Soudan : qui sont Al-Burhane et Daglo, ces deux chefs de guerre qui se disputent le pouvoir ?

Plus d'une centaine de civils sont morts à Khartoum dans de violents combats. Abdel Fattah al-Burhane, chef de l’armée et le général Mohamed Hamdane Daglo, dit "Hemedti", à la tête des Forces de soutien rapide (FSR) se disputent le pouvoir. Qui sont ces chefs de guerre anciennement alliés ?

Image
Abdel Fattah al-Burhane, Mohamed Hamdane Daglo
Abdel Fattah al-Burhane, chef de l’armée , à gauche, et le général Mohamed Hamdane Daglo, dit "Hemedti", à la tête des Forces de soutien rapide (FSR), à droite.
DR
Partager6 minutes de lecture

Depuis des semaines, le conflit était latent entre les deux généraux qui ont évincé ensemble les civils du pouvoir lors du putsch d'octobre 2021, avant de retourner leurs armes l'un contre l’autre.

Les combats à l'arme lourde ne cessent pas depuis samedi 15 avril et l'armée de l’air, dirigée par Abdel Fattah al-Burhane vise en pleine ville les QG des Forces de soutien rapide (FSR). Ces ex-miliciens de la guerre dans la région du Darfour, supplétifs officiels de l’armée, qui obéissent à Mohamed Hamdane Daglo, sont déployés dans la capitale, en treillis et en armes, luttant pour prendre le contrôle des infrastructures du pays.

Qui sont les deux hommes, anciens compagnons de guerre, à la tête de ces combats ?

Le général Abdel Fattah al-Burhane

Abdel Fattah al-Burhane incarne le visage du pouvoir militaire au Soudan, un pays quasiment toujours sous la coupe de l'armée depuis son indépendance en 1956. 

C'est apparemment à son QG que tout commence ce samedi 15 avril. Les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), des miliciens venus au combat par la sanglante guerre du Darfour, l'ont "surpris", selon ses mots, avec une attaque menée "à neuf heures du matin" en plein ramadan et sous un soleil brûlant. 

S'il a été si surpris, c'est que l'homme était de facto le dirigeant incontesté du Soudan depuis son putsch d'octobre 2021, organisé avec son second, le général Mohamed Hamdane Daglo, dit "Hemedti", patron des FSR. 

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...
Lors de ce coup de force, les deux hommes évincent les civils avec lesquels ils partagent le pouvoir depuis 2019, lorsque la rue avait poussé l'armée à limoger l'ex-président Omar el-Béchir. Pour aller vers la démocratie après trente années de dictature militaro-islamiste, toutes les forces soudanaises décident de se tourner vers le général Al-Burhane. 
 

Mais à l'aube du 25 octobre 2021, à la surprise générale, le général Al-Burhane annonce à la télévision sa décision de faire arrêter la quasi-totalité des ministres et responsables civils. 

Hemedti qui était pourtant à ses côtés, dénonce depuis un "échec" et qualifie le général Burhane d"'islamiste radical" et de "criminel". Côté armée, Daglo et ses "milices soutenues par l'étranger" sont des "ennemis". 

Aujourd'hui âgé de 62 ans, ce natif de Gandatu, un village au nord de Khartoum, a coordonné l'envoi de troupes soudanaises au Yémen lorsqu'il était commandant des forces terrestres, en 2015. Ils étaient encore 15 000 en décembre 2019.

Après le putsch de 2019 contre Omar el-Béchir, Al-Burhane troque son éternel uniforme kaki, son béret et ses galons bien en vue pour une tenue civile. Moustache poivre et sel et longue silhouette élancée, ce père de trois enfants un temps attaché de Défense à Pékin, n'a de cesse de cultiver les liens diplomatiques de Khartoum. 

Il est le grand artisan du projet de normalisation des relations avec Israël - le grand ennemi de l'ère Béchir - quitte à passer au-dessus de la diplomatie du temps où elle était tenue par les civils. 

En janvier 2020, quelques mois après la chute de Omar el Béchir, il rencontre même le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu en Ouganda. 

Issu des rangs de l'armée et de l'académie militaire égyptienne - comme le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi -, l'homme est aussi très proche de l'influent grand voisin du nord. 

C'est d'ailleurs Le Caire qui a récemment proposé aux forces politiques soudanaises une initiative donnant la haute main au général Burhane. Dans le Golfe, le chef de l'armée a également été reçu à plusieurs reprises en grandes pompes. Mais de nombreux observateurs ont noté que, souvent, son grand ennemi Daglo était passé avant lui.

Le général Mohamed Hamdane Daglo


Venu des milices qui ont semé la terreur au Darfour, le général Mohammed Hamdane Daglo dit "Hemedti" s'est imposé comme un acteur incontournable de la politique et de l'économie au Soudan. Au début des années 2000, alors pas encore trentenaire, "Hemedti", un surnom pour "Mohamed", n'était que le chef d'une petite milice de l'Ouest, frontalier du Tchad. 

À la tête des miliciens Janjawid, il a mené la politique de la terre brûlée au Darfour, sur ordre de Omar el-Béchir. Des centaines de milliers de morts et plus de deux millions de déplacés plus tard, "Hemedti" a étendu sa sphère d’influence : du Darfour où il a toujours ses quartiers, il s'est mis à régner aussi sur Khartoum, ses couloirs du pouvoir, ses rendez-vous diplomatiques et ses accords commerciaux plus ou moins secrets. 

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Lors de la révolte populaire qui a renversé Omar el-Béchir en 2019, ses combattants sont accusés d'avoir dispersé dans le sang les manifestants pro-démocratie. Le 25 octobre 2021, quand le général Abdel Fattah al-Burhane, le chef de l'armée aujourd'hui son ennemi juré, mène un putsch pour évincer les civils, Hemedti lui prête main-forte et devient numéro deux du pouvoir militaire. 

Mais l'homme dit avoir changé. Lui qui a été un rouage de la dictature militaro-islamiste du général Béchir se pose désormais en parangon de l'Etat civil et en adversaire farouche de l'islam politique. Il s'aligne désormais sur les civils pour dénoncer l'armée et se réclamer des "acquis de la révolution" de 2019.

Né en 1975 dans une tribu arabe à la frontière entre Tchad et Soudan, Daglo n'a pas poursuivi d'études mais depuis 2019, il a travaillé sa façon de s'exprimer en arabe, langue qu'il parle toujours avec un fort accent de l'Ouest. 

Habitué des conseils tribaux et friands des visites de troupes ou de villages, l'homme n'a cessé de sillonner le pays pour rencontrer les dignitaires locaux, rouages vitaux de la dictature du général Béchir. 

Il alterne treillis militaires - dans lesquels il a fait ses premières apparitions dans les années 2000, la tête coiffée d'un chèche - et costumes taillés sur mesure pour les réunions politiques. 

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Car l'homme a toujours joué des deux casquettes: en envoyant, selon des experts, ses hommes combattre en Libye ou au sein de la coalition militaire dirigée par les Saoudiens au Yémen, il a gagné des alliés politiques à Abou Dhabi et Ryad. 

Ce Soudanais au bouc poivre et sel taillé de près, bague en or à chaque main, a un atout de poids en main: les FSR et leur réseau tiennent de nombreuses mines d'or, rappelle l'European Council on Foreign Relations (ECFR). 

Et les États-Unis assurent que les paramilitaires russes de Wagner, présents dans plusieurs pays limitrophes, y opèrent avec elles. La proximité avec Moscou est en tout cas évidente: en y débarquant au lendemain même de l'invasion russe de l'Ukraine, Hemedti obtenait de rencontrer les plus hauts responsables.

Lundi 17 avril, il était toujours impossible de savoir ce que chaque force contrôlait dans le pays. Une véritable guerre urbaine se déroule dans les rues de la capitale. Les FSR ont annoncé avoir pris l'aéroport et être entrés dans le palais présidentiel, ce que l'armée a nié. L’armée assure elle tenir le QG de son état-major, l'un des principaux complexes du pouvoir à Khartoum.