OIF, le rapport du Secrétaire général des Nations unies sur le multilinguisme publié en mars 2021, portant sur la période de janvier 2019 à décembre 2020, montre, lui aussi, les "difficultés récurrentes de plusieurs de ses structures à mettre en œuvre le multilinguisme"

Sur 103 entités distinctes inventoriées, pour l’année 2019, 45,6 % des recrutements n’exigeaient pas la connaissance de langues autres que l’anglais. 

La langue française dans le monde, édition 2022. 

    Ainsi, "98,7 % des offres d’emploi exigent la connaissance de l’anglais, alors que le français enregistre une diminution de 1,2 point depuis 2017 (à 10,4 %). Seule une minorité d’avis de vacance de poste exigent l’anglais ou le français (68 avis de vacance de poste en 2019, soit 1,13 % du total).

    Même tendance à Genève, ville pourtant francophone, "où le français n’était exigé que dans 14,9 % des avis de vacance de poste publiés en 2019 (soit une baisse de 13,6 % depuis 2017)". Enfin, sur "103 entités distinctes inventoriées, pour l’année 2019, 45,6 % des recrutements n’exigeaient pas la connaissance de langues autres que l’anglais"

    • L'Union européenne

    Du côté de l’Union européenne, même constat. Louise Mushikiwabo, toujours à l’AFP, s’est dit "mécontente par rapport à l'Union européenne (...) où l'on voit que la tendance, même dans les documents écrits, est d'aller vers la facilité qu'offre l'anglais, alors que l'UE est le deuxième bloc le plus important à la Francophonie"

    Quelles sont les 24 langues officielles de l’UE :  

    L'allemand, l'anglais,le  bulgare, le croate, le danois, l’espagnol, l’estonien, le finnois, le français, le grec, le hongrois, l’irlandais, l’italien, le letton, le lituanien, le maltais, le néerlandais, le polonais, le portugais, le roumain, le slovaque, le slovène, le suédois, le tchèque.

    En ce sens, dans la 7ème édition de son rapport de suivi du Vade-mecum relatif à l’usage de la langue française dans les organisations internationales du mois d’octobre 2020, l’OIF relève "qu’entre 3,7 % (à la Commission européenne) et 12 % (au Parlement européen) seulement des documents produits ont pour langue source le français (qui est aussi la première langue cible des traductions). Cette proportion était de 34% en 1999. 

    Dans son rapport, l’OIF précise que sont aussi concernées d'autres organisations régionales ou internationales, telles que l'Union africaine, le Parlement europée et le Conseil de l'Europe. 

    Pour "faire reculer le recul du français", l’Organisation internationale de la Francophonie, en la personne de Louise Mushikiwabo, met en œuvre un certain nombre d’actions dont, "le dispositif de veille, d’alerte et d’action en faveur de la langue française et du multilinguisme dans les organisations internationales".  

    L'enjeu du numérique 

    Pour sa 18ème édition, le Sommet de la Francophonie a pour thème le numérique. A ce sujet, Louise Mushikiwabo dit souhaiter, si elle est réélue, "travailler à assurer une plus grande présence sur la toile" du français, "la quatrième langue la plus utilisée sur internet".

    Quatrième langue la plus utilisée sur internet après l’anglais, le chinois et l’espagnol, le français devance l’allemand, le portugais, le japonais, le russe, l’hindi et l’arabe. Cependant, comme le souligne l’Organisation internationale de la Francophonie, bien qu'il maintienne, pour le moment, sa place, "il est maintenant accompagné, et peut-être même déjà dépassé, par l’hindi qui montre une ascension spectaculaire"
    Le français dans l'internet
    ©Gallimard/Organisation internationale de la Francophonie – "La langue française dans le monde", édition 2022.


    De plus, ajoute l’OIF, l'avance du français sur internet s'est considérablement réduite pour deux raisons. Tout d'abord, "les taux de connexion à l’Internet des francophones des pays industrialisés sont proches de la saturation laissant une faible marge à l’augmentation". Enfin, la fracture numérique des pays francophones africains est "est bien plus lente à se résorber que la croissance moyenne de la connectivité dans le monde". 

    Pour autant, "la croissance démographique prévue pour l’Afrique va favoriser indirectement la présence du français dans l’Internet", ajoute l’OIF, sauf si la fracture numérique "continue d’être aussi prononcée en Afrique francophone". 


     

    Quelle place de l’anglais sur internet ? 

    "En ce qui concerne l’anglais, sa place relative continue de se restreindre et passe de 30 % en 2017 à 25 % en 2021, même si les médias, s’appuyant sur des résultats fortement biaisés, par faute de considération sérieuse du multilinguisme, con- tinuent à annoncer des chiffres supérieurs à 50 %. En effet, l’Internet a considérablement changé dans les dix dernières années avec une entrée massive d’internautes de langues asiatiques et de l’arabe. Quant au pourcentage mondial de locuteurs anglophones connectés, il était estimé par l’Observatoire de la diversité linguistique et culturelle dans l’Internet, en 2007, à 32 %, et il est passé maintenant à 15 %".

    Source : Gallimard/Organisation internationale de la Francophonie – "La langue française dans le monde", édition 2022.