Fil d'Ariane
De l'aveu du secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, "ce sommet sera un tournant et plusieurs décisions importantes vont être prises", a-t-il affirmé lundi lors de la présentation des enjeux du sommet de l'Alliance atlantique qui se tient à Madrid, en Espagne, les 28 et 29 juillet.
"Je pense que les alliés vont dire clairement à Madrid qu'ils considèrent la Russie comme la menace la plus importante et la plus directe pour notre sécurité", a déclaré le Norvégien, plus de cinq mois après le début de l'invasion russe en Ukraine
La guerre en Ukraine est au coeur des préoccupations. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky participera en visioconférence au sommet de l'Otan.
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La question de l'adhésion de la Suède et de la Finlande fait l'objet d'une intense activité diplomatique. Mais rien n'indique qu'une issue positive soit possible alors que la Turquie bloque l'adhésion des deux pays nordiques. Or toute décision de l'Alliance doit être prise par consensus entre les 30 pays membres.
Lundi à Bruxelles, le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg s'est entretenu avec la Première ministre suédoise Magdalena Andersson des solutions pour lever le veto turc à l'adhésion de son pays. Mme Andersson a été reçue au siège de l'Alliance à Bruxelles où une réunion à haut niveau était organisée avec des représentants de la Turquie, de la Suède et de la Finlande.
Ankara accuse les deux pays nordiques d'abriter des militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation considérée comme "terroriste", et dénonce la présence dans ces pays de partisans du prédicateur Fethullah Gülen, soupçonné d'avoir orchestré une tentative de coup d'État en Turquie en juillet 2016.
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Mardi à Madrid, le président turc Recep Tayyip Erdogan va rencontrer son homologue finlandais Sauli Niinistö et la Première ministre suédoise Magdalena Andersson au début du sommet, en présence de Jens Stoltenberg. La présidence turque a cependant mis en garde contre un excès d'optimisme.
"Les candidatures de la Suède et de la Finlande vont permettre de renforcer l'Otan, mais un allié, la Turquie, a exprimé des préoccupations spécifiques de sécurité et nous devons en tenir compte", a expliqué Jens Stoltenberg.
"Lorsque différents pays sont impliqués dans le processus, aucun ne peut promettre au nom des autres si et quand un accord sera trouvé", a averti Jens Stoltenberg.
"La seule chose que je peux promettre, c'est que nous travaillons aussi dur que possible et aussi intensément que nous le pouvons, pour trouver une solution le plus rapidement possible", a-t-il assuré.
"Le sommet n'a jamais été une échéance. Mais il a lieu. Tous les dirigeants (de l'Otan) y sont présents, ainsi que les dirigeants suédois et finlandais. Cela nous donne donc une occasion que nous devrions saisir pour voir si nous pouvons faire des progrès", a-t-il expliqué.
Les dirigeants de l'Otan vont décider au sommet de Madrid mercredi de transformer leur Force de réaction et de porter "bien au-dessus" de 300.000 hommes les troupes à haut niveau de préparation pour faire face à la menace russe, a annoncé lundi le secrétaire général de l'Alliance.
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"Nous allons renforcer nos groupements tactiques dans la partie orientale de l'Alliance, jusqu'au niveau de la brigade", a-t-il précisé.
Huit groupements tactiques ont été créés. Ils sont basés en Lituanie, en Estonie, en Lettonie, en Pologne, en Roumanie, en Hongrie, en Slovaquie et en Bulgarie.
Certains seront renforcés "jusqu'au niveau de la brigade" - unités tactiques de 3.000 à 5.000 hommes, a précisé Jens Stoltenberg.
L'Allemagne, chef de file du Groupement tactique basé en Lituanie, a annoncé son intention de porter sa capacité au niveau d'une brigade, mais l'essentiel des troupes restera stationné dans le pays.
Des unités sont "pré-désignées" dans d'autres pays membres de l'Alliance pour intervenir dans les pays où sont basés des groupements tactiques et où des armements lourds auront été prépositionnés, a expliqué le secrétaire général de l'Otan.
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L'Alliance va également "transformer sa Force de réaction", forte de 40.000 soldats, et va porter le nombre de ses forces à haut niveau de préparation "bien au-dessus" de 300.000 militaires, a-t-il ajouté.
"En faisant cela, nous fournissons une dissuasion crédible dont l'objectif n'est pas de provoquer un conflit, mais d'empêcher la Russie ou tout autre adversaire potentiel d'attaquer un pays allié", a-t-il insisté.
"Je suis convaincu que le président Poutine comprend les conséquences d'une attaque contre un pays de l'Otan", a-t-il ajouté.
Les dirigeants de l'Alliance vont par ailleurs renforcer leur soutien à l'Ukraine.
Ils vont fournir davantage d'armes lourdes et veulent "à plus long terme aider l'Ukraine à passer des équipements militaires de l'ère soviétique aux équipements modernes de l'Otan".
Jens Stoltenberg considère que ces mesures constituent "le plus grand remaniement de notre défense collective depuis la guerre froide". Mais cela aura un prix. "Nous devons investir davantage", a-t-il averti.
Les Alliés se sont engagés à consacrer 2% de leur PIB à leurs dépenses de défense en 2024, mais neuf seulement des 30 membres ont atteint cet objectif en 2022 (Grèce, Etats-Unis, Pologne, Lituanie, Estonie, Royaume-Uni, Lettonie, Croatie et Slovaquie).
La France est à 1,90%, l'Italie à 1,54%, l'Allemagne à 1,44% et l'Espagne, pays organisateur du sommet, est avant-dernière de la liste à 1,01%, devant le Luxembourg (0,58%), indiquent les données publiées lundi par l'Otan.
"Pour répondre à la menace, cet objectif de 2% devient un plancher, plus un plafond", a annoncé Jens Stoltenberg.
"19 alliés ont des plans clairs pour atteindre cet objectif d'ici 2024 et cinq autres ont pris des engagements concrets", a-t-il souligné.
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Ce sommet de l'Alliance atlantique doit notamment adopter le nouveau "concept stratégique" de l'Otan, qui marquera la première révision de sa feuille de route depuis 2010.
Une occasion rêvée pour Madrid de pousser pour une "vision à 360°" en y incluant les menaces non conventionnelles comme le terrorisme ou "l'utilisation politique des ressources énergétiques et de l'immigration illégale" venant du sud, a souligné mercredi le ministre espagnol des Affaires étrangères.
"Les menaces viennent autant du flanc sud que du flanc est", a insisté José Manuel Albarès lors d'une conférence de presse.
"Nous avons cette guerre en Europe mais la situation en Afrique est réellement inquiétante", a renchéri sa collègue de la Défense Margarita Robles, faisant notamment référence aux groupes jihadistes actifs dans le Sahel.
Pour tenter de convaincre ses partenaires de l'importance du flanc sud, Madrid agite la menace russe en Afrique et a même laissé entendre que Moscou était derrière sa dispute avec Alger.
"Malheureusement, les menaces venant du sud sont de plus en plus des menaces russes venues du sud", a insisté mercredi M. Albares, dont le gouvernement dénonce la présence croissante de mercenaires russes du groupe Wagner au Mali ou en Centrafrique.
Mais avec le conflit en Ukraine, sur le flanc oriental de l'Alliance, Madrid aura du mal à convaincre ses partenaires de l'importance de ce flanc sud.
"Le centre d'intérêt principal est aujourd'hui le flanc oriental", même si "nous prêtons également attention au flanc sud", a déclaré à l'AFP à Washington John Kirby, qui coordonne la communication de la Maison Blanche sur les questions de sécurité nationale et de stratégie.
Dans un entretien samedi au quotidien espagnol El Pais, le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg a indiqué que l'Alliance allait "renforcer (sa) coopération avec les pays du sud", mentionnant la Mauritanie.
Mais la priorité stratégique du président américain Joe Biden est la Chine, qui devrait être mentionnée pour la première fois dans le "concept stratégique" issu du sommet de Madrid.
Selon Sinan Ulgen, expert du centre d'études Carnegie Europe à Bruxelles, un autre écueil pour Madrid vient du fait que d'autres membres de l'Alliance impliqués en Afrique, comme la France, l'Italie ou la Turquie, ont des objectifs différents, rendant difficile une stratégie commune pour l'Otan.
"C'est la raison fondamentale pour laquelle il n'y a pas un appel plus fort pour que l'Otan joue un plus grand rôle" sur son flanc sud, selon cet ancien diplomate turc.
Par ailleurs, de nombreux responsables américains estiment que l'Otan devrait se focaliser sur la notion de défense territoriale et non sur les "menaces hybrides", c'est-à-dire non conventionnelles, souligne Angel Saz, directeur du Centre pour l'Economie globale et la Géopolitique de l'école de commerce espagnole Esade.
"La seule menace territoriale est la Russie. Le Sahel peut déstabiliser l'Europe mais il ne va pas conquérir l'Espagne ou l'Italie", résume-t-il.