L'économiste "atterré" du collectif du même nom, Philippe Askenazy, a signé l'appel de 80 économistes intitulé "Sortir de l'impasse économique". Son dernier ouvrage, "Tous rentiers !", analyse les blocages de l'économie française, européenne, et donne des pistes pour sortir de l'ornière de l'austérité et du chômage. Entretien.
Pour Philippe Askenazy, le texte de la réforme du code du travail porté par la ministre française du Travail, Myriam El Khomri ne va pas dans le bons sens pour lutter contre le chômage. Selon lui, cette réforme met en cause des acquis importants, plus particulièrement ceux qui touchent à la santé : "C'est un texte très long, avec beaucoup d'éléments, et ceux qui touchent à la santé des travailleurs ne sont pas assez cités, comme permettre aux jeunes apprentis de 15-16 ans, de travailler 10 h par jour, sans autorisation."
L'économiste estime que si une partie de ses confrères croit aux vertus d'un affaiblissement des droits des salariés pour renforcer celui des employeurs, notamment en facilitant les licenciements pour faire baisser le chômage, une autre partie pense l'inverse. Pour Philippe Askenazy, "C'est un problème quasi idéologique de penser qu'affaiblir la protection des salariés fait baisser le chômage. Les travaux effectués sur le sujet n'ont jamais rien trouvé. On ne relance pas l'emploi de cette manière".
Nouveaux monopoles
A propos de François Hollande qui voudrait "faire comme en Italie", avec les réformes du travail de Matteo Renzi, l'économiste Philippe Askenazy rétorque que "L'exemple italien est une forfaiture. Ce n'est pas le même type de réformes, et ce qui explique la création d'emplois en Italie n'est pas forcément causé par les réformes Renzi. Avec un peu de croissance, en Italie, il y a des créations d'emplois mais avec peu d'enrichissement pour le pays et pas de gain de productivité."
Si la plupart des citoyens ont le "sentiment de vivre dans une une économie libérale ou tout le monde aurait sa chance, ce n'est pas la réalité depuis 40 ans" selon l'économiste qui ajoute que "les droits à la propriété se sont renforcés et ont favorisé l'accaparement des connaissances par les grandes entreprises qui ont constitué des monopoles"
Cette économie de la rente des "géants", est équivalente selon Philippe Askenazy à celle du début du XXème siècle, malgré l'émergence de nouveaux acteurs, comme les entreprises du numérique. "Uber est un géant, et par effet de réputation sur le réseau, il s'impose de partout sur la planète, et met tout une série de travailleurs sous sa coupe technologique. Il y a toujours dépendance, même si elle est technologique, et les travailleurs sont toujours des subordonnés, malgré ce qui est souvent dit" .
La fin du salariat ?
Pour Philippe Askenazy, "On est loin de la fin du salariat, il n'y a jamais eu autant de salariés aux Etats-Unis et au Japon par exemple, et je ne pense pas que les robots vont nous remplacer. Il faut par contre remettre au premier plan les travailleurs et leur travail, et arrêter de croire que les personnes seraient improductives à l'exception des high tech : il faut regarder chaque travailleur, chaque métier, chaque gain de productivité qui peut amener un peu plus de richesse."
Le danger des populismes et les alternatives
Pour l'économiste, la montée des populismes, en réaction à la montée du chômage, menace la démocratie un peu partout. Selon lui, "Il y a des solutions, mais pas celles de faire baisser le coût du travail, comme c'est la tendance actuellement, et qui engendre une spirale déflationniste". Pour Philippe Askenazy, il faut au contraire "faire des investissements pour le futur, comme avec la transition écologique, qui créerait beaucoup d'emplois". Le principe que l'économiste veut porter est "celui d'amener les bases pour reconstruire une pensée économique, qu'elle soit sociale-démocrate ou libérale, peu importe."