Le pays a 320 milliards de dettes. Toutefois, le remboursement de ces tranches servira de test pour le gouvernement d’Alexis Tsipras élu fin janvier. Athènes a conclu le 20 février un accord avec ses créanciers prévoyant la prolongation de quatre mois du versement de prêts internationaux. Les réformes proposées par le gouvernement Syriza sont encore cependant jugées insuffisantes par l’UE, le FMI et la Banque centrale européenne (BCE).
Doutes des marchés
Dans ce contexte, les déclarations récentes de Warren Buffett ne sont pas passées inaperçues. L’investisseur américain a déclaré sur la chaîne CNBC qu’une sortie du pays de la zone euro ne serait «pas une mauvaise chose pour l’euro». Cela juste après que George Soros, autre légende de la finance, estimait fin mars à «50/50» les chances d’assister à un «Grexit», contraction entre les mots Grèce et exit.
Au-delà de ces déclarations, les signes de tension sur les marchés se lisent sur les taux des obligations souveraines. Les taux pour les emprunts d’Etat à 3 ans ont bondi à plus de 20%. Ceux à 10 ans dépassaient les 12% le 2 avril, contre moins de 6% en septembre. Récemment, 37% des investisseurs sondés par la société d’analyse Sentix anticipaient une sortie du pays de la zone euro, trois fois plus que l’automne dernier. Avec quelles conséquences? Tour d’horizon des principaux scénarios pour l’avenir monétaire de la Grèce.
Pas d’urgence sur la dette
Estimée à près de 320 milliards d’euros, soit environ 175% du produit intérieur brut (PIB) du pays, la dette accumulée par la Grèce est certes colossale mais le budget du pays affiche un excédent primaire – hors paiement des intérêts. En outre, comme près de 80% des emprunts grecs sont aux mains d’autres Etats ou d’institutions comme le FMI et la BCE, le risque de déstabilisation pour le système bancaire européen est faible, comme le relevait fin février l’agence Standard & Poor’s.
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La Grèce paie moins pour le service de sa dette que l’Italie ou l’Irlande, qui ont pourtant des taux d’endettement moins élevés», observait récemment Daniel Gros, directeur du
Center for European Policy Studies, un think tank basé à Bruxelles. Selon lui, le problème qui se pose à la Grèce n’est pas sa dette, remboursable à des échéances de 20 ou 30 ans et assortie de taux d’intérêt faibles, mais celui d’honorer les paiements dus à la BCE et au FMI cette année.
Les liquidités inquiètent
Le risque d’une panne de liquidités inquiète davantage les économistes. En effet, chaque délai supplémentaire qui a été accordé au pays par ses principaux créanciers était lié à la mise en place de réformes. Pour se refinancer à court terme, les banques grecques recourent aussi à un mécanisme de prêts d’urgence baptisé ELA («Emergency liquidity assistance») qui leur permet d’obtenir des fonds de la Banque de Grèce. Toutefois, ce mécanisme est soumis à certaines contraintes. Le conseil des gouverneurs de la BCE, à une majorité des deux tiers, peut restreindre l’usage de ce mécanisme s’il considère que son utilisation va à l’encontre des objectifs de l’Eurosystème, la structure qui chapeaute les différents types de prêts accordés au pays. Et si les banques grecques n’avaient plus accès à l’argent nécessaire, elles risqueraient de ne plus pouvoir satisfaire à leurs obligations de paiement, ce qui pourrait déclencher une course des épargnants pour retirer leur argent, déstabilisant l’ensemble du système.
La «nouvelle drachme» simulée par la BCE
En cas de paralysie du système des paiements, la mise en circulation d’une nouvelle monnaie locale constituerait la prochaine étape logique. Un scénario qui n’est pas qu’hypothétique. Selon le magazine Spiegel , la BCE a déjà procédé à des exercices de simulation visant à évaluer comment la zone euro pourrait continuer de fonctionner sans la Grèce. Afin d’empêcher une ruée des épargnants pour retirer leurs avoirs en euros, des mesures de contrôle des capitaux, au moins de manière temporaire, deviendraient inévitables. Jeroen Dijsselbloem, le ministre des Finances des Pays-Bas, a brisé un tabou en évoquant publiquement une telle mesure lors d’un entretien à la radio néerlandaise à la mi-mars.
Les économistes pèsent le pour et le contre d’un Grexit. Côté négatif, il y aurait une poussée inflationniste, un envol des taux d’intérêt, des sorties de capitaux et une hausse massive de l’endettement des entreprises et des ménages qui ont souscrit à des emprunts en euros.
Côté positif, certains secteurs d’exportation gagneraient en compétitivité, tout comme la branche du tourisme. L’institut Ifo, basé à Munich, rappelait dans une étude que la production industrielle en Grèce a chuté de 30% par rapport à son niveau d’avant la crise. A ce stade, un Grexit relève toutefois plus de l’expérimentation que de l’exercice contrôlé.
Le maintien de la Grèce dans la zone euro entraînerait aussi des coûts pour ses créanciers. L’institut Ifo a comparé les coûts du maintien ou d’une sortie de la Grèce de la zone euro pour l’Allemagne qui détient près de 85 milliards d’euros de dette, selon S&P. Un Grexit coûterait près de 76 milliards d’euros à l’Allemagne, en incluant la participation directe ou indirecte du pays à différents plans de sauvetage. Son maintien dans la zone euro coûterait, lui, 77 milliards.
Des monnaies parallèles?
La coexistence de deux monnaies – l’euro pour les échanges externes, la «nouvelle drachme» pour les transactions internes – est une alternative qui a aussi été envisagée. La Grèce pourrait émettre sa propre monnaie, utilisée pour tous les contrats conclus selon le droit grec, y compris les salaires. L’euro continuerait, lui, d’être utilisé comme moyen de paiement pour d’autres contrats et en tant que monnaie d’épargne, analysait Roland Vaubel, professeur d’économie à l’Université de Mannheim, dans une étude publiée en 2013 relayée par le site Oekonomenstimme de l’institut KOF de l’EPF de Zurich. Cette idée a ressurgi récemment. Selon Reuters, un représentant officiel de la zone euro a évoqué fin mars la possibilité pour le gouvernement grec d’émettre des papiers équivalant à une reconnaissance de dette. Un tel document permettrait à son détenteur de recevoir un certain nombre d’euros à une certaine échéance. Rapidement, ces instruments – traités avec une décote par rapport à l’euro – deviendraient une sorte de monnaie parallèle à la devise européenne. Leur usage serait toutefois limité aux transactions en rapport avec le gouvernement, sans devenir une véritable monnaie de paiement.
Plus largement, il faut aussi tenir compte des conséquences sur le plan politique – beaucoup plus difficiles à évaluer – d’une sortie de la Grèce de la zone euro, avec le risque que le pays se détourne de l’UE pour orienter davantage ses relations vers la Russie et la Chine.