Fil d'Ariane
Ce jeudi midi, l'armée a destitué le président Omar el-Béchir, selon une déclaration du ministre de la Défense retransmise à la télévision d'état, ce jeudi 11 avril.
"J'annonce, en tant que ministre de la Défense, la chute du régime et le placement en détention dans un lieu sûr de son chef", a déclaré le ministre. Les principaux cadres du régime ont également été arrêtés.
La Constitution de 2005 est suspendue. Un conseil militaire va administrer le pays pendant une période transitoire de deux ans à l'issue de laquelle une élection sera organisée. Le général Ahmed Awad Benawf, ministre de la Défense, a aussi annoncé que les frontières et l'espace aérien sont fermés jusqu'à nouvel ordre. Un cessez-le-feu a été décrété dans tout le pays.
De leur côté, les meneurs de la contestation rejette ce "coup d'Etat" de l'armée qui "présente encore les mêmes visages (...) contre lesquels notre peuple s'est élevé". C'est ce qu'a indiqué dans un communiqué, l'Alliance pour la liberté et le changement. "Nous appelons notre peuple à continuer son sit-in devant le quartier général de l'armée à Khartoum et à travers le pays".
C'est là que des milliers de manifestants campaient depuis cinq jours maintenant. Ce matin, ils se prenaient à rêver à haute voix, alors qu'une réunion de hauts responsables des forces armées devait être en cours, selon plusieurs sources locales.
Un Haut Conseil de transition des Forces armées aurait été en discussion ce matin ainsi que la question de savoir qui présiderait cette instance.
L'armée soudanaise avait promis, jeudi 11 avril, une "déclaration importante bientôt", déclenchant rapidement de nouvelles scènes de liesse des manifestants massés devant le quartier général des militaires à Khartoum où ils protestent depuis six jours.
Après l'annonce de la destitution d'Omar el-Béchir, les meneurs du mouvement de contestation ont lancé un appel au calme. "Notre révolution est pacifique, pacifique, pacifique", peut-on lire dans un communiqué de l'Alliance pour la liberté et le changement.
Dans l'est du pays, des manifestants ont mené un raid contre un bâtiment du NISS après, selon l'AFP, le refus d'officiers de relâcher des détenus.
Ce matin, Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS analysait ainsi la situation : "Les choses ne sont pas jouées à Khartoum, les négociations sont encore en cours (au sein de l'armée), c'est le début d'une nouvelle phase au Soudan. Le processus peut durer des mois voire des années". Tout s'est finalement précipité ce midi avec l'annonce du ministre de la Défense.
Les organisateurs de la contestation ont appelé ce matin les habitants de la capitale soudanaise à rejoindre en masse les milliers de manifestants réunis devant le siège de l'armée qui abrite aussi le ministère de la Défense et la résidence officielle du président Béchir.
Sur son site internet, l'Association des professionnels soudanais, le principal groupe de contestation, appelait les responsables militaires à "rendre le pouvoir au peuple" et à mettre en place "une autorité de transition civile composée d'experts qui n'ont pas été impliqués avec le régime tyrannique".
Une foule immense était rassemblée dans le centre de Khartoum à la mi-journée, dans l'attente de l'annonce de l'armée, dont les intentions, comme celles de la police, restent incertaines jusqu'ici.
"Nous attendons de grandes nouvelles. Nous ne partirons pas d'ici tant que nous saurons pas ce que c'est", a indiqué à l'AFP un manifestant devant le siège de l'armée. "Mais nous savons que Béchir doit partir. Nous avons eu assez de ce régime. Trente ans de répression, de corruption, d'abus de droits. C'est assez", a-t-il poursuivi.
Plusieurs véhicules militaires transportant des troupes sont entrés dans le complexe qui abrite le QG de l'armée dans les premières heures de la journée de jeudi, ont déclaré des témoins à l'AFP.
Mercredi, le parti du Congrès national (NCP) du président Béchir avait appelé l'ensemble de ses membres à un rassemblement de soutien au chef de l'Etat jeudi à Khartoum, signe que le président ne semblait pas prêt à céder. Mais, mercredi soir, ce rassemblement a été reporté sine die.
"Des hommes et des femmes de toutes les coins de Khartoum et d'autres villes viennent pour ce qu'ils appellent le service de nuit", a de son côté souligné un manifestant mercredi soir, pour marquer la détermination des protestataires.
Depuis samedi, les manifestants ont essuyé à plusieurs reprises les assauts du puissant service de renseignement NISS, qui a tenté en vain de les disperser à coups de gaz lacrymogène, selon les organisateurs du rassemblement.
Mardi, 11 personnes dont six membres des forces de sécurité ont été tuées lors de manifestations à Khartoum, a rapporté mercredi le porte-parole du gouvernement Hassan Ismail, sans préciser les circonstances de leur mort, selon l'agence officielle Suna.
En tout, 49 personnes sont mortes dans des violences liées aux manifestations depuis que ces rassemblements ont commencé en décembre, de sources officielles.
Mardi, la police avait annoncé avoir ordonné à ses forces de ne pas intervenir contre les contestataires. Elle a aussi dit vouloir l'union du "peuple soudanais (...) pour un accord qui soutiendrait un transfert pacifique du pouvoir".
Concernant les militaires, le général Kamal Abdelmarouf, chef d'état-major de l'armée, avait précisé lundi que celle-ci continuait "d'obéir à sa responsabilité de protéger les citoyens".
L'étincelle de la contestation a été la décision du gouvernement de tripler le prix du pain le 19 décembre.
A travers le pays, des milliers de Soudanais ont appelé au départ de M. Béchir. Le président a tenté de réprimer la contestation par la force, puis a instauré le 22 février l'état d'urgence à l'échelle nationale.
Mardi, des capitales occidentales ont appelé les autorités à répondre aux revendications "d'une façon sérieuse".
Le pouvoir doit proposer "un plan de transition politique crédible", ont écrit les ambassades des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Norvège dans un communiqué conjoint à Khartoum.
Mercredi, Washington a exhorté le pouvoir à respecter le droit de manifester. "Nous appelons le gouvernement du Soudan à respecter les droits de tous les Soudanais à exprimer leurs doléances pacifiquement", a tweeté Tibor Nagy, secrétaire d'Etat adjoint chargé de l'Afrique.